Samedi 1 février 2020
Avec Tebboune, le gaz de schiste c’est bis repetita, Par Hocine Malti
Le président Tebboune. Crédit photo Zinedine Zebar.
Au jeu de cartes, on dirait rebelote ! Quelle mouche a piqué Abdelmadjid Tebboune qui vient de mettre sur le tapis la carte qu’a déjà jouée Abdelaziz Bouteflika, ou la nébuleuse qui a gouverné l’Algérie depuis 2013 ?
Le voilà qu’il annonce, lors de la toute première conférence de presse qu’il tient face à des journalistes algériens, que lui, président de la République, élu par un tout petit peu plus que 50% des 10% d’électeurs qui se sont rendus aux urnes le 12 décembre dernier, allait s’atteler à relancer l’exploitation du gaz de schiste.
M. Tebboune n’a pas la légitimité d’engager ainsi le pays dans une aventure, qui, si elle arrange les affaires des multinationales pétrolières, causera le malheur de millions de citoyens algériens, y compris parmi les générations à venir. Il n’a visiblement pas retenu- ni ceux qui le conseillent d’ailleurs – la leçon que les 45 000 habitants d’In Salah ont donnée à son prédécesseur l’obligeant à mettre un terme à l’expérience de Docteur Folamour qu’il avait initiée dans la région.
Je voulais lui rafraîchir la mémoire et lui rappeler les dangers d’exploiter le gaz de schiste, des dangers que ne peuvent même pas maitriser les plus grands spécialistes en la matière, les pétroliers américains. Je me suis souvenu alors que j’avais déjà adressé une lettre en ce sens à Abdelaziz Bouteflika, il y a bientôt six ans. C’est parce que les termes de cette lettre s’appliquent parfaitement à la situation périlleuse dans laquelle M. Tebboune veut à son tour plonger l’Algérie que je le rends également destinataire de cette lettre dont je lui adresse copie.
Je voudrais cependant y ajouter un certain nombre de remarques qui relèvent tout particulièrement des évènements que vit l’Algérie d’aujourd’hui. Je rappelle à Mr Tebboune que dès sa nomination au poste de ministre de l’énergie, Youcef Yousfi avait modifié la loi sur les hydrocarbures, pour y introduire une disposition permettant l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels. Pour acter le changement, il s’était rendu à In Salah pour “fêter” le forage par Sonatrach d’un puits de gaz de schiste. S’adressant à la population locale sur un ton hautain, professoral – il fallait convaincre ces “ignares” que le régime voulait leur bien – il avait mis le feu aux poudres. Les habitants se soulevaient comme un seul homme pour exprimer durant plusieurs mois, par des manifestations journalières, leur rejet d’une telle initiative.
Les “ignares” étaient plus conscients que les “savants” du régime des dangers que pouvait causer à l’homme, à la faune, à la flore et à l’environnement, la technique utilisée pour extraire le gaz de schiste de la roche-mère. Le peuple savait que l’on risquait ainsi de polluer l’autre manne précieuse dont la nature a doté l’Algérie, l’immense réserve d’eau présente à différents niveaux géologiques, qui couvre tout le Sahara. Tout comme les Argentins, les Polonais, les Anglais, les Français et même de très nombreux Américains, les Algériens avaient dit “Non au gaz de schiste”.
Aujourd’hui, ce ne sont pas 45 000 mais des millions d’Algériens, regroupés au sein du Hirak, qui refusent que la nouvelle devanture civile que leur ont imposée quelques gradés des Tagarins, commette l’irréparable; ils refusent que cette devanture prive les générations futures de l’eau, source de vie. Faut-il aussi rappeler à M. Tebboune que les guerres du XXIème siècle seront des guerres pour l’eau ? S’il a oublié les évènements survenus en 2014, il a certainement vu et entendu les messages que lui ont fait parvenir les Algériennes et Algériens qui ont battu le pavé lors du 49ème vendredi.
Je voudrais également lui poser quelques questions. Qu’il nous dise qui va produire le gaz de schiste ? Sonatrach en solo ? Sonatrach associée à un partenaire étranger ? Ou va-t-il attribuer des permis à des entreprises étrangères ?
Il est clair que Sonatrach n’a pas les capacités techniques pour procéder à la fracturation hydraulique qui permettrait l’extraction du gaz de la roche porteuse. Elle fera appel à un spécialiste étranger, qui lui facturera son intervention à un prix, au minimum double, de ce qu’il aurait demandé à un exploitant américain.
³C’est une des raisons pour lesquelles le coût d’un forage de gaz non conventionnel est, en Algérie, 3 à 4 fois supérieur au coût d’un forage aux États-Unis.
Sachant, par ailleurs, que la durée de vie d’un puits de gaz de schiste est nettement moindre que celle d’un puits produisant du gaz naturel (4 à 5 ans pour le premier, contre 30 ans, voire plus pour le second), c’est un nombre énorme de puits qu’il y aurait lieu de forer pour produire une quantité équivalente de gaz. Je demanderais donc à M. Tebboune : où va-t-il trouver les finances nécessaires pour se lancer dans une telle aventure ?
Que compte-t-il faire pour rendre l’opération rentable ? Même dans le cas où il disposerait des dizaines (ou centaines) de milliards qu’exige l’opération, ne serait-il pas plus judicieux d’investir une telle somme d’argent dans d’autres secteurs de l’économie algérienne ? Dans la production d’énergie photovoltaïque notamment, dans un pays où le soleil arrose les 4/5èmes du territoire 365 jours par an ?
Quant à associer un partenaire étranger ou voir une multinationale pétrolière venir prospecter du gaz de schiste en Algérie, j’ai bien peur que ce n’est là qu’un rêve de M. Tebboune. À l’heure actuelle, les États-Unis ont envahi le monde avec leur gaz de schiste produit à très bas coût; ils sont passés du statut d’importateurs à celui d’exportateurs de gaz, entre autres vers le marché traditionnel du gaz algérien, l’Europe. Or le prix de revient du MBtu de gaz de schiste varie entre 2,5 et 2,8 $ aux États-Unis, par comparaison aux 12 à 15 $ en Algérie. Dans des conditions économiques normales et sauf raison politique particulière, je vois mal une compagnie pétrolière américaine venir exploiter du gaz de schiste en Algérie pour y laisser des plumes.
Je doute que même les grandes compagnies européennes, Total ou BP notamment, se hasarderaient à investir dans ce domaine en Algérie.
J’émettrais cependant un petit bémol dans le cas particulier de Total, à laquelle il ne serait pas étonnant que le régime algérien accorde des conditions financières particulières, afin d’acquérir de la part du gouvernement français, la légitimité que ne lui a pas accordée son propre peuple. Il est certain que tout accord passé avec l’une de ces deux compagnies, que des journaleux disent être très entreprenantes, serait suspect dans les circonstances actuelles. Car dans le monde de rapaces qui domine la scène pétrolière mondiale, tout est possible. Il n’est qu’à voir le retournement spectaculaire du tribunal de Milan, qui vient d’innocenter Chakib Khelil et la mafia qui l’entourait, alors qu’il a détourné près de 200 millions d’euros sur les marchés qu’il avait passés avec ses collègues ripoux de l’ENI. En contrepartie de quoi, M. Tebboune ?
À la recherche du soutien du peuple, M. Tebboune nous annonce à cor et à cri qu’il est à l’écoute des revendications de ces millions d’Algériens qui depuis bientôt un an, les portent à la connaissance du pouvoir tous les mardis et vendredis. Je voudrais lui dire que la demande du Hirak de renoncer à l’exploitation du gaz de schiste n’est pas une revendication négociable; l’autoriser serait commettre un crime contre l’Humanité.
Qu’il jette un coup d’oeil sur les nombreuses photos prises sur le site du puits de gaz de schiste foré en 2014 à quelques kilomètres d’In Salah montrant des cigognes, des dromadaires, des oiseaux morts après avoir bu l’eau ayant servi à l’injection ou après avoir tout simplement respiré l’air ambiant; il se rendra compte de ce que sera le Sahara de demain s’il devait mettre à exécution l’initiative “fièrement” annoncée face au parterre de journalistes.
Alors M. Tebboune, renoncez à la folle idée que vous avez eue. La nature a mis sept siècles pour que l’eau de pluie qui s’est abattue sur les montagnes de l’Atlas depuis la nuit des temps parvienne jusqu’à la couche de l’Albien qui couvre tout le Sahara, pour s’y accumuler. Vous risquez, en quelques années, de rendre cette eau inutilisable à jamais. Êtes-vous prêt, vous qui êtes croyant, à assumer une telle responsabilité devant Dieu et les hommes ?
Le 30 janvier 2020