Mercredi 16 décembre 2020
« Ay aggu » de Lounis Aït Menguellet : l’œuvre qui a fait larmoyer Kateb Yacine
Crédit photo : Hayet Aït Menguellet
« Je considère qu’un pays sans artistes est un pays mort…j’espère que nous sommes vivants », M’hamed Issiakhem (*).
Nous sommes certainement nombreux à considérer que si l’âme Kabyle continue d’exister (pour combien de temps encore ?) c’est en grande partie grâce à Dda Lounis et son demi-siècle de créations confectionnées au bistouri poético-linguistique.
Nous aurions tant aimé traduire Ay Aggu du vivant de Kateb Yacine, lui qui n’avait pu retenir quelques larmes à la simple écoute et aux explications de Khadidja lors d’une rencontre entre copains autour de Mohamed Issiakhem, quand la chanteuse en interprétât quelques couplets s’accompagnant d’un simple bendir (*).
Traduire Lounis Aït Menguellet n’est jamais tâche facile, surtout quand on s’acharne à donner aux messages qu’il délivre un fond et une forme conformes à l’œuvre originale.
Dans la série des translations entamée avec Amaçahu (**) et Tudert nni (***), nous vous proposons une version d’Ayaggu, en espérant avoir globalement respecté la lettre et l’esprit de la source du message.
Mot à mot, Ay aggu signifie « oh brouillard », mais pour insister sur son caractère missionnaire le titre « brume messagère » se rapproche au mieux du fil conducteur de l’œuvre.
Brume messagère
Partout mes yeux ont scruté
Partout mes yeux ont cherché
Où repérer un Ami
Ils ne sont plus là
Ils n’arriveront pas de sitôt
Ni maintenant ni bientôt
Où êtes-vous donc
Où êtes-vous partis
Vous qui refusez l’ignominie
Mon cœur refuse de croire
Que vous vous êtes évaporés
Il n’a de cesse de vous réclamer
Il vous retrouve une fois happé par Morphée
Où êtes-vous donc
Où êtes-vous partis
Vous que le temps a enseveli
La peur est permanente
Elle a en mon cœur élu domicile
En moi elle a trouvé
Tout ce que son cœur cherchait
Où êtes-vous donc
Seul votre bonheur
Pourra de moi l’en déloger
La peur martèle
C’est ton cœur que j’habiterai
Maintenant je m’imposerai
Ton salut est auprès de tes amis
Mais ils sont partis
Ils ont disparu
Qui donc te sauvera
….
Comme eux je me suis exilé
Mais la cause est la même
Quand, à mon frère je souhaitais le meilleur
Contre moi Il s’est dressé pour me cogner
Vers d’autres espaces Je me suis exilé
Reste là Mon frère
Désordonne et brouille à ta manière
Souvenons-nous de cette lignée
Pieds chaussés de lanières elle a oublié
Quand à l’ennemi elle roulait le couscous
Moi je leur roulais la mitraille
Une fois le malheur terminé
Sous son autorité je suis tombé
Ton pouvoir ressemble à ce rivet
Planté au chevet pour l’éternité
Moi je défendrais frontière et orée
Sur ta main je me sustenterais
C’est du chêne que j’assemble mes fagots
Et non des cendres du roseau
Aussi loin que mes yeux puissent scruter
Les larmes ne leurs ont jamais manqué
Ils guettent celui qui viendrait
Que nous puissions l’interroger
Ma peine n’est pas pour ta lignée
Mais la terre où nous sommes nés
…
Oh clair de lune
Toi qui inondes nos collines
Oh clair de lune
Où que je sois,
Où qu’ils veuillent être
Je te distingue
Comme Ils te distinguent
Oh clair de lune
J’ai attendu des nouvelles
Hier est pareil à aujourd’hui
J’ai attendu des nouvelles
Aujourd’hui est pareil à demain
J’ai attendu des nouvelles
Hiver comme été
J’ai attendu des nouvelles
Guettant vents et horizons
….
Et la brume vint me retrouver
À mes questions elle a répliqué
Oh mon pauvre Dadais oh !
D’où proviens-tu donc brume
Brume par les vents entraînée
Je viens de là où tu viens
Là où tu ne retourneras pas
Oh mon pauvre Dadais oh !
Qu’as-tu donc vu Toi la brume
Brume par les vents entraînée
J’ai vu ceux que tu chéris
Jamais plus tu ne reverras
Oh mon pauvre Dadais oh !
Qu’est ce qui m’a à l’exil poussé
Brume par les vents entraînée
Depuis que ton père est mort
Scellés furent tes rêves et ton sort
Oh mon pauvre Dadais oh !
Mon frère dirige-t-il toujours
Brume par les vents entrainée
Celui qui dirige sans justice
Qui peut-il craindre pour son trône
Oh mon pauvre Dadais oh !
Dis-moi si injustice il y a
Brume par les vents entrainée
Ceux sont tes frères qui la font
Quand ils s’en lassent la défont
Oh mon pauvre Dadais oh !
L’injustice est donc morte
Brume par les vents entrainée
Ces mêmes frères qui l’ont enterrée
Viennent de la déterrer
Oh mon pauvre Dadais oh !
Quel est donc ton objectif brume
Brume par les vents entrainée
Ceux sont tes frères qui m’ont déléguée
Pour couvrir ton Soleil et t’embrumer
Oh mon pauvre Dadais oh !
Kacem Madani
(**)https://lematindalgerie.comconte-de-chez-nous-amacahu-de-lounis-ait-menguellet
(***)https://lematindalgerie.comtuddert-enni-une-vie-au-passe-de-lounis-ait-menguellet
Pour aller plus loin : https://www.aitmenguellet.net/biographie/