Mardi 21 mai 2019
Basta ! avant d’insulter un peuple, soignez votre vision de l’histoire de l’humanité
Comment ne pas avoir un haut le cœur quand on lit des phrases dans le Matin d’Algérie du 19 mai (1) certainement puisées par leur auteur dans l’arsenal des anthropologues coloniaux qui déclaraient que la violence faisait partie de l’ADN des Algériens.
Les phrases en question sont les suivantes : les « habitants » (Algériens), ils étaient dirigés, de gré ou de force, par n’importe qui passait par-là, par quiconque accostait sur leurs côtes ou foulait leur terre’’. Je ne veux pas faire appel à la psychanalyse mais je ne peux m’empêcher de penser à ces femmes qui font commerce de leur corps dans la rue à la merci d’individus pourvu qu’ils paient le droit de cuissage.
Ce Monsieur pourrait trouver une ‘’meilleure’’ comparaison au lieu de nous divulguer les non-dits de son ‘’jardin secret’’. Autre phrase ; le nom d’«Amazighs » (2) (hommes libres ) comme en a témoigné Ibn Khaldoun, mais ils ont passé le plus clair de leur temps sous une domination ou une autre, orientale ou occidentale. C’est à croire qu’ils ont choisi le nom qui convenait le moins à leur réalité. »
Inutile de fatiguer le lecteur en disséquant cette énormité de méchanceté mais surtout d’ignorance crasse de l’Histoire. Ignorance crasse car toute l’Histoire de l’Humanité se résume en un mot, le nomadisme. On sait aujourd’hui que des groupements humains ont tour à tour dominé pour être dominés à leur tour, etc…. Pour ne pas remonter à la nuit des temps, rappelons à cet ‘’intellectuel’’ hors catégorie qu’un pays qui semble le fasciner s’appelait jadis pays des Gaulois qui avait peur du tonnerre, spectacle qui faisait rire Jules César. Et au 19e siècle, le Jules Césaire de l’époque nommé Napoléon a avalé en une seule bouffée le pays de Jules César pour ensuite nommer roi d’Italie un rejeton de la famille des Bonaparte.
Et que le pays des Gaulois s’appelle aujourd’hui France après avoir été conquis par n’importe qui, c’est-à-dire la Germanie, pays de Goethe, de Hegel et de Marx (pardon si ce philosophe donne la nausée à certains). Je fais grâce du pays de Platon où naquit un certain Alexandre le Grand qui conquit la moitié du monde connu à son époque et qui aujourd’hui doit pleurer des larmes de sang en voyant son pays servir de serpillière aux requins de la Finance mondialisée.
Quant aux Incas, Aztèques, Égyptiens qui ont construit des villes au sommet des montagnes et des pyramides dans le désert, ils fascinent plus l’Humanité que les constructeurs des Tours d’un pays qui a massacré 90% des autochtones et pour qui cet ‘’historien’’ bien de chez nous et donneur de leçons, semble le regarder (les USA) avec les yeux de Chimène pour Rodrigue.
Après avoir insulté le peuple (soit dit en passant, il nous a habitué déjà à ses définitions de nation et d’État dignes d’un étudiant de première année de faculté), ce contributeur s’est joint à la cohorte de ‘’spécialistes’’ pris par le vertige du vide constitutionnel. Une sorte d’angoisse, produit d’une impossibilité de faire la synthèse entre la fiction d’une constitution et la dure réalité des bouleversements de type révolutionnaire. C’est pourquoi on assiste à des propositions sitôt rendues publiques s’évaporent aussi sec sous la pression du mouvement populaire. La raison ? la non-crédibilité des propositions aggravée par la vacuité du sens des mots ou des concepts.
Ces ‘’spécialistes’’ ont beau tourner la situation dans tous les sens, ils retombent sur l’écueil des deux forces réelles présentes sur le ‘’champ de bataille’’, celle qui veut conquérir le pouvoir et celle qui veut le garder en l’aménageant. Quand on a le nez sur le guidon, on ne peut pas voir très loin aussi bien dans le rétroviseur que devant soi. Connaître la chronologie de l’histoire, c’est bien mais extraire la nature et les effets d’un événement historique c’est plus que nécessaire.
