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Belkassem Ben Sedira, l’érudit chaoui

Il a adopté les caractères latins pour transcrire la langue kabyle

Belkassem Ben Sedira, l’érudit chaoui

Le lobby arabo-islamiste en Algérie, à travers ses médias et ses influences, dépense énormément d’efforts et d’énergie pour imposer à la future académie de tamazight une direction qui approuvera les caractères arabes pour la transcription de tamazight. S’il sait que le terrain est perdu d’avance en Kabylie, qui a depuis longtemps fait son choix, il joue sur le terrain du pays chaoui en semant la division entre les partisans pragmatiques du caractère latin et les adeptes du caractère arabe pour des raisons idéologiques.

La sortie récente du réseau « Awal » d’écrivains et chercheurs chaouis, qui vient de faire un communiqué sur la question de la transcription de tamazight, est à saluer. On y lit : « A ceux qui soutiennent mordicus que les Aurès ont opté pour la transcription en caractère arabe, le réseau Awal précise que les Auressiens n’ont mandaté personne pour parler en leur nom ».

Le réseau « Awal » rappelle que «l’utilisation des caractères arabes n’a jamais été évoquée dans notre région et que la polémique sur l’utilisation des caractères, a pour objectif d’entraver le développement de tamazight et de faire signer aux Auressiens leur acte d’isolement des autres régions amazighophones».

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Cette sortie nous fait penser à un homme de lettres chaoui du nom de Belkassem Ben Sedira, né en 1845 à Biskra et décédé en 1901. En tant que professeur à l’École supérieure des lettres d’Alger, il fut parmi les premiers à utiliser les caractères latins pour  transcrire la langue kabyle en consacrant une partie de sa vie à monter tout un programme pour décrire les us et coutumes de la Kabylie mais aussi à enseigner la langue kabyle.

Il fut un très brillant élève qui a obtenu une bourse d’études et envoyé ensuite par le Gouverneur Général à l’École normale de Versailles où il passa quelques années (1860-1863).  A 21 ans, il fut nommé professeur à l’École Normale d’Alger. En 1882, Ben Sedira fut nommé à la Cour d’Appel pour son érudition, sa parfaite connaissance des mœurs indigènes mais surtout sa maîtrise des deux langues arabe et kabyle. Il fut l’auteur d’une série d’ouvrages destinés à vulgariser l’arabe algérien et le kabyle usuels. Son histoire avec la Kabylie commença en 1886 lorsque le Gouverneur général Tirman le chargea d’une mission dans les tribus kabyles du Djurdjura et de la vallée  de la Soummam pour recueillir sur place tous les éléments propres à faciliter l’étude de la langue kabyle.

L’ensemble de ses recherches ont été rassemblées en 1887, sous forme d’un livre, publié chez l’éditeur Adolphe Jourdan (Alger), intitulé « Un Cours de langue kabyle, grammaire et versions ». La même année son collègue de l’École supérieure des lettres d’Alger, René Basset a également publié aux éditions Maisonneuve & Ch. Leclerc (Paris) un livre intitulé « Un manuel de langue kabyle ». René Basset est devenu par la ensuite une référence en occupant le principal pôle des études berbères pour bien longtemps.

De l’avis des spécialistes, le livre de Belkassem Ben Sedira est une source de premier plan sur les traditions et coutumes, la collecte des contes, devinettes, fables, chansons et légendes kabyles, et enfin la langue kabyle (grammaire et conjugaison).

Dans l’introduction de ce livre, intitulée « mission en Kabylie », Belkassem Ben Sedira explique son choix pragmatique pour les caractères français, dérivés de L’alphabet latin (ou romain), pour transcrire la langue kabyle.  Ainsi à la page 13, on peut lire ceci:

« La transcription des textes a été l’objet d’un examen minutieux. Le kabyle n’étant pas une langue écrite, il m’a fallu adopter un procédé susceptible de conduire sûrement à des résultats rapides. A cet effet, j’ai dû recourir à l’alphabet français, pour me mettre à la portée du plus grand nombre, sans imposer à personne la connaissance préalable de l’arabe. J’aurai pu, il est vrai, ajouter la transcription en cette langue; mais à quoi bon. Cette transcription n’intéresserait d’ailleurs que les arabisants: ils leur suffit d’être initiés au système en usage, pour comprendre la valeur des 8 ou 9 combinaisons alphabétiques destinées à reproduire la phonétique kabyle».

Plus loin à la page 74 il est écrit: « Ils (les Kabyles ) n’ont point d’alphabet, ou si jamais ils en possédèrent un, le souvenir s’en perd dans la nuit des temps ». Dans une note de bas de page, Belkassem Ben Sedira précise que les Touaregs sont les seuls, parmi les peuples berbères qui possèdent un alphabet; le tifinagh.

