Vendredi 22 novembre 2019
Algérie-Maroc : quand le raï efface la frontière
Bienvenue au Maroc. Le pays voisin est l’une des meilleures destinations touristiques au monde. Cependant, les Algériens qui s’y rendent sont des grappes en comparaison avec les autres nationalités. La raison : fermeture de la frontière terrestre.
Les Algériens doivent donc passer par avion, payant malgré eux un billet Air Algérie au prix exorbitant. Les prix surréalistes des billets font mal aussi aux Marocains qui viennent en Algérie notamment pour les travaux de plâtre et de zellige.
La fermeture de la frontière entre l’Algérie et le Maroc subsiste depuis plusieurs années jusqu’à devenir un mur cérébral, voire psychique. Avec le temps, la barrière reflète ses conséquences néfastes sur le conscient des gens des deux rives ; ce qu’on appelle les frontières ou murs de la tête comme la haine, le désamour, le malentendu, les clichés xénophobes…Elles sont très difficiles à effacer, alors qu’il est facile d’abattre un mur en béton, de scier une barrière d’acier.
Les Marocains et les Algériens sont deux peuples qui s’aiment énormément. Il suffit de décliner son identité algérienne au Maroc pour voir les accolades et les mots doux que vous offrent les Marocains. Lors de la coupe d’Afrique, ils ont supporté corps et âme l’équipe algérienne en scandant le slogan « khawa khawa » (nous sommes des frères). Même fraternité chaleureuse sur le sol algérien.
Alors que les murs et les barrières poussent dans les diverses géographies, des peuples bâtissent des ponts entre eux par d’autres moyens comme le sport, l’art, ou tout simplement les mots.
Au Maroc, le moyen qui constitue un pont solide avec l’Algérie est bel est bien le raï. Genre musical algérien qui puise sa beauté et sa profondeur dans le simple quotidien algérien. Classique ou moderne, il envahit (dans le sens positif et fraternel) le pays voisin.
Depuis des années, le festival international du raï se tient à Oujda. Saidia et Oujda sont deux villes marocaines frontalières où le raï algérien n’est pas un art étranger : il est si sacralisé que le visiteur a l’impression d’être à Oran. Un élément primordial de la vie quotidienne. L’accent même des habitants est fortement influencé par le langage du raï, cet art qui a « algérianisé » Oujda et Saidia. Cela est un grand signe d’amour et de fraternité.
La corniche d’Ain Diab à Casablanca est l’un des lieux majeurs de la fête nocturne. Les discothèques et lounges invitent très souvent des chanteurs de raï algériens. Synthé et derbouka secouent la salle. Le chanteur mène les corps vers un ciel d’extase. De temps en temps, les clients lui offrent des billets pour faire passer une dédicace ; chacune se termine souvent par ce slogan fraternel qui ravive la flamme de l’ambiance « Algériens-Marocains, khawa khawa.»
Le même décor et la même ambiance dans les discothèques des autres villes comme Marrakech ou Tanger. Pas seulement dans les boîtes, le raï algérien est omniprésent au Royaume : dans les magasins, dans les voitures, dans les ruelles des souks, sur les Smartphones… Il faut savoir qu’il y a même de jeunes Marocains qui se lancent dans le raï.
Le Marocain aime discuter avec l’Algérien. Deux sujets principaux dans toute discussion : la révolution en cours (Hirak) et le raï. Celui-ci est devenu même une source de codes socioculturels. Par exemple, tout comme en Algérie, un Marocain écoutant cheb Hasni, reçoit ce commentaire de ses amis : « Tu écoutes Hasni donc tu es amoureux ». Célèbre chanteur de raï algérien assassiné en 1994, connu par ses belles chansons sentimentales, Hasni est sacré au Royaume. En deuxième place, vient cheb Akil, un autre rossignol de la chanson sentimentale.
Le meilleur exemple est Fès. Ville de spiritualité et berceau de l’islam, elle est la capitale culturelle du Maroc. Allez à Fès El Bali (Fès l’ancienne), une médina labyrinthique réputée par les célèbres mosquées, les écoles coraniques, et les tanneries…Deux ruelles en pente vous mènent au cœur de la médina : la petite et la grande. Animées jour et nuit, bordées par des chapelets d’échoppes, elles sont traversées par des milliers de touristes, toutes nationalités confondues. Là, c’est principalement le raï algérien, émis à haut volume dans les échoppes, qui vient vous caresser l’ouïe et vous bercer. Pas le chant soufi ou l’Aïta (le nom signifie cri ou appel : célèbre genre musical marocain).
Voilà, le raï est un pont d’amour et de fraternité entre Marocains et Algériens. Un pont qui efface la frontière et ses mauvaises conséquences sur les consciences des deux peuples.
Les murs et les barrières poussent partout dans le monde. Les gouvernements vengent leurs malentendus sur la géographie, semant ainsi la haine et la rancune entre des peuples innocents. Chaque gouvernement croit qu’il a raison et que l’Autre est une menace. Ainsi, ils ont fait de la Terre un sale manteau d’Arlequin.
Enfin, la frontière est une illusion, un produit de la géopolitique. Et même si les murs et les barrières poussent au jour le jour, les peuples savent bâtir des ponts invisibles pour exprimer l’amour et la fraternité. Que l’amour et la fraternité unissent Algériens et Marocains ! Vive les ponts ! À bas les murs !