Samedi 29 février 2020
Ali Benhadj, l’avocat et le maquisard, par Mohamed Benchicou
Se laisser prendre en photo avec Ali Benhadj n’est jamais un acte sans conséquence. Il ne s’agit pas ici de diaboliser outre mesure l’ex-numéro 2 du FIS.
Il y parvient très bien tout seul. Il n’est pas question, non plus, de lui dresser un énième procès en sorcellerie. On peut parfaitement parler de Benhadj sans rêver – comme cela nous est arrivé – de le voir brûler sur un bûcher. Il n’y a pas pire défaite pour une victime que d’épouser la barbarie de ses bourreaux. J’en parle avec d’autant moins de haine envers Benhadj que le hasard a fait que je suis venu à son secours au cours de l’hiver 2005-2006 à la prison d’El-Harrach alors sous la neige.
Un froid d’une rigueur exceptionnelle frappait les détenus et Ali Benhadj, que je rencontrais parfois au bureau des avocats, avait attrapé une pneumonie qui l’avait rendu cadavérique. Il lui fallait de toute urgence des soins médicaux et un chauffage dans sa cellule individuelle, deux mesures que l’administration pénitentiaire tardait à prendre. Ali Benhadj, était certes entré en prison pour avoir applaudi à l’exécution par les islamistes de deux diplomates algériens, il n’en restait pas moins un détenu malade qui ne devait, en aucun cas, inspirer une vendetta avec des méthodes indignes d’un Etat.
La même semaine, un médecin suisse, délégué par la Croix-Rouge, était venu s’enquérir de ma santé et de mes conditions carcérales. Il m’avait demandé si j’avais une doléance particulière à formuler. Je lui répondis que j’en avais une mais à propos d’Ali Benhadj qu’il ne connaissait pas, qu’il n’était pas chargé de contacter et qui se trouvait probablement en danger de mort. Le délégué de la Croix-Rouge se rendit sur le champ à la cellule du responsable de l’ex-FIS et exigea son hospitalisation immédiate à l’infirmerie jusqu’à guérison complète. Ce qui fut fait, illico.
Le transfert de Benhadj à l’infirmerie ne fut pas sans conséquence pour les autres malades : la moitié de l’infirmerie ayant été allouée au prédicateur, ils furent compressés dans l’autre moitié, pendant plusieurs jours. Ali Benhadj remis sur pieds, sortit de prison quelques jours plus tard, dans le cadre de ce que l’on a appelé la Charte pour la paix et la réconciliation.
Aussi, je pense pouvoir livrer mon opinion sur Ali Benhadj sans être taxé de subjectivité haineuse à son endroit. Cet homme est en phase avec ses convictions : il ne soutient pas le mouvement populaire, le hirak, parce qu’il ne croit pas aux initiatives humaines non rattachées aux dogmes divins ; il ne s’inscrit pas dans le hirak parce qu’il ne conçoit aucune organisation sociale qui échapperait à la loi islamique et c’est en toute connaissance de cause qu’il se déclare opposé à l’édification d’un système de rapports humains qui reposerait sur la seule autodétermination de l’homme. Il ne croit pas en l’homme libéré, incontrôlable, et encore moins à la femme libérée, il ne croit pas à l’Etat, fût-il un Etat de droit, ni à aucune autre institution conçue en dehors de la charia, fut-elle la plus démocratique qui soit.
C’est tout cela qui lui fait dire « la démocratie kofr ». Tel est le vrai Ali Benhadj. Il n’a jamais dévié de ses idées mais il laisse, en s’en amusant, d’autres esprits émouvants de naïveté, créer un autre Ali Benhadj conforme à leurs désirs. Pour tout cela, l’initiative de Bouregaa et de Bouchachi est plus qu’une erreur, plus qu’une faute, c’est un acte de tromperie, un détournement d’une consécration octroyée par le hirak, un détournement d’une expérience démocratique au profit d’un personnage qui se déclare ouvertement l’ennemi de la démocratie.
Voulait-on signifier qu’il n’est point d’autre salut pour ce peuple que la tutelle islamiste ? Ce n’est pas le fait d’avoir rencontré Benhadj qui est à blâmer, c’est celui de l’avoir fait avec le costume du hirak. C’est un peu l’uniforme de l’ALN que vous portiez ce jour-là, chez Benhadj, cher Bouregaâ.
Il vous dictait de respecter un combat, une cause populaire, comme vous avez dû le respecter durant vos années de bravoure. Le hirak n’est pas un hobby pour désœuvrés, c’est un combat, une cause, avec ses hommes et ses femmes tabassés, ses mères inconsolables, ses détenus jetés en prison comme du temps des terribles geôles coloniales. Vous n’êtes pas sans savoir que l’Algérie, que vous avez défendue dans votre jeunesse, n’est toujours pas à vendre, ni à Bigeard ni à Benhadj : pour l’un comme pour l’autre, il n’y a de bons Algériens qu’asservis. Ce n’est pas l’avis des Algériens.
Vous avez pris le risque de sortir de leur combat ; Il serait dommage de sortir de leur mémoire.