Belkassem Ben Sedira expliqua pourquoi l’alphabet arabe est inadapté pour la codification de la langue kabyle en ces termes:

« On doit donc recourir à un système graphique spécial pour reproduire dans un livre la prononciation du kabyle. L’alphabet arabe la rendrait peut-être mieux que tout autre; mais ici il faut l’écarter pour deux raisons majeures : d’abord, la cherté de l’impression des caractères orientaux, surtout quand ils sont munis de signes voyelles ou orthographiques indispensables dans ce cas; ensuite l’obligation pour les personnes qui voudraient n’apprendre que le kabyle, d’avoir à étudier, sans nécessité, un nouveau système d’écriture.) ».

Au premier chapitre de la partie du livre et intitulée: « Éléments de grammaire kabyle », Belkassem Ben Sedira justifia davantage le pourquoi du recours aux caractères français (latins)  en écrivant ceci:

« L’alphabet français étant à la portée du plus grand nombre, mérite la préférence et s’impose à notre choix. Il n’a pas assurément l’avantage de renfermer tous les sons kabyles; mais les plus difficiles de ces sons peuvent être représentés par des lettres conventionnelles, semblables à celles qui figurent dans les ouvrages destinés à l’enseignement et à l’étude de l’arabe. Il suffit de les signaler au début, pour permettre à chacun de s’en rendre compte par lui-même ou en s’exerçant avec un indigène ».

Pour rappel, les colons français ont beaucoup investis dans les études sur la société et de la langue kabyles. Ainsi de nombreux religieux, militaires et professeurs de lettres et de la sociologie ont écrit sur la Kabylie et sa langue. Le Général Adolphe Hanoteau (1814-1897) avec son livre intitulé Essai de grammaire kabyle, édité la première fois en 1857 à la librairie-Éditeur Bastide (Alger) en est un exemple. Le livre en question a connu un grand succès au point ou une 2ème édition a vu le jour en 1906 à la Typographie Adolphe Jourdan (Alger).

Dans ses recherches sur la Kabylie et sa langue, Belkassem Ben Sedira était principalement inspiré par les travaux du général Adolphe Hanoteau. Sur ce dernier Il a écrit: « Je m’estimerai heureux si je puis dignement continuer l’œuvre commencée par M. le général Hanoteau, dont l’excellent « Essai de grammaire kabyle » nous a, le premier, ouvert la voie et inspiré le goût des études berbères.)».

Enfin il est important de rappeler que bien avant Belkassem Ben Sedira , en 1881 un érudit kabyle, du nom de Ahmed Ben Khouas, a publié chez Typographie Adolphe Jourdan,  un livre intitulé «Notions succinctes de grammaire Kabyle».

L’ensemble des travaux sur la langue kabyle et sa codification en caractères latins d’Hanoteau à Ben Sedira et René Basset en passant par Ahmed Ben Khouas et autres pères blancs (Creusat, Olivier, Huyghe, ….), ont inspiré les autochtones kabyles travaillant dans l’administration française comme interprètes-traducteurs, journalistes, instituteurs ou hommes de lettres. C’est ainsi que les A. S. Boulifa, Jean Amrouche, Belaid At Ali, Mouloud Feraoun et Mouloud Mammeri ont adopté les caractères latins

Mouloud Mammeri, en linguiste grammairien émérite, a doté tamazight (dans toutes ses variantes) d’un alphabet gréco-latin adapté et d’une grammaire moderne avec des néologismes ajustés à l’expression de réalités modernes en la faisant sortir du cadre oral vers l’écrit. Ceci a permis l’émergence de plusieurs générations d’écrivains depuis le premier roman  de Rachid Aliche en 1981 jusqu’au jour d’aujourd’hui ou on compte des centaines d’écrits entre romans, nouvelles, articles de journaux et thèses de magistère et de doctorat. Tout a été écrit en tamεamrit à base de caractères gréco-latins.

Je considère que le débat actuel sur le système de transcription pour les langues amazighes (kabyle, chawi,…) et les polémiques qui s’en suivent, sont inappropriés. Plus de deux ans après la nouvelle constitution, la prochaine académie telle que promise n’est pas encore installée. Ce retard cache-t-il quelque chose?

Tout indique que c’est lié au casse-tête de la transcription en caractères arabes ou latins. Les décideurs sont-ils en train de prolonger le débat et la polémique exprès pour enfin imposer les caractères symboliques Tifinagh comme solution d’arbitrage à la marocaine? Ou bien vont-ils décréter la polygraphie comme le laisse entendre certains spécialistes. Une chose est certaine, ne pas adopter tamεamrit c’est aller en contre-sens de l’histoire et du pragmatisme populaire.

Auteur
Racid At Ali uQasi

 




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