25 avril 2024
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Passeport vert, cauchemars aux frontières : en harraga chez sa majesté (III)

Mémoires d’un émigré

Passeport vert, cauchemars aux frontières : en harraga chez sa majesté (III)

La naïveté est souvent considérée comme un défaut, voire une déficience. Mais parfois, elle vous tire de situations abracadabrantesques !

Au mois de mai 1992, juste avant ma soutenance de thèse, j’avais une conférence orale prévue à Edinbourg, en Écosse. Je réserve donc une place sur le ferry Roscoff-Plymouth, et une place dans le train Plymouth-Edinbourg (je crois que je n’avais pas fait de réservation préalable mais sur place à la gare ferroviaire de Plymouth). Un voyage qui prend pas moins de 24h en tout. Mais quand on est jeune, au diable le temps !  On le consomme avec insouciance et sans modération.

Je prends donc le ferry pour une traversée nocturne. Les douaniers français, installés à la passerelle d’embarquement, ne semblent même pas remarquer que mon passeport est différent des autres. Ils étaient tous rouge-bordeaux excepté le mien qui était vert (C’est à croire que la nuit tous les passeports sont gris). Tout baigne m’étais-je dit alors. C’est donc plus facile de se rendre en Grande Bretagne !?

Le voyage qui prend toute la nuit s’effectue sans encombre. Quelques bières et me voilà bien assoupi sur un siège assez confortable.

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Le lendemain matin nous débarquons à Plymouth. Les contrôles s’effectuent avec une rapidité rassurante. Quand arrive mon tour, je tends mon passeport croyant me faufiler aussi rapidement que la veille. 

Le douanier le feuillète et me préviens :

– Oh, you don’t have a visa”! Vous n’avez pas de visa

– Yes I do, rétorquais-je avec conviction !

-“Show it to me, then” ! Montrer-le moi alors !

– Here it is ! Le voici ! lui montrant l’étiquette apposée par la préfecture de Saint Brieuc, en guise de titre de séjour.

– Oh no, this is not a visa! Stand aside intime-t-il, I shall come back to you soon”. Oh non, ce n’est pas un visa ! mettez-vous de côté en attendant que je fasse passer les autres !

Après que tout le monde soit passé, il revient vers moi !

– “So why don’t you have a visa”? Alors, pourquoi n’avez-vous pas de visa ? J’avais bien compris, un peu tard, ma mégarde, celle d’avoir confondu titre de séjour et visa.

-Pour tout vous dire, je croyais que dans le cadre de la construction de l’Europe, le tampon de séjour en France sur mon passeport faisait office de visa, me justifiais-je !

-No you need an official visa delivered by the GB Ambassy ! Non vous devez avoir un visa délivré par les autorités britannique. Que venez-vous faire en Grande Bretagne, anyway ? poursuit-il.

-Je viens pour une conférence à Edinbourg !

-Vous avez une invitation ou d’autres preuves à me montrer ?

Je déballe mes transparents et les lui montre.

– Oui ça a l’air correct mais ce n’est pas suffisant. Je peux vous renvoyer en France, vous savez ? poursuit-il.

– Well, as long as you don’t put me in jail it’s fine for me!  Tant que vos ne me mettez pas en prison, c’est bon pour moi ! retorquais-je.

Désarçonné par ma réponse spontanée, il me regarde et reprend :

– “In a way I guess you are right, I will let you get in, but remember this is the first and last time you come without a visa”! Dans un sens, je suppose que vous avez raison, je vous laisse rentrer, mais attention, c’est la première et la dernière fois ! avant d’inscrire un grand W sur mon passeport, en guise de warning pour un éventuel nouveau voyage !

Dans ma petite tête de mule inoffensive : tu peux mettre tous les warnings que tu veux, l’essentiel est que je me rende à ma conférence !

C’est ainsi que je rentrais en terre de Sa Majesté en véritable harraga.

Après toute une journée par train, j’arrive enfin à Edinbourg où je retrouve mes collègues de Lamberneau. Ils étaient partis en voiture avant moi. Ces collègues avaient réservé leurs chambres dans le campus où se déroulait la conférence. Quant à moi, je m’y étais rendu détendu, sans avoir pris les précautions d’usage avant d’entamer mon périple.

Arrivé au guichet d’enregistrement, mes collègues m’avertissent en rigolant : tu n’as pas réservé de chambre, tu vas passer tes nuits dehors…

Du tac au tac, je me défends : Oh je suis habitué vous savez ! Il fait beau, ça ne me dérangerait pas ! N’oubliez pas qu’en Algérie, nous passons souvent nos nuits à la belle étoile la plupart du temps !

Effectivement quand on me demande mon nom et le titre de ma conférence, on me signale que je n’avais pas réservé de chambre. Et, le responsable de rajouter :

-There is going to be a problem here!

Et moi, en toute fantaisie :

-There is never any problem with me! 

Avec ma mésaventure aux frontières, le problème lié à l’hébergement est un détail qui ne me préoccupait pas outre-mesure.

Interloqué par ma réponse, le type me tend une clef et me dit :

-This is my room, take it, and I will manage to find another one for me! “C’est ma chambre, prenez-là, je me débrouillerai”.

Voilà comment la naïveté vous sauve parfois de situations abracadabrantesques, comme le visa d’entrée en territoire de sa majesté !

Petit anecdote concernant la conférence. Affaissé sur son fauteuil, ne captant quasiment rien des présentations qui se faisaient dans un anglais fluide, la plupart avec l’accent américain, un jeune collègue commençait à regretter d’être venu pour écouter des conférences auxquelles il ne comprenait que dalle. Quand vint le tour d’un Français. Dès son premier transparent projeté sur grand écran, il s’élance : « Les-dise and Gen-tle-mène, I aâm go-ing to pre-sente you… » articulé à la française. Du coup, le jeune collègue se redresse et postule : Ah ça c’est de l’anglais, je comprends tout ! (À suivre).

Auteur
Kacem Madani

 




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