Lundi 10 février 2020
« Algérie : Procès d’un système militaire » : un pavé jeté dans la marre
Le livre du journaliste Kamel Lakhdar Chaouche, Algérie : procès d’un système militaire, paru chez Va éditions, le 3 janvier dernier à Paris, est explosif. Le journaliste a démystifié l’histoire de l’Algérie indépendante, longtemps sacralisée. Chefs historiques, société civile ou politique, coupable ou victime, témoin ou complice, cadre ou spécialiste, militaires, terroristes, tous parlent, s’expriment, témoignent, se défendent, accusent et s’accusent. Pour certains d’entre eux, c’est la première fois qu’ils s’expriment.
A travers les 300 pages du livre, le lecteur se sent invité à un procès du système algérien, un procès ouvert au public. Et au final, il comprendra que son pays est sorti du chemin colonial pour emprunter un autre chemin, pavé de cadavres plein les placards et d’espoirs trahis, qui commence et finit dans la nuit du pouvoir militaire. Tout au long des huit parties qui composent le livre, l’auteur nous fait la lecture du procès du système militaire algérien, qui se construira au rythme des coups de force.
L’ouvrage s’adresse aux algériens, qu’aux Français et met en évidence la relation à la fois passionnelle et tumultueuse entre Paris et Alger. Et il s’adresse également aux cadres, aux diplomates, aux services de renseignement, aux gouvernements des deux rives de la méditerranée, et enfin il s’adresse à tous les lecteurs qui cherchent à comprendre le passé tragique de la jeune Algérie.
C’est un pavé jeté dans la marre que ce livre « Algérie : procès d’un système militaire ». L’ouvrage suit un ordre chronologique faisant dérouler le film des événements et des crises successives. L’auteur nous invite à une virée dans l’histoire coloniale pour mieux comprendre « l’indépendance empoisonnée », en passant par « le diable à la Mecque des révolutions », jusqu’à l’arrivée du « Messie, Abdelaziz Bouteflika », et enfin le retour de l’armée au commande, à visage découvert. L’auteur de l’ouvrage, « Algérie : procès d’un système militaire », s’est, surtout, évertué à nous dérouler sous les yeux les films des faits, actes et événements tragiques qui secouent l’Algérie depuis la révolution armée à la révolution du sourire.
L’auteur apporte de nouveaux éléments pour la compréhension de certaines péripéties historiques que l’anthologie officielle refuse toujours d’aborder, mais surtout persiste à nier ou à pervertir. « Ce qu’a fait le journaliste, Kamel Lakhdar Chaouche, c’est aussi ce que l’on peut appeler un certain génie algérien naissant 1», écrit dans sa préface Mohamed Benchicou.
Aussi, faut-il dire que même le Mohamed Lakhdar Maougal, relèvera : « Ce que Kamel Lakhdar-Chaouche apporte aujourd’hui de nouveau et/ou de renouveau, c’est une nouvelle lecture générationnelle en synergie avec le réveil de la conscience exigeante de l’émancipation nationale pour le parachèvement de nos luttes passées et présentes, une lecture non spécialisée, mais militante, abreuvée à la sève des nouveaux défis nourris aux idéaux démocratiques fort différents des arcanes de la démocratie traditionnelle des mythiques émancipations nationales contrées et contenues par des supposées missions civilisatrices de la colonisation dont on ne cesse de nous rabâcher les oreilles avec et à foison 2».
En effet, le livre apporte une nouvelle approche d’analyse et d’écriture. Contrairement aux travaux issus des recherches universitaires, mémorielles et académiques qui traitent de l’histoire de l’Algérie, l’ouvrage de Kamel Lakhdar Chaouche s’inscrit dans la démarche journalistique qui se contente de rapporter des faits le plus fidèlement possible. « Kamel Lakhdar Chaouche a fait un minutieux travail de journaliste d’investigation et son génie c’est qu’il sut frapper sur les portes qu’il faut. Et il a persévéré longtemps, je connais son livre et je l’ai vu pousser 3 », témoigne, pour sa part, le politologue Bélaïd Abane.
