Lundi 21 juin 2021
Blé tendre français « hallal », blé dur saharien « haram » ?
« Le peuple souffre et crie famine, les responsables l’approuvent et l’applaudissent » Talal Ghozn
Le blé est à la base du régime alimentaire des algériens. L’Algérie est le principal débouché du blé français tendre à l’exportation. Au cours de la période 2018/2019 le pays a importée 68 % de blé d’origine française Un blé de bonne qualité avec un prix concurrentiel. Cela n’a pas empêché l’Algérie de refouler un bateau de blé impropre à la consommation. La presse a rapporté la présence d’un cadavre de cochon dans la cargaison. Le critère qualité qui était en faveur de la France semble subir les aléas de la conjoncture. La dépendance alimentaire met en danger la survie de la population. Le pays importe 90 % de ses besoins en blé notamment de France.. l’Algérie nous dit-on n’en produit pas suffisamment pour satisfaire les besoins croissants de la population raison des conditions climatiques défavorables.
L’agriculture nous affirme-t-on est loin de pouvoir réaliser l’objectif d’autosuffisance en matière de céréales à un moment où les pays fournisseurs étrangers cherchent à réduire leurs ventes de biens agricoles et où les cours mondiaux du blé remontent dopés par la demande algérienne. L’Algérie se classe parmi les premiers pays importateurs de blé dans le monde.
La dépendance en matière de blé dur, denrée de base pour la population s’aggrave dangereusement. Aucune réforme de fond n’a été engagée pour réduire la dépendance alimentaire. Au contraire, l’Algérie poursuit cette même logique suicidaire de satisfaction des besoins des populations par des importations de plus en plus massives et onéreuses. La rente pétrolière et gazière rend pratiquement inutile la production agricole et la facilité de payer les importations croissantes joue un rôle dissuasif non négligeable vis-à-vis de l’urgence du développement agricole. Alors que pour notre voisin de l’ouest, « gouverner c’est pleuvoir » pour les algériens, « gouverner c’est importer ».
L’ajustement du niveau de consommation aux ressources alimentaires a entraîné un processus d’importation de biens alimentaires de plus en plus chers sur le marché mondial. L’insuffisance de l’offre agricole locale est due essentiellement à la médiocrité des rendements qui n’enregistrent aucun progrès appréciable. Les superficies consacrées à la céréaliculture n’ont connu aucune augmentation sensible ont au contraire régressées par rapport à la période coloniale. Le facteur explicatif est l’eau car disent les experts au-dessous de 400 mm de pluie la céréaliculture est impraticable et les rendements dérisoires. Si la pluie était un produit fabriqué par les usines occidentales, on n’aurait pas hésité à l’importer pour peu qu’on touche sa commission au passage.
Heureusement que l’eau est un don de Dieu et non un produit marchand, et qu’elle se trouve en quantité industrielle dans le sous-sol saharien, que Dieu soit loué. Il est miséricordieux. La moyenne des rendements se situe autour de neuf quintaux à l’hectare comparée aux rendements céréaliers obtenus dans d’autres pays qui sont de l’ordre de quarante quintaux soit à peine le quart, l’un des derniers rangs au monde.
La crise qui affecte la production a des origines lointaines : elle découle de la spécialisation à laquelle a été soumise l’agriculture durant la période coloniale vers la satisfaction des besoins de la métropole et donc déconnectée des besoins de la population locale et des causes plus récentes se rapportant à la politique « socialisante » menée aux pas de charge au lendemain de l’indépendance par les pouvoirs publics.