Tout le monde connaît le parcours de la prise de pouvoir par des forces alliées depuis le congrès de Tripoli jusqu’à nos jours. Beaucoup de gens se ‘’contentent’’ de cette vérité des dates. Sauf que la plupart de cette catégorie de gens oublient que les dits événements ont eu lieu pour atteindre un objectif. Lequel objectif visait à construire des institutions qui reproduisent toujours le même système. Et c’est le Hirak, ce mouvement du 22 février qui veut dérégler cette froide machine en posant clairement et ouvertement le dégagisme du système. Qui mieux qu’une intelligence collective, par nature celle du peuple (ce peuple que le monsieur avait traité de ‘’ghachi’’) peut ébranler la carapace de tout système. Survons à la vitesse grand V l’histoire de ces étapes d’hier et d’aujourd’hui pour connaître de quoi ont-elles accouché ces grandes dates de l’histoire récente ?
1962 : Congrès de Tripoli et prise de pouvoir à Alger. Alliance de l’armée et du FLN (bureau politique) contre le GPRA. Débarrassé du pouvoir civil du GPRA, l’Etat est bicéphale, armée/parti FLN.
1965 : Coup d’Etat, l’armée se débarrasse de son allié FLN et se contente de ‘’présider’’ un conseil de la révolution. Boumediene est accaparé par son objectif ‘’construire un ‘’Etat qui survive aux hommes’’.
1988 : Émeutes populaires. Le FLN est dépouillé de son ‘’aura’’, l’Etat devient le seul acteur dans le champ politique, il se débarrasse de son bras idéologique en la personne de Messaâdia. Le libéralisme économique a pignon sur rue sans complexe en contrepartie de la légalisation du multipartisme.
2019 : Surgissement du Hirak. Depuis 2013 l’État est ‘’orphelin’’ de son chef. La légitimité ‘’constitutionnelle’’ n’est même pas respectée. On ne ‘’sait’’ pas qui dirige l’État qui devrait être en main 24/24, 365/365 jours par un homme valide et visible. Un État ‘’orphelin’’ c’est un pays orphelin, situation insupportable. Heureusement que le peuple (ce fameux ghachi est là) sent le danger. Il constate que l’État est menacé par le système lui-même. D’où le dégagisme et l’impérieuse nécessité de s’approprier la souveraineté du peuple.
A travers ces différentes dates, la longue et lente construction de l’État par le biais d’alliances imposées par la conjoncture. A ça il ajouter le peuple constamment mis en marge de la vie politique. Ces deux faits politiques d’une extrême gravité ont alimenté la rupture entre la société et l’État. Cette rupture on la constate avec une ampleur inégalée qui anime des millions de personnes dans les rues. Depuis le 22 février la vie politique tourne autour de deux objectifs :
1) L’objectif de la souveraineté du peuple est incompatible à l’existence du système qui a rendu orphelin et l’État et le pays.
2) La difficulté de dégager une solution politique est due à la complexité de la situation, les questions brûlantes de la place de la femme, de la religion, les peurs et préjugés de la question des langues et de la décentralisation régionale… Et toutes ces difficultés sont alourdies par une sorte d’incapacité de la ‘’classe politique’’ à lire le réel politique et à auto-intoxiquer par le fétichisme du juridisme. Il faut dire que la dite ‘’classe’’ souffre d’un manque de confiance pour ne pas dire de rejet de la part de la quasi-totalité des citoyens. Et en politique le manque de confiance est aux yeux du peuple un handicap majeur, un facteur non négligeable en politique pour ne pas dire essentiel.
Il est certain que le 22 février a mis en branle une machine qui ne permettra plus la cooptation d’un président, d’une assemblée nationale ‘’élue’’ en fonction d’un coefficient appliqué à des quotas selon le degré de leur servilité. L’issu du mouvement actuel sera pour les partis politiques une opportunité de remplir leur véritable rôle et non de servir de décor pour un ‘’démocratie’’ spécifique.
Un rôle de véritable représentation des intérêts de leurs couches sociales en combattant les archaïsmes de la culture féodale et les préjugés légués par notre histoire. Et cet héritage est passablement lourd… on se permettait d’affubler les citoyens de contre-révolutionnaire ou bien de mécréant et autre inepties fruits de l’ignorance et de l’intolérance. Image d’une société qui a peur du changement. Mais heureusement les manifestants dans tout le pays nous disent qu’il y a pas de fatalité dans la soumission à des valeurs rendues caduques par la vie elle-même qui ouvre les bras à la connaissance et regarde l’Autre, l’étranger sans la crainte d’être en territoire ennemi.
Ali Akika
Notes
(1) Article par Nour Eddine Boukrouh
(2) Les guillemets sont de l’auteur du texte en question