Kamel Lakhdar Chaouche commence par rapporter les événements les plus saillants ayant secoué la République via le complot ourdi par «un quarteron de colonels » établis au-delà des frontières algériennes, qui remplacèrent le pouvoir colonial, et imposèrent une dictature militaire, qui refusait de remettre le pouvoir au peuple.
Le chercheur, Mohamed Lakhdar Maougal, écrit : « Cette présente édition, fort bien documentée et soigneusement travaillée, se propose de nous révéler et de nous faire découvrir les «Non-dits» tout comme les «Interdits» qui nous auront été longtemps imposés et qui ont servi à enferrer les multiples et inavouables péripéties d’une Histoire nationale tragique et shakespearienne de tout notre peuple et de tout notre pays bannis de la quotidienneté qu’ils étaient en droit d’attendre au lendemain d’une indépendance chèrement acquise, mais aussitôt avortée, aussitôt que privé de la légitime émancipation 4».
L’auteur du livre « Algérie : procès d’un système militaire » nous montrera subtilement comment le haut commandement de l’armée refusait d’entendre raison et de se rendre à l’évidence. En effet celui-ci désignait les présidents et les déposait de leurs fonctions pour les plus chanceux, quant à ceux qui osaient lui tenir tête, ils seront tout simplement liquidés. Le président Mohamed Boudiaf n’a-t-il pas été assassiné au vu et au su de tous?
« L’intéressant livre de Kamel Lakhdar Chaouche, permet de comprendre la nature du pouvoir d’État en Algérie et vient enrichir, comme l’a si bien relevé le Pro Abdelkader Kacher, les œuvres d’autres auteurs sur la question lancinante des pouvoirs, notamment ceux de deux éminents juristes, Hocine Aït Ahmed, auteur d’un ouvrage tiré de sa thèse de doctorat sur « Les droits de l’Homme dans la charte et la pratique de l’OUA » et le professeur émérite Madjid Benchikh, auteur de « Algérie un système politique militarisé 5 », relève le juriste, Tahar Khalfoune.
Le journaliste raconte comment tous les mouvements populaires ont été diabolisés et réprimés dans le sang depuis la révolte armée du FFS au lendemain de l’indépendance, jusqu’au mouvement populaire de février 2019. L’auteur revient dans le menu détail sur la persécution des chefs historiques, la répression des étudiants et la naissance du printemps berbère d’avril 80, la révolte des enfants d’Octobre 88 et la naissance de l’islamisme, l’arrêt du processus électoral et la guerre civile des années 90, les 20 ans du système dit de Bouteflika et le fiasco d’un 5e mandat qui signe la volonté du peuple d’en finir avec « la casa d’el Mouradia… ».
L’auteur note avec dépit que l’Algérie fait face au retour de l’armée aux devants de la scène politique, une armée qui dicte sa feuille de route et désigne ses alliés comme ses opposants. Les généraux criminalisent l’activité politique, interdisent l’expression démocratique et tentent d’imposer, comme à leur habitude, de fausses solutions à une véritable crise. L’Algérie est-elle sortie de la longue nuit coloniale pour s’engouffrer dans gouffre sombre des militaires ? La révolution du peuple, entamée depuis le 22 février, vaincra-t-elle contre le système militaire ? Le civil retrouvera-il la parole ?
Ainsi, dans les dernières pages de son livre, Kamel Lakhdar Chaouche, interpelle le chef défunt chef d’état-major de l’armée et vice-ministre de la Défense, Ahmed Gaïd Salah : « C’est une révolution mon général, vous n’écoutez pas ou quoi : l’Armée appartient-elle au peuple ou est-ce le peuple qui appartient à l’armée ? Le peuple qui occupe dans la rue depuis février ne cesse d’interpeller les décideurs qui doivent se résoudre tôt ou tard à se mettre à table et à négocier les termes de leur reddition et les conditions du passage à une nouvelle ère, pour rejoindre enfin le XXIe siècle. Il y va de la survie de l’Algérie, Etat et nation 6 ».
Ali Aït Djoudi
Note :
1- Page 5, Algérie : procès d’un système militaire
2- Expression, édition du 02-11-2019
3- Berbère Télévision, le 21 déc. 2019, Conférence-débat animée l’auteur
4- Expression, édition du 02-11-2019
5- https://www.dzvid.com/2020/01/13/
6- Page 300, Algérie : procès d’un système militaire