« L’armée appartient-elle au peuple ou est-ce le peuple qui appartient à l’armée ? » Kamel Lakhdar Chaouche   

Au moment où la réconciliation entre la France et l’Algérie est à l’ordre du jour, il est unanimement admis que l’une des conditions nécessaires à la réussite de ce processus est que chacun connaisse et reconnaisse son histoire. Dans ce contexte, l’ouvrage de Kamel Lakhdar Chaouche, en apportant un éclairage sur l’histoire du côté algérien, est complètement d’actualité.

De l’indépendance arrachée à la France en 1962 après plus de 7 années de lutte, au début du Hirak, Kamel Lakhdar Chaouche trace une fresque qui couvre toute l’histoire de l’Algérie indépendante C’est un travail considérable, de journaliste, mais aussi d’historien.

D’historien engagé, il est vrai. Il convient de dire qu’il développe une théorie, à savoir que l’Algérie a été confisquée par un clan qui s’est perpétué, utilisant la terreur et la corruption au détriment de la population.

Pour l’étayer, l’auteur nous fournit des faits, des dates, des noms, des témoignages, c’est précis, documenté. Mais l’objectivité impose de dire que c’est un travail uniquement à charge, celui d’un militant. Il faut d’emblée remarquer que les propos contenus dans ce livre engagent la seule responsabilité de leur auteur, l’auteur de cette chronique n’a pas vocation à prendre parti dans les affaires internes d’un pays indépendant.

Kamel Lakhdar Chaouche nous livre sa vérité. Celle-ci semble être partagée par la multitude de manifestants pacifiques qui, depuis plus d’un an, occupent les rues partout dans le pays chaque vendredi.

Tous les évènements dramatiques, en particulier ceux de la décennie noire sont restitués au travers de ce filtre critique. Il en ressort la responsabilité du clan au pouvoir dans les difficultés qu’a connu le pays depuis son accession à l’indépendance et pour les malheurs subis par les Algériens.

L’auteur analyse la façon dont le pouvoir et les ressources du pays ont été confisqués par un clan composé des cadres de l’armée, celle de l’extérieur. Celle qui était composée des soldats qui avaient attendu la fin de la guerre à l’abri, au-delà des frontières pour rentrer au pays. Leurs officiers prirent en main les destinées du pays après avoir neutralisé, par la force, les combattants de l’intérieur. Ces derniers sont aux yeux de l’auteur les véritables héros de la révolution algérienne, eux qui ont mené les combats contre l’armée française, dans les maquis, dans les villes. Ce ne sera pas la première fois que ceux qui ont fait une révolution ne profitent pas des bienfaits de celle-ci.

Dans des conditions très dures, les opposants, ou ceux qui pourraient menacer les intérêts du clan au pouvoir, sont éliminés ou écartés. Les présidents successifs, choisis par le système, sont des sortes de potiches, manipulables et manipulées. Ils sont remplacés dès qu’ils manifestent la moindre velléité d’autonomie. Et lorsque l’un d’eux revendique comme Mohamed Boudiaf, une totale liberté pour imposer des réformes, il est très rapidement assassiné dans des conditions qui demeurent encore mystérieuses. Les rapports ambigus entre les terroristes islamiques et les services secrets algériens sont révélés.

Les manipulations font partie des méthodes utilisées pour conserver le pouvoir. Ce livre intéressera tous ceux qui veulent connaître l’histoire de ce pays, mais aussi ceux qui souhaitent comprendre pourquoi l’accession à l’indépendance n’est pas synonyme de naissance d’une démocratie.

Cette histoire tourmentée témoigne que l’avènement d’une nation ne peut se faire sans soubresauts. Il suffit de se rappeler, qu’en France, après la Révolution française de 1789, il fallut une longue période pour qu’un régime républicain apaisé s’installe de façon pérenne. Kamel Lakhdar Chaouche a fait un travail considérable qui sera, à coup sûr, une référence pour les générations d’historiens futures, à charge pour eux de se documenter pour analyser des points de vue différents et avoir une vision globale de cette longue période agitée.

Au-delà de son caractère historique, ce livre nous semble rempli de colère, de respect, de reconnaissance et d’amour : colère contre les clans qui selon l’auteur sont responsables des malheurs subis par le peuple algérien, respect et reconnaissance pour ces combattants de l’intérieur qui se sont sacrifiés pour l’indépendance de leur pays et amour pour cette terre d’Algérie dont l’histoire fut si tourmentée.

R. M

 Dr Robert Mazziotta, auteur et chroniqueur à « Mare nostrum, une méditerranée autrement »