Nul n’ignore que l’exécution des opérations financières de l’Etat joue un rôle déterminant dans la gestion de l’économie d’un pays. A une exécution saine des opérations financières de l’Etat correspond en général une économie saine quel que soit le niveau ou le type d’organisation. C’est pourquoi depuis les temps les plus reculés, l’un des premiers soucis des castes dirigeantes était d’organiser les finances d’un pays.
D’un point de vue historique et sociologique « le Trésor est une institution qui reflète de très près l’état du pouvoir politique et la situation économique d’un pays ». A un pouvoir stable et incontesté correspond en général une situation saine et un système financier solide. Au contraire, à un pouvoir instable et contesté correspond en général une situation économique de crise, le système financier s’effrite et en même temps il se trouve entre les mains de chaque détenteur d’une parcelle du pouvoir.
Dans leur conquête du pouvoir politique, les dirigeants se sont la plupart du temps efforcés de recueillir l’adhésion des masses populaires pour justifier voire légitimer la place qu’ils occupent. Ils ont très vite compris que le pouvoir politique ne signifiait rien sans le pouvoir financier et ce n’est que par la conquête de ce dernier qu’ils ont pu asseoir leur autorité sur une longue période.
Le droit de « battre monnaie » est un attribut de souveraineté qui remonte à la création des Etats. Le système de financement de l’économie et des ménages apparait essentiellement basé en premier lieu sur le principe de la centralisation des ressources et leur affectation en fonction d’objectifs politiques décidés centralement.
L’idée finalement admise voulait que les hydrocarbures devaient assurer les ressources financières et ensuite de les mettre à la disposition de l’Etat qui se chargera ensuite de les répartir entre les différents secteurs économiques pour être finalement utilisées par les entreprises et les administrations. L’équilibre socio-économique a pu être préservé parce que les problèmes financiers étaient résolus soit par la nationalisation des hydrocarbures, soit par la hausse des prix des hydrocarbures sur le marché mondial.
Sur le plan social, les gains qui ont résulté sont considérables que ce soit en matière de développement de l’éducation et des installations sanitaires qu’en amélioration de logements des services publics de transports ainsi qu’en accroissement de la consommation. De tels effets n’auraient jamais eu l’occasion de se réaliser si l’exploitation des réserves algériennes étaient abandonnées à des intérêts étrangers. C’est là qu’apparaissent les nécessités d’appropriation nationale de ces ressources et l’utilité d’un plan d’utilisation volontaire et efficace de ces ressources.
Si la nationalisation des hydrocarbures est une décision salutaire de l’armée, la responsabilité de l’utilisation de ces ressources à des fins stratégiques incombait à l’élite intellectuelle qui en avait la charge. Malheureusement, elle n’a pas été à la hauteur de la confiance placée en elles. Elle ne veut pas le reconnaître. Elle va jusqu’à susciter une « ébauche de dénationalisation » sous le crédo d’ouverture du marché aux multinationales afin d’augmenter les recettes en devises pour maintenir le niveau de dépenses incompressibles à la pérennité du système en place.
Le pays est sans planification stratégique depuis la fin des années 1970 livrant le pays aux excès du système mondial dominant et aux dérives des politiques gouvernementales. Pourtant, ni les instituts, ni les hommes, ni l’argent n’ont manqué. C’est pour dire que le pétrole a également « pollué » nos esprits, nos corps et nos institutions. Il a créé le droit à la paresse des ouvriers, au déracinement des paysans, à la médiocrité des gestionnaires, à la faillite des entreprises publiques et au gain facile des entreprises privées.
En fait ce laxisme dans la gestion n’est pas le résultat de l’intervention étatique, il semble être le passage obligé de toute société qui n’a pas atteint un niveau d’éducation sociale, scientifique et politique au sens large, à même de s’autogérer dans le domaine de la vie sociale. En effet, la colonisation, en excluant les algériens du système économique, social et politique, a empêché la formation d’une bourgeoisie nationale dynamique. La bourgeoisie capitaliste autochtone, de par sa position subordonnée et sa faiblesse ne pouvait jouer un rôle fondamental dans le processus de construction de l’Algérie indépendante.
