AccueilChroniqueBelcourt, un 11 décembre, 60 ans avant Gaïd Salah, par Mohamed Benchicou

Belcourt, un 11 décembre, 60 ans avant Gaïd Salah, par Mohamed Benchicou

REGARD

Belcourt, un 11 décembre, 60 ans avant Gaïd Salah, par Mohamed Benchicou

Une tache rouge, un cri, le sans de l’étudiant, une larme, les mères pleurent toujours en silence…

Ils ont coincé l’anniversaire du 11 décembre entre un verdict de leurs juges condamnant leurs serviteurs et une élection baroque décidée pour élire d’autres frais serviteurs.

Le 11 décembre ne rappelle plus le premier parfum de l’enfance, seulement le dernier soupir de nos mères. Elles étaient sorties, belles et insouciantes. Te rappelles-tu, patriarche ? Aujourd’hui, le fils n’est pas rentré. Il manifestait pour retrouver l’indépendance que son père avait égarée.

De quoi est fait ton sang, frère ?

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Tant de siècles sont passés, frère, et j’entends toujours, les soirs où je traverse la cité désabusée, ces hurlements de chiens solitaires qui descendent des masures délabrés du quartier de Cervantès,  Belcourt qui a tant donné et si peu reçu, territoire des serments oubliés, « cette victoire sera la vôtre, témoignez, témoignez… », Belcourt, bourg mal urbanisé, ni beau ni laid, sans avenir et sans mémoire, du temps où ma mère implorait le Ciel, «quand verrons-nous donc le jour de Houria ? » et que je croyais le bonheur maternel entre les mains de ma tante paternelle, Houria, à la fois tante et mirage, qui m’apparaissait alors comme la plus belle offrande de Dieu.

Pendant si longtemps, j’avais imaginé l’Indépendance dans le corps d’une belle créature. Mais le général m’a réveillé de mes songes et aujourd’hui, les mères sortent dans la rue, dans Belcourt mères folles, qui crient, 60 ans avant Gaïd Salah, les mots de leurs mères, « Tahia l’istiqlal », 60 ans après Bigeard, un siècle après la nuit de du 8 mai, dans Belcourt qui cherche toujours un goût de liberté ou quelque chose qui ressemble au bonheur, Belcourt qui se console en cultivant le génie inégalable de s’ériger en étranger à sa propre tragédie.

Ici, pour ne pas en pleurer, ici on rit de son propre malheur et lance un regard et on se regarde survivre avec une goguenarde philosophie, en s’amusant de tout, la vie, la mort, le passé, l’avenir, la patrie, les hommes, sa propre misère, surtout sa propre misère et, qui sait, peut-être même Dieu !

J’apprendrai, plus tard, que c’était une façon d’échapper à sa détresse. Même dans le quartier de Cervantès, dans Belcourt des pauvres gens, même à Cervantès, assemblage de masures loqueteuses où l’on croupissait jusqu’à la mort, même à Cervantès on avait appris à piéger son malheur dans l’autodérision pour mieux l’endurer. Un don des frères Yamaha, mi-clowns mi-héros, qui savaient si bien parodier leur propre tragédie, quand partout ailleurs, on s’en bouleversait.

Que faire d’autre ? Belcourt a tout essayé, l’espoir, la patience, la colère, mais rien n’a fait revivre les serments  [« Ô vous qui allez nous juger…Nous reprendrons nos terres et notre honneur. Notre victoire sera la vôtre… Témoignez, témoignez]. alors Belcourt se réfugie dans le football, fatiguée d’avoir tant défilé pour ces choses qui sont restées bien étranges, la dignité, le droit d’exister, la démocratie, slogans d’automnes rouges de sang et de colère, un 5 octobre 1988, mon fils, un automne de Belcourt, comme l’automne de mon père, ce 11 décembre 1960, sur injonction des édiles de l’ombre, les hurlements de Belcourt bouleverseraient la planète et parviendraient jusqu’aux oreilles des Etats en conclave à New-York, avaient-ils assuré.

« Ce fut ici, mon enfant… », ce fut ici, de ces hauts lieux de l’héroïsme ancien, ce fut d’ici, dans Belcourt insurgé, un matin d’automne, drapeau à la main, à travers le boulevard Cervantès et les rues miteuses de notre enfance, la rue de l’Amiral-Guépratte puis le marché indigène d’El-Aqiba, ce fut d’ici, dans les quartiers européens, l’emblème vert à la main, dans les quartiers où on n’allait jamais, devant le café Quiko, le Monoprix et le cinéma Roxy, la rue de Lyon et ses belles devantures, la rue de l’Union, puis la rue Lamartine, ce fut ici que partit le cri d’un peuple : « Indépendance ! »  

Aucun général, Bigeard, Gaïd Salah, Massu ou Pétain n’a survécu à un tel cri.

Mais Gaid Salah ne le sait pas encore

Auteur
Mohamed Benchicou

 




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