La récente décision de l’Autorité nationale indépendante de régulation de l’audiovisuel (ANIRA) de suspendre la chaîne Echourouk News pour une durée de dix jours, à la suite de la diffusion de propos haineux et racistes à l’encontre de migrants africains est une sanction révélatrice d’un malaise plus profond.

Cette mesure vient mettre en lumière une dérive devenue structurelle dans le paysage médiatique algérien. Plus qu’un simple faux pas, cette affaire révèle la tentation, de plus en plus marquée, de nombreux médias – aussi bien audiovisuels qu’écrits – de s’aligner sur les méthodes discursives des réseaux sociaux, en sacrifiant la déontologie sur l’autel de l’audience.

Le mimétisme avec les réseaux sociaux

À l’instar du journal Echourouk, dont la ligne éditoriale épouse souvent les excès de sa version télévisuelle, de nombreux organes de presse semblent céder à une logique de surenchère. Titres racoleurs, émotion brute, simplification extrême, recours au clash : les ressorts qui régissent les plateformes numériques deviennent la norme dans des espaces qui devraient, au contraire, s’en distinguer par leur rigueur et leur recul critique. Sous couvert d’une prétendue proximité avec « le peuple », ces médias s’autorisent des traitements approximatifs, biaisés, voire dangereux de sujets sociaux, politiques et économiques complexes.

Quand la provocation devient stratégie éditoriale

L’un des symptômes les plus révélateurs de cette dérive est l’omniprésence de figures médiatiques sulfureuses, connues non pour leur compétence, mais pour leur capacité à provoquer, à diviser et à faire parler. Le prétendu historien Belghit incarne parfaitement cette stratégie du choc. Répétitivement invité sur les plateaux de télévision, il distille un discours révisionniste, polémique, souvent dénué de fondement scientifique, mais taillé sur mesure pour générer du buzz. Dans cet écosystème, ce n’est plus la qualité de la pensée qui prime, mais son potentiel viral.

- Publicité -

Ce type d’invité, façonné pour la polémique, s’inscrit pleinement dans une logique médiatique qui singe les mécanismes des réseaux sociaux : recherche du scandale, fragmentation du propos, émotions exacerbées et surreprésentation des opinions extrêmes. Loin d’éclairer le débat, ces figures brouillent les repères, attisent les clivages identitaires et alimentent les narrations les plus simplistes. Pire encore, elles bénéficient souvent d’une absence totale de contradiction, renforçant l’illusion de légitimité de leurs propos.

Un débat public dévoyé par le sensationnel

En cédant à ces pratiques, les médias abandonnent leur mission fondamentale : informer avec sérieux, contextualiser les faits, contribuer à l’élévation du débat public. À la place, ils participent à une dynamique de désinformation, de stigmatisation et de polarisation. Le journalisme devient alors un théâtre d’affrontement, un espace où l’émotion l’emporte sur la raison, et où l’instantanéité écrase toute forme de profondeur.

Un climat médiatique délétère

Cette dérive a des conséquences graves. Elle alimente un climat de défiance généralisée, fragilise la cohésion sociale et brouille les repères démocratiques. Elle contribue aussi à dévaloriser le travail des journalistes honnêtes, confrontés à une course effrénée au sensationnel dont les règles sont de plus en plus dictées par les algorithmes des plateformes numériques.

Revenir aux fondamentaux du journalisme

La suspension d’Echourouk News doit, à ce titre, servir d’alerte. Elle pose la question cruciale de la responsabilité des rédactions, mais aussi celle du rôle des institutions de régulation face à une crise profonde de l’éthique journalistique. Il est plus que jamais nécessaire que les médias se livrent à une introspection sérieuse, réévaluent leurs priorités éditoriales, et renouent avec les principes fondamentaux du métier : exactitude, impartialité, indépendance et respect de la dignité humaine.

une posture accommodante pour le pouvoir

La quête d’audience ne saurait justifier l’abandon des principes fondamentaux du journalisme. C’est à ce prix — et à ce prix seulement — que la presse algérienne pourra regagner la confiance du public et assumer pleinement son rôle dans une société démocratique, pluraliste et responsable. Or, cet idéal d’une presse libre, critique et éthique entre en collision avec la vision restrictive et les orientations utilitaristes que le pouvoir politique semble vouloir imposer aux médias, les cantonnant trop souvent à un rôle d’amplificateur docile plutôt que de contre-pouvoir éclairé.

Samia Naït Iqbal

LAISSEZ UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici