Ils étaient la caricature du parachutiste grossier et tatoué ou des déclassés, souvent illettrés, autant médisants qu’ignorants de leurs boucs-émissaires.
Ils avaient la nostalgie des nervis de l’OAS ou des chemises noires de Mussolini. Seuls les plus lettrés se revendiquaient les héritiers de Barres ou du colonel de La Rocque.
Marginaux, ils étaient les enfants du sentiment de l’échec et du déclassement. Leurs ennemis étaient le sémite, le communiste ou le franc-maçon. Ils n’avaient aucune idée de ce qu’ils représentaient, mais ces gens n’avaient pas la nuance du savoir, ils dégurgitaient tout ce qui était désigné comme le responsable de leur déchéance, de la perte de leur puissance.
Elle était coloniale pour certains, financière pour d’autres et indéterminée pour beaucoup. C’était le moyen pour eux de domestiquer la haine et la frustration de ce qu’ils étaient ou de ce qu’ils croyaient avoir été.
Le fascisme est né de tout cela, avec une forme particulière en France. Un magma de population déracinée en tout, culture, savoirs, position sociale. Et au-dessus de toute cette soupe aussi fumeuse que dangereuse se trouvaient ceux qui l’ont théorisée pour eux.
Ces autres n’étaient pas les personnages rustres et grossiers que nous venons de décrire mais des intellectuelles qui s’enhardissaient de l’adhésion aveugle d’une foule qu’ils dominaient et embrigadaient. Fils d’une bourgeoise bien-pensante, ils sont l’élite qui façonne des idées que des personnages fantasques ou burlesques de l’histoire suivent, comme Mussolini ou Hitler.
Leur sensation de domination se nourrit de la colère, de la frustration et du sentiment de déclassement des foules. Ils pensent avoir trouvé leurs justifications dans la croisade contre ceux qu’ils désignent comme les ennemis de leur race pure, de leurs origines historiques glorieuses et de la mission divine de civilisation des peuples inférieurs.
Cependant, ils ne sortaient à la lumière que lorsque les événements leur permettaient de se griser de la lutte collective. Sinon, ils n’osaient jamais se dévoiler et jamais ils n’avouaient aux instituts de sondage leurs opinions politiques. C’est paradoxal car ils donnaient l’impression qu’ils avaient conscience de suivre l’innommable, le mal absolu, celui qui dénonce, torture ou envoie à la mort.
Ils le savaient mais se protégeaient d’une bonne conscience que leurs opinions servaient la gloire de la patrie et du peuple soumis aux influences étrangères menaçantes.
Mais tout cela est fini. Ils sont sortis à la lumière du jour et leurs troupes ne sont plus dirigées par la caricature de l’ancien parachutiste, défenseur de l’idée coloniale et suprématiste, dont la figure caricaturale était celle de Jean-Marie Le Pen.
Le nouveau gourou est jeune, pétri de culture de son temps. Jordan Bardella maîtrise les réseaux sociaux et le discours qui tranche avec celui de ses prédécesseurs dont il est l’héritier.
Jordan Bardella emporte l’adhésion des foules qui l’accueillent comme une star. Les jeunes filles hurlent leur enthousiasme lorsqu’elles l’approchent. Ils sont venus l’acclamer, lui, la figure enchanteresse de Tik Tok.
Une jeune fille a déclaré au journaliste qu’elle n’était pas une adepte du Rassemblement National mais qu’elle a été séduite par les paroles du beau Jordan Bardella dans ses vidéos suivies par des millions de jeunes.
Pourtant, il n’a pas renié la vieille garde, celle qui défilait en chemise noire avec le salut fasciste. Ils sont toujours là et voient dans ce jeune et brillant jeune homme l’image du « parfait gendre ».
Parole lisse, vêtements très conventionnels et sérénité solide, Jordan Bardella a relégué l’habit et la posture de la peste noire aux placards de l’histoire. Marine le Pen avait voulu « dédiaboliser » un mouvement politique qui sentait le souffre et le sang par le visage de son père.
Oui mais voilà, elle porte le nom de son père et n’est pas l’enfant de TiK Tok et autres universités numériques de la jeunesse actuelle. Jordan Bardella est la beauté du diable, il se dissimule, ruse et avance en promesse de la régénération du peuple meurtri.
La beauté du diable, celle de Faust, rapportée par Goethe qui reprend un mythe ancien. Méphistophélès, un démon chassé du royaume de Satan négocie avec un savant dans le déclin et le désespoir. La promesse lui a été faite du retour à la fougue créative de la jeunesse s’il signe un pacte avec le diable. Il lui envoie un jeune homme dont le visage et la capacité scientifique lui sont promises
Jordan Bardella est la créature envoyée par le diable pour redonner aux foules le sentiment du retour aux gloires passées. Il est la beauté du diable, celle qui a été promise à Faust. La foule en est tombée sous le charme et l’adule dans le temple de toutes les illusions, TiK ToK.
Mais ce qu’elle oublie c’est que Tik Tok est aussi éphémère que le déroulé des vidéos qui le saturent. Elles passent à la vitesse du défilement du doigt, l’une chassant l’autre.
Bardella est la promesse faite à Faust, elle est aussi trompeuse qu’éphémère. Le diable a obtenu la signature de sang de ces jeunes, ils n’auront que l’illusion de la promesse car la beauté de la jeunesse ne sera pas éternelle comme le promettait le contrat.
Boumediene Sid Lakhdar