Sous un ciel étoilé de juin, le Théâtre de la Sucrière a offert vendredi soir une soirée bouleversante avec La Discrétion, adaptation scénique du roman de Faïza Guène. Dans le cadre paisible du parc François Billoux à Marseille, le spectacle a pris vie en plein air, mêlant théâtre, musique et images dans une émotion partagée.
On a retrouvé Yamina, cette femme algérienne presque septuagénaire, incarnée avec justesse par Meriem Medjkane, et sa famille. Autour d’elle, son mari Brahim, usé par des années d’ouvrage, et leurs quatre enfants qui, à travers leurs colères et leurs silences, portent le poids d’une double appartenance souvent douloureuse. La mise en scène de Dina Mousawi laisse place à la pudeur et à la force du récit : pas de grands effets, mais un travail subtil sur la parole et les silences.
Les voix d’Amal Kateb et de Meriem Medjkane s’élèvent puissantes, entre français et arabe, rappelant que cette histoire traverse les langues et les frontières. La musique habite la scène comme un souffle vital : le mandoluth d’Hakim Hamadouche résonne avec mélancolie et rage contenue, tandis que les percussions de Nadia Tighidet battent au rythme d’un exil intime. Les chants méditerranéens de Sylvie Aniorte Paz offrent des éclats lumineux, et le violon de Kheireddine M’kachiche déchire parfois le silence d’une poignante intensité.
Les images projetées en direct par la vidéaste franco-tunisienne Shiraz Bazin-Moussi ajoutent une profondeur visuelle émouvante, mêlant portraits flous, archives familiales et paysages d’Algérie, tissant un lien sensible entre passé et présent.
À la fin de cette traversée sensible, Faïza Guène s’est avancée en bord de scène. Avec sa présence discrète mais lumineuse, elle incarnait ce lien subtil entre l’écriture et la vie, entre la blessure et le récit. Il y avait dans sa voix une douceur grave, une pudeur à peine voilée, comme si chaque mot pesait du poids de toutes les histoires tues.
« Ce livre, je l’ai écrit pour celles et ceux qui ne parlent pas, qui n’ont jamais appris à raconter. C’est une forme de reconnaissance, une façon de dire : je vous ai vus, je vous ai entendus », a-t-elle confié avec émotion.
Son intervention, brève mais habitée, a résonné comme un écho à tout ce qui venait d’être joué : l’urgence de transmettre, la beauté des silences, et la nécessité, enfin, de les faire entendre.
Vendredi soir, dans la chaleur tranquille d’une nuit marseillaise, La Discrétion a fait surgir une mémoire à la fois intime et universelle. Une œuvre poignante sur la transmission, l’exil et la puissance du non-dit. Un cri retenu devenu chant collectif.
Djamal Guettala