Les difficultés du secteur agricole ainsi que la faiblesse de la production céréalière sont à l’origine de la persistance et de l’approfondissement d’un vaste mouvement d’importations massives et coûteuses. Ces importations jouent le rôle de soupape de sécurité pour le pouvoir parce que empêchant que la crise du secteur agricole ne traduise la faillite totale d’une économie largement dépendante de l’extérieur pour sa survie. «
Et le cargo diabolique nous enchaîna à tout jamais » tant pour l’exportation de notre seule richesse naturelle exportable (les hydrocarbures) que pour l’importation de notre nourriture et de nos médicaments ». Mais l’horrible vérité, c’est peut-être que les gouvernants qui se sont succédés ont besoin des importations pour asservir leur population. Un peuple de paysans indépendants vivant de ses récoltes pourrait devenir têtu et fier pour demander l’aumône à ses dirigeants. C’est pourquoi les premières victimes des politiques agricoles sont les paysans indépendants et ce, à commencer par la révolution agraire.
La révolution agraire a donné l’illusion que la justice sociale est rétablie alors qu’en réalité c’est le travail de la terre qu’on enterre. La rente pétrolière rend dérisoire le surplus agricole potentiel et la facilité de payer les importations croissantes joue un rôle dissuasif vis-à-vis de l’urgence du développement agricole. Les importations sont un instrument imparable d’aliénation très efficace qui permet aux élites dirigeantes d’accumuler plus de pouvoir et plus de richesses. Mais cela peut également les mener à leurs pertes.
La flambée des prix de produits alimentaires sur le marché international a été un des facteurs déclenchant de la chute des dictatures arabes et africaines. L’Algérie se trouve dépendante du marché international pour son approvisionnement en produits céréaliers dans la mesure où elle est satisfaite par un groupe limité de pays dont la France d’où l’extrême vulnérabilité économique et la fragilité de son équilibre alimentaire.
Face à cette situation contraignante où le taux de dépendance croît rapidement et d’une manière alarmante, est-il possible de renverser la vapeur ? C’est à dire d’augmenter l’offre locale. Pour augmenter l’offre alimentaire, on peut, soit étendre la superficie cultivée soit améliorer les rendements. L’agriculture saharienne offre des perspectives rassurantes pour peu que la volonté politique soit manifeste.
Les pays développés soutiennent la production, les pays rentiers soutiennent les importations c’est-à-dire financent la dépendance du pays aux variations des prix vers la hausse sur les marchés internationaux rendant vulnérables leurs populations.
L’Algérie est le seul pays au monde à négliger ses paysans, ses artisans, ses travailleurs qualifiés, ses fonctionnaires honnêtes, ses penseurs, ses créateurs alors qu’aujourd’hui en Europe, aux Etats-Unis, le revenu des paysans est protégé et subventionné et la terre prend de la valeur. La revalorisation de la terre serait un moyen de redonner à l’Algérien le goût du travail et non l’envie de fuir le pays ou de mettre sa vie en péril dans des embarcations de fortune. La fin du pétrole va creuser la faim dans le monde. La famine sera le critère biologique déterminant de sélection des peuples à la survie.
C’est dire toute la responsabilité du choix des hommes devant conduire le destin de la nation. Que l’argent du sud retourne au sud, le nord en a fait un très mauvais usage. Le financement de l’agriculture par les recettes pétrolières s’est avéré un fardeau trop lourd à supporter. L’Algérie n’était-elle pas le grenier de la France coloniale au XIX siècle ? Il est vrai que la population ne dépassait pas quatre millions d’âmes et qu’aujourd’hui, elle compte dix fois plus. Comme il est juste de dire que l’Algérie utile se trouvait au nord (10 % du territoire) et qu’actuellement, elle se trouve au sud (90 % de la superficie totale). Une fois les gisements pétroliers et gaziers épuisés et l’indépendance du pays compromise, le Sahara sera-t-il de nouveau le grenier de l’Europe ? ou sera-t-il une nouvelle fois sacrifié pour produire des hydrocarbures non conventionnelles après avoir servi de terrain d’expérimentation de la bombe atomique française, des armes chimiques et avoir arrosé l’économie européenne d’un pétrole abondant et à bon marché, et ainsi avoir assuré la survie artificielle d’une civilisation matérialiste occidentale en déclin ? Est-ce la fin des temps ?