Ce rôle incombe à l’Etat, c’est-à-dire à l’administration. Face à la désorganisation de la société civile, à son manque de dynamisme tributaire de la colonisation, seul l’Etat constitue une entreprise structurée, rationnelle, efficace, capable de relever le défi de la modernisation économique l’Etat apparait dans ces conditions comme le seul instrument de gestion et se substituant aux individus et au groupe, leur impose sa propre conception des choses par les décisions qu’il prend à leur place.
L’organisation sociale étant ainsi faite favorise la dynamique d’un processus de transfert des pouvoirs de la base et de leur centralisation au sein des appareils de l’Etat. N’ayant pas d’autres moyens d’intervention que par la transmission d’ordres formels, l’Etat multiplie les lois, les décrets, les circulaires et les organes de contrôle créant de toute pièce un système tentaculaire administratif : la bureaucratie étouffant toute initiative de production ou d’investissement.
De plus, « les hommes ont l’Etat qu’ils méritent ». Dans un pays évolué, économiquement développé où les citoyens « libérés de la peur et e la tyrannie » participent légalement et individuellement à leur destin collectif, l’Etat correspond à leur état, à leur degré d’évolution physique et mentale.
C’est la suite des générations, avec leur histoire, leurs ambitions, leurs exigences ou leurs lâchetés, leurs égoïsmes ou leurs vertus, leurs révolutions ou leurs réactions qui sont responsables de l’héritage institutionnel. L’Etat, en tant que tel n’est jamais responsable de l’organisation collective, de ses pouvoirs de gestion mais bien les hommes qui l’ont conduit là où il en est, qui le fabriquent, le consolident ou l’affaiblissent, le supportent ou l’encouragent.
Etant propriétaire des gisements pétroliers et gaziers, l’Etat a donc le droit de s’approprier la rente qui l’a confortée dans la gestion de l’économie et de la société. Elle lui a permis, en effet, de mener de front une politique volontariste de développement et une amélioration du niveau de vie en général. En somme, l’Algérie touchait une rente importante dont elle n’arrive pas à contrôler l’évolution.
La rente versée à l’Etat a la particularité d’être exogène c’est à dire que sa provenance et sa croissance ne sont pas liées au développement du pays mais dépendent des facteurs externes. L’un des paradoxes de l’économie algérienne est d’être fondée sur une richesse dont l’existence renforce à terme les capacités de financement en même temps qu’elle introduit un élément de fragilité.
Il suffit d’une baisse des prix de référence ou des réserves à un moment inopportun pour le développement de son économie menaçant la pérennité de son principal moyen d’existence pour provoquer de graves déséquilibres économiques, politiques voire sociaux. De plus, il suffit de considérer les graves dysfonctionnements dont souffre actuellement l’Algérie pour se persuader qu’une forte croissance de revenu en devises ne mène pas nécessairement au développement économique.
Le fait que les recettes pétrolières vont pour l’essentiel au gouvernement qui décide de leur répartition et de leur affectation, fait en sorte que le revenu est moins perçu comme la contrepartie d’efforts productifs que comme un droit dont on peut jouir passivement du moment qu’il est octroyé en dehors de la sphère interne de la production. Le problème de l’entreprise en Algérie est également un problème de climat moral parce qu’il y a confusion entre l’économie et le social.
En effet, les mesures économiques visant à développer la production et à rentabiliser la gestion ont souvent un effet antisocial car elles favorisent la concentration des richesses et du pouvoir de décision entre les mains d’entrepreneurs, plus soucieux de productivité et de rentabilité que de paix ou de justice sociale. En sens inverse, les mesures sociales qui visent à une grande justice dans la répartition sociale et à une amélioration du sort des couches modestes de la population coûtent de l’argent à la société et l’appauvrissent d’une certaine manière.
D’une manière générale, les mesures économiques sont considérées antisociales et les mesures sociales antiéconomiques et la politique au sens noble du terme nous semble-t-il est l’art difficile d’établir dans une société donnée à un moment donné un certain dosage entre les mesures économiques et les mesures sociales.
Faire de la politique en Algérie, signifie seulement lutter pour conserver le pouvoir ou lutter pour le conquérir, pour soi-même ou pour son groupe pour les privilèges qui y sont attachés.
Dr A. Boumezrag