10 novembre 2024
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Avec une baïonnette, on peut tout faire, sauf s’asseoir dessus (*)

DEBAT

Avec une baïonnette, on peut tout faire, sauf s’asseoir dessus (*)

L’un des problèmes les plus épineux en Algérie, est celui de l’accès et de la répartition du pouvoir et de la rente au sein de l’Etat. La désertion des intellectuels du champ politique est aujourd’hui interprétée comme une panne de longue durée.

L’Algérie s’est singularisée par une mainmise des militaires dans les affaires de l’Etat et par leur disposition à l’action dans un champ politique. Même si elle n’agit pas au grand jour, l’armée demeure au centre du système politique. Un système qui accorde un statut privilégié à l’institution militaire.

Un système qui plonge ses racines dans l’histoire (la guerre de libération nationale) et qui se nourrit de la géographie (le sous-sol saharien). Parce que à la fois propriétaire et bailleur de fonds, le rôle omniprésent et omnipotent de l’Etat ne se trouve-t-il pas privilégié ? Pire encore, un tel système n’avait-il pas la prétention de tout régir, tout réglementer, tout entreprendre sans encourir le moindre risque, la moindre sanction ?

Comment est-on arrivé là ? Tout bonnement parce que la propriété publique  offre un terreau fertile à l’ingérence du politique dans l’économie et l’hégémonie du militaire dans le champ politique. Aujourd’hui, la puissance publique n’est plus en mesure de définir et de défendre l’intérêt général. Le système en place est organisé sur une logique de conservation du pouvoir à des fins prédatrices. La prédation repose sur un usage patrimonial de l’Etat considéré comme une propriété privée. L’Etat est le socle par lequel s’organise l’accumulation par la prédation.

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Le processus de privatisation de l’Etat a permis l’émergence de monopoles privés à l’ombre et sous la protection des pouvoirs publics. La corruption est au cœur du fonctionnement du système de prédation. L’essence autoritaire du pouvoir traduit la nécessité d’un appareil coercitif lourd et budgétivore pour contenir les contradictions sociales qu’impose la prédation.

Faut-il occulter le rôle de l’armée en politique et la responsabilité du politique dans la situation présente ? La période post coloniale fût marquée par une politisation des forces armées et une militarisation des partis politiques menant à la confusion et à l’arbitraire. Le militaire et le politique n’ont jamais fait bon ménage. La privatisation de l’Etat corrompt la rationalisation de l’économie. La militarisation du politique s’accompagne souvent d’une corruption du champ économique. Celle çi est favorisée par l’opacité des recettes et des dépenses publiques sans oublier l’absence d’un frein moral, idéologique ou religieux.

L’histoire récente est là pour en témoigner. La construction de l’Etat était calquée sur l’organisation de l’armée du fait de son antériorité. Elle est financée par la rente pétrolière et gazière donc n’a pas besoin de la contribution fiscale des citoyens pour fonctionner. En effet, plus on dispose de ressources financières moins la force est nécessaire pour assurer la paix sociale et le maintien de l’ordre établi. On sait que «chaque armée est au service et obéit aux ordres de celui qui la finance ».

De nombreux penseurs estiment qu’un budget de la défense appréciable, des hauts salaires distribués, une promotion rapide sont très efficaces pour motiver et dynamiser les forces armées et sécuritaires. C’est souligne-t-il le meilleur moyen mais également le plus onéreux de transformer l’armée en un réseau de soutien à l’Etat sans pour cela garantir les résultats escomptés éléments comme en témoignent les expériences malheureuses arabes et africaine. C’est pourquoi, il  semble bien que seule la légitimité des institutions peut empêcher les militaires d’intervenir dans le domaine politique telle que nous le voyons apparaître chez les démocraties occidentales où le militaire s’abstient de s’immiscer dans les affaires de l’Etat n’étant ni de sa vocation, ni de sa compétence.

En respectant les normes constitutionnelles et légales et en privilégiant les débats et le recours au droit, les hommes politiques civils contribueront à disqualifier la force comme moyen de règlement des conflits. C’est l’affaire des politiques.

Gouverner, c’est prévoir. Le rôle des politiques n’est pas d’attendre que les catastrophes arrivent pour réagir mais de les anticiper c’est-à-dire tenter d’éteindre l’incendie avant qu’il ne se déclare et non pas attendre qu’il se déclare pour appeler à la dernière minute les militaires afin de l’éteindre en employant les grands moyens aux conséquences imprévisibles. Pour ce qui est de l’économie, c’est une affaire trop sérieuse pour la confier aux militaires. Prendre des décisions qui engagent plusieurs générations suppose une expertise que les militaires n’ont pas et qu’ils ne peuvent sous-traiter sans se déjuger. Derrière toutes les formes de pauvreté humaine, il y a l’usage de la force. Les dictatures militaires sécrètent la pauvreté, l’ignorance et la dépendance. La pauvreté est généralement la conséquence d’un vol.

Le slogan «klilout bled, ya seleguin » (vous avez dévoré le pays, tous des voleurs) du mouvement de contestation populaire trouve toute sa valeur symbolique parce qu’il émane des profondeurs de la société humaine. Le discours nationaliste des dictatures est le lieu d’un grave malentendu. Cette volonté d’occuper la place du colon implique forcément une subordination par rapport à lui. Dans la tourmente qui enfante les nouvelles sociétés ou qui les étouffe dans l’œuf, les situations semblables créent des jugements semblables.

Le délire de notre temps est en partie issu du mirage du pouvoir. Il s’agit de ce pouvoir  que confèrent systématiquement la position familiale, tribale, ou clanique, la résultante du jeu de diverses contradictions sociales dont quelques minorités sont les bénéficiaires.

Les militaires ne peuvent pas fournir des emplois productifs, assurer la prospérité économique, veiller à la justice sociale, sans compter les autres aspects essentiels que réclame la population comme l’éducation, la santé, la justice. Les militaires, quel que soit la période de l’histoire de l’Algérie post coloniale, avec ou sans argent, ont échoué dans leur tentative de développement économique ou de construction d’un Etat de droit.

Ils ne peuvent gouverner ni directement ni  indirectement. Ce n’est pas dans leur vocation  de développer une économie et de construire un Etat de droit. Comme tout dirigeant qui n’a pas de comptes à rendre à des électeurs, les militaires au pouvoir finissent tôt ou tard  par céder à la corruption et/ou à la répression. Plus l’armée s’ingère dans l’économie et plus elle s’accroche au pouvoir. Les militaires ne renonceront jamais au pouvoir car ils ont pris goût et en tirent des avantages. Quant aux institutions démocratiques, elles mettront du temps à se mettre en place et des hommes intègres et compétents, sans peur et sans reproche, pour les soutenir. Dans l’armée, on ne badine pas, on exécute les ordres et on accomplit des missions. On ne réfléchit pas, on ne discute pas les ordres. La contestation et la négociation ne font pas parti de leur logiciel. Les militaires appellent la population à obéir et non à travailler, à applaudir et non à débattre. En Algérie comme partout en Afrique, l’intrusion en politique des militaires est une pratique courante. Le pouvoir au sein de l’Etat est distribué et détenu sous le contrôle des appareils de sécurité et des forces armées.

L’armée a encouragé la petite bourgeoisie à s’ériger en classe dominante vivant de l’Etat mais n’ont pas le sens de l’Etat; C’est pourquoi,  L’histoire récente de l’Algérie apparaît comme une entreprise systématique d’étatisation de tous les secteurs de la vie économique et sociale du pays visant à soumettre la société à l’Etat avec pour objectif l’appropriation des richesses nationales par une minorité locale prédatrice alliée au capital international sous couvert de socialisme dans le passé et du néo libéralisme au présent.  

Aussi longtemps, croit-on savoir que l’Algérie n’aura pas comblé les fossés économiques et sociaux qui existent au sein de la société entre les rentiers de l’Etat (une minorité) et les laisser pour compte (une majorité) et qu’elle n’exploitera pas de manière rationnelle et indépendante ses propres ressources, il nous semble qu’elle demeurera soumise aux convulsions internes, aux ingérences et à l’exploitation étrangère.

L’émancipation de la population passe par le retrait du militaire de la scène politique et le recul de la rente pétrolière et gazière de la sphère économique. Il s’agit d’un travail de longue haleine qui exige patience et persévérance. Le temps presse …De vraies questions pour avoir de vraies réponses.

Dr. A. B.

(*) Charles Maurice Talleyrand

 

Auteur
Dr A. Boumezrag

 




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