L’agriculture saharienne, de surcroît une agriculture « bio à bas prix », n’est pourtant pas une utopie avec une lumière abondante, de grandes surfaces à perte de vue, une énergie solaire à profusion, des ressources en eaux souterraines accessibles captées, transportées, traitées, exploitées rationnellement comme dans le passé ancestral ou mieux encore, une main d’œuvre qui ne demande qu’à être employée, les techniques de production modernes existantes, un financement à portée de main.
Des oasis verdoyantes fleuriront. Les populations se déplaceront, les algériens se remettront au travail, des îlots de vie apparaîtront, l’espoir renaîtra. Une ceinture verte de sécurité alimentaire des peuples de la région se formera ; elle sera plus profitable et moins coûteuse que toutes les armées sophistiquées réunies du monde mobilisées pour la protection des puits pétroliers et gaziers, vitaux pour le pays et d’un intérêt indéniable pour l’occident. L’Europe y trouvera certainement son compte et apportera sans aucun doute son savoir-faire pour ne pas courir le risque d’être envahie par les peuplades venant du Sud dans des embarcations de fortune traversant une méditerranée devenue au fil des ans le cimetière des africains.
« L’Algérie est capable d’accompagner les Etats du Sahel dans l’agriculture et la sécurité alimentaire » a déclaré le Directeur Général de la FAO à la réunion des ministres de l’agriculture des pays membres du Centre international des hautes études agronomiques du bassin méditerranéen (Ciheam). Que les pipes line et les gazoducs prennent la direction du sud. La paix dans la région passe par le développement de l’Afrique. Il y va de la protection de l’occident. Idées chimériques ou idées prometteuses ? Le pays doit tourner le dos à l’Europe et regarder en direction de l’Afrique subsaharienne.
Que l’argent du sud retourne au sud, le nord en a fait un très mauvais usage avec évidemment la connivence du grand Nord qui défend les droits de l’homme, de l’homme occidental évidemment. Un grand Nord qui ne cherche que le pillage du grand Sud. Avec une densité de cinq habitants au kilomètre carré au sud et deux cents habitants au kilomètre carré au nord, l’Algérie est un bateau qui chavire. La remise à flots suppose évidemment une répartition judicieuse de la population et une exploitation rationnelle de ses ressources humaines laissées en jachère par les politiques économiques suicidaires menées à la faveur d’une manne pétrolière et gazière providentielle en voie de tarissement dans un avenir très proche. Le blé du Sahara peut-il contribuer à l’autosuffisance en Algérie s’interroge une revue américaine ?
Elle y répond sèchement : « seuls des projets agricoles intégrant le contexte économique algérien et les ressources humaines sont susceptibles de favoriser un développement socialement équilibré ». Mais dans la mesure où la production et la reproduction des bases matérielles de la société repose de plus en plus sur l’économie mondiale, la maîtrise du pouvoir économique et donc politique échappe aux acteurs locaux.
En effet, pour assurer la stabilité de la société et par là même la sienne, le pouvoir en Algérie doit sans cesse chercher des revenus extérieurs par : une augmentation de prix des hydrocarbures : une accélération de l’exploitation des gisements pétroliers et gaziers ; une cession d’actifs ; un transfert de tout ou partie du pouvoir c’est à dire une insertion plus profonde dans le marché mondial ; s’interroger sur la responsabilité des gouvernements dans l’aggravation de cette situation revient à poser le problème du choix des orientations économiques nationales.
Cinquante ans plus tard, la même problématique, le même questionnement, les mêmes hommes, le même logiciel de surcroît infecté. « Si la fortune vient en dormant, le blé ne lève qu’en labourant » nous apprend un proverbe français. Nous sommes de mauvais élèves, nous n’apprenons pas nos leçons d’histoire. « Un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir ».