Dimanche 24 février 2019
Algérie : la tentation chilienne ?
Un Etat fort ne menace pas ses citoyens. Un Etat fort ne fait pas l’apanage de ses capacités de maintien de l’ordre et de la répression. Le maintien de l’ordre signifie d’abord un ordre républicain où les lois sont appliquées pour tous et respectées par tous.
Or ce que nous entendons ces jours-ci de la part des hauts responsables de l’État ne pousse pas à l’optimisme. Pour résumer : les Algériens ont le droit de manifester… mais dans leur cuisine, pas dans la rue.
Cette attitude est révélatrice d’un terrible constat : le pays appartiendrait aux gouvernants et non aux citoyens, et l’espace public est déclaré privé, sous-contrôle, exclu du domaine où s’exerce naturellement la citoyenneté.
Ceci nous ramène aux temps détestables des coups d’État et au parcage des citoyens et des assassinats.
Le 11 septembre 1973, le général chilien Augusto Pinochet, avec l’appui de la CIA, avait fait son coup d’État contre le président Salvador Allende, démocratiquement élu depuis 1970. Les Chiliens se sont alors soulevés et ont défendu les mains nues leur président et la légalité constitutionnelle. Rien n’y fit. Salvador Allende avait été tué lors du bombardement par l’armée chilienne du palais présidentiel de la Moneda à Santiago et une terrible répression est déclenchée contre la population : l’Estadio Chile (Stade du Chili) à Santiago avait été transformé en un immense camp de concentration.
Des milliers de prisonniers, arrêtés dans les rues, chez eux ou à leur travail, y ont été internés et des centaines ont été tués là, souvent après la torture. Le chanteur Victor Jara, porte-parole de l’espérance dans toute l’Amérique du Sud, avait été torturé à mort le 16 septembre, les mains broyés à coups de crosse et achevé avec 44 balles dans le corps. Il avait été arrêté 3 jours avant à l’université technique de Santiago.
36 ans après, les auteurs de cet assassinat ont été retrouvés et jugés. L’Estadio Chile s’appelle aujourd’hui Estadio Victor Jara. Qui parle encore en bien d’Augusto Pinochet ?
Cet épisode chilien est là pour rappeler à nos gouvernants que la répression est toujours une mauvaise solution ; elle n’a jamais renforcé et maintenu durablement un pouvoir aussi pervers et manipulateur soit-il.
L’histoire de l’Algérie post-indépendance est trop entachée de sang (1), et le peuple algérien a une bonne mémoire. Il est temps que cela cesse.
Cette élection présidentielle qui se prépare n’est pas perçue comme telle par nos citoyens. Pour l’opinion majoritaire, c’est une nouvelle entourloupe qui ne sera ‘’ni propre, ni honnête’’, dans le seul but de continuer à dilapider le pays et de marginaliser sa jeunesse.
S’il y avait une volonté de changement pour organiser de vraies élections, nous aurions entendu, à la place des menaces et des capacités de répression, des engagements fermes pour restaurer la crédibilité des institutions d’une Algérie non coupée du monde. Ils sont exprimés par beaucoup de citoyens ; nous les reformulons ci-dessous :
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Dissocier définitivement l’administration de l’État par rapport au ‘’Pouvoir’’. C’est le cas dans tous les pays démocratiques ; pourquoi pas en Algérie ?
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Garantir la transparence du scrutin par le contrôle impartial des listes électorales et la présence au scrutin d’observateurs étrangers crédibles en nombre suffisant (pas seulement les figurants ‘’amis’’, Arabes et Africains), et contrôle des transferts et consolidations des chiffres et des PV et leur publication globale par bureau de vote.
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Missionner des experts indépendants, et même l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), pour valider l’état de santé des candidats à l’élection présidentielle.
Personne de censé ne souhaite voir demain le stade en construction de Baraki-Alger, par exemple, devenir un deuxième Estadio Chile !
Malheureusement, nos gouvernants, dans ces moments critiques, font exactement le contraire de ce qu’il faudrait faire ; et le drame est là.
A. U L.
Notes :
(1) nombreux soldats de l’ALN/Wilaya 4 qui s’étaient opposés par les armes à l’entrée en force de l’armée de l’extérieur en 1962, ont été tués ; plusieurs centaines de morts lors du soulèvement du FFS en 1963 ; des morts nombreux lors du coup d’État de Boumediène en 1965 et de la tentative de putsch de Tahar Zbiri en 1967 ; plusieurs assassinats d’opposants à l’étranger, centaines de morts pendant les émeutes d’octobre 1988 ; assassinat du président Mohamed Boudiaf en 1992 ; centaines de milliers de morts et disparus (350 000 ?), suite au soulèvement armé des islamistes en 1991 (‘’décennie noire’’) ; plus de 125 morts et des centaines de blessés lors du printemps noire en Kabylie en 2001…
Aucun procès n’a été organisé depuis 1962 pour juger et condamner les coupables, ce qui témoigne de la continuité de ce système politique jusqu’à aujourd’hui.