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dimanche 18 mai 2025
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Algérie : l’histoire confisquée, la mémoire fracturée

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Je suis fils d’Annaba. Je suis fils d’Augustin. »

En prononçant ces mots depuis la tribune la plus solennelle du Vatican, le pape Léon XIV n’évoquait pas seulement ses racines. Il tendait à l’Algérie un miroir. Un miroir que, fidèle à une habitude désormais bien ancrée, notre pouvoir s’est empressé de détourner.

Ce nom — Augustin —, ce lieu — Annaba —, font pourtant partie intégrante de notre histoire. Mais le silence officiel qui a suivi en dit long : le passé, lorsqu’il échappe à l’encadrement idéologique, dérange.

À cette interpellation symbolique a répondu, en négatif, la polémique suscitée par les propos de Mohamed Lamine Belghit, figure de la scène intellectuelle, qui a récemment nié certaines dimensions de notre héritage. Ce geste n’est pas anodin. Il réactive une blessure plus ancienne : celle d’un récit national construit dans l’exclusion et la crainte du multiple.

Depuis 1962, l’histoire nationale a été mise au service d’un récit unique, destiné à légitimer un pouvoir issu de la guerre de Libération. Cette guerre, fondatrice et héroïque, a été érigée en origine absolue. Tout ce qui la précède a été marginalisé, parfois effacé.

Le régime a façonné une lecture idéologique du passé, centrée sur un triptyque rigide : langue arabe, islam d’État, culte de Novembre. Résultat : une mémoire amputée, appauvrie, uniformisée.

Cette orientation a pu, dans l’immédiat après-indépendance, répondre à une nécessité de cohésion. Mais à long terme, elle a produit l’inverse : désaffiliation historique, fragmentation culturelle, crise identitaire. Une nation qui réduit son passé à un slogan devient étrangère à elle-même.

Massinissa, la Kahina, saint Augustin, les royaumes berbères, la Numidie, les cités d’Hippone et de Tipasa, les héritages andalou, ottoman, judaïque et chrétien : tout cela compose l’Algérie, autant que l’islam, la langue arabe, les zaouïas, Abd al-Rahman al-Tha‘alibî, Sidi Boumediene ou Cheikh al-Alawî.

Mais le pouvoir a choisi de trancher, de compartimenter, d’oublier. Il a agi comme si tout ce qui précède 1830, voire 1954, relevait de l’anomalie ou de l’étranger. C’est là une erreur historique et une faute politique. Car une nation ne se construit pas contre son passé, mais avec toutes ses strates.

Parmi les mémoires longtemps effacées figure celle, fondamentale, de l’amazighité. Elle constitue la couche la plus ancienne, la plus enracinée et la plus vivante de l’identité algérienne. De Massinissa à Jugurtha, de la Kahina à Fadhma N’Soumer, cette mémoire a traversé les siècles, résisté à toutes les dominations, et survécu à toutes les tentatives d’assimilation.

Tamazight, reconnue tardivement comme langue nationale puis officielle, demeure sous-financée, marginalisée, peu enseignée. Son inscription dans la Constitution n’a pas encore produit de transformation réelle dans l’école, les médias ou les institutions.

Or, il ne peut y avoir de réconciliation historique sans reconnaissance pleine de la culture et de la langue amazighes — non comme folklore ou concession politique, mais comme composante structurante de notre identité commune.

L’amazighité n’est pas une revendication régionaliste. C’est une part centrale de l’unité nationale, dès lors qu’on accepte de penser cette unité dans la diversité.

L’islam, en Algérie, n’a jamais été un bloc monolithique. Il a été soufi, malékite, lettré, populaire. Il a cohabité avec d’autres mémoires, d’autres traditions, d’autres cultures. Il a dialogué, transmis, enrichi.

Ce n’est pas l’islam qui a peur de la mémoire. C’est le pouvoir qui a peur d’un islam qui pense, qui interroge, qui relie. Car l’islam, dans son essence, invite à la connaissance, à la justice, à la continuité historique.

Opposer saint Augustin à al-Tha‘alibî, la Kahina à Sidi Boumediene, c’est une imposture. C’est ignorer que l’islam algérien a longtemps été une synthèse vivante, capable d’absorber, sans renier, les héritages anciens. Ce n’est que dans sa version politique, bureaucratisée, qu’il est devenu un instrument de censure mémorielle.

On ne sort pas de l’oubli par la seule dénonciation, mais par un véritable effort de reconstruction. Cela exige la mise en place d’une politique publique de la mémoire, qui ne se limite pas à corriger le passé, mais qui s’efforce de le comprendre dans toute sa complexité.

Une telle entreprise suppose une réforme profonde de l’enseignement de l’histoire, afin de l’affranchir des lectures idéologiques et d’y intégrer toutes les strates de notre héritage — amazigh, antique, andalou, ottoman, religieux, colonial, national.

Elle passe aussi par la valorisation du savoir local : soutenir la recherche indépendante, préserver les archives, reconnaître les traditions orales. Car l’histoire n’est pas qu’une chronologie de dates ; elle vit dans les gestes, les langues, les paysages habités.

Enfin, cette mémoire doit s’incarner dans la société elle-même, à travers une création culturelle libre et audacieuse — qu’elle prenne la forme du cinéma, du théâtre, de la bande dessinée ou de l’essai — pour redonner voix aux figures marginalisées : saint Augustin, Jugurtha, Fatma N’Soumer, les soufis andalous, les penseurs oubliés.

Le refus d’assumer notre passé n’est pas un oubli, mais une stratégie de domination. Une stratégie de simplification identitaire, de contrôle symbolique, de stérilisation culturelle. 

En réduisant l’histoire à une ligne unique, on fabrique des générations déracinées, sans mémoire, sans repères.

Or, l’histoire n’est pas linéaire. Elle est stratifiée, composée d’apports, de conflits, de résistances, de syncrétismes. L’Algérie ne s’est pas construite par le rejet de ces couches, mais à travers leur enchevêtrement.

Ce que nous appelons aujourd’hui « réconciliation historique » est, en vérité, une exigence d’émancipation politique. Car un pouvoir confiant dans sa légitimité n’a pas besoin de falsifier le passé. Et une nation libre n’a pas peur de ce qu’elle fut.

Il est temps d’en finir avec la confiscation mémorielle. Non pour muséifier le passé, mais pour restituer aux Algériens la capacité de penser leur avenir à partir de leur réalité historique, dans toute sa complexité.

Il ne s’agit pas d’opposer saint Augustin à l’islam, ni la Numidie à Novembre. Il s’agit de dire, calmement, fermement : tout cela nous appartient. Tout cela nous fonde. Tout cela doit être transmis, partagé, célébré.

Car ce n’est pas un État de droit que l’on construit sur l’oubli, mais un état de méfiance généralisée, un théâtre de l’arbitraire, où la mémoire devient suspecte et la connaissance subversive.

La mémoire nationale ne doit plus être une arme de contrôle, mais un levier d’émancipation. Il est temps d’oser une Algérie qui assume ses héritages, toutes ses blessures comme toutes ses grandeurs. Une Algérie enfin réconciliée avec elle-même.

Assumer tout cela, ce n’est pas se perdre. C’est, enfin, se retrouver.

Mohcine Belabbas, ancien président du RCD

Cette tribune est publiée également par son auteur sur Facebook.

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1 COMMENTAIRE

  1. Il ne faut pas chercher midi à 14h. Ni noyer le poisson.
    Le problème c’est L’ARABO-ISLAMISMEN
    Dja edhif wala moul edar.
    La seule issue le fédéralisme avec comme conséquence l’autonomie de la kabylie ; histoire de montrer aux anesgeriens ce que c’est un pays

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