Mardi 20 novembre 2018
Bouteflika, c’est trop tard, le mal est fait
Les moins amnésiques d’entre nous se rappelleront sans doute que ce président avait commencé son règne en instituant trois commissions chargées de réfléchir sur une nouvelle conduite des affaires de l’État.
Une première commission devait fournir des idées sur la réforme de la justice.
La deuxième avait pour mission de se pencher sur l’éducation la troisième enfin chargée de rien moins que de réfléchir à un nouvel Etat moderne. 20 ans plus tard, les juges sont plus corrompus que jamais, l’école et à ce point naufragée que les sujets des examens sont, la veille, sur Facebook. Quant à l’Etat, on le voit bien, il n’existe plus ou alors sous la forme d’une camarilla qui lave son linge sale publiquement, dans le plus pur style de la mafia des années 30, un président d’assemblée débarqué en dehors de toutes légalité, un ministre qui démolit le chef du gouvernement c’est-à-dire son supérieur hiérarchique sans que personne ne le remette à l’ordre, pour ne citer que ces deux exemples.
Au bout de quatre mandats, le pays est tristement à genoux
Ne tournons pas autour du pot : après 19 ans de règne de Bouteflika, le futur est largement compromis. Et beaucoup pensent que c’est un retard irrattrapable. Le président algérien n’a pas seulement tourné en rond pendant 19 ans ; il a échoué dans une épreuve décisive : réduire, sinon éliminer la forte dépendance aux hydrocarbures.
On le savait : le pétrole n’était pas éternel et il allait commencer à se raréfier dès 2010.
La seule parade était d’industrialiser le pays, d’opter pour une économie de production, développer l’agriculture, assurer une autosuffisance alimentaire, encourager la recherche… Il aurait fallu, pour cela, un projet, des choix clairs, une ambition algérienne. Il n’avait rien de tout cela. En 1999, à sa prise de pouvoir, l’économie algérienne dépendait à 97 pour cent du pétrole et du gaz. Nous étions alors 30 millions d’Algériens. Dix-neuf ans plus tard, en 2018, l’économie algérienne dépend toujours à 97 pour cent du pétrole, mais nous sommes 42 millions d’Algériens qui seront 50 millions à l’horizon 2025, et nous ne savons rien faire d’autre que de vendre du pétrole lequel, entre-temps, a perdu la moitié de sa valeur sur le marché.
Le propre de la science économique et de n’être pas réductible aux humeurs, aux approximations et aux jugements subjectifs, et l’on a beau user de concepts creux et de métaphores, on n’échappera pas à l’implacable vérité qui s’impose à nous : le futur est bel et bien compromis. L’argent du pétrole a été dilapidé dans des dépenses irréfléchies et dans des pratiques coupables et le contexte mondial n’offre pas une seconde chance. Comment nourrir, éduquer, vêtir et accompagner 42 millions d’Algériens, bientôt 50 millions, quand le pétrole ne rapporte qu’à peine la moitié des recettes des années 2001-2013.
Or chaque année, la population en âge de travailler augmente de 3,4%, et parmi elle, 120 000 diplômés universitaires à la recherche d’un emploi. Pour réduire le chômage et absorber la demande additionnelle, il faudrait, nous dit le PNUD, un taux de croissance de 7% ! Une utopie !
En 2009, on observait une chute de 30% de la création d’entreprises et le Fonds monétaire international lui-même déplore que l’Algérie enregistre le taux le plus bas de création d’entreprises au niveau maghrébin : 30 entreprises créées pour 100 000 habitants contre plus de 300 au Maroc pour la même proportion d’habitants (Rapport du FMI cité par El Watan du 2 octobre 2009). « Il nous faudra plus de 30 ans, pour atteindre un million de PME et créer des postes d’emploi qui pourront ainsi diminuer le chômage », assurait, en 2009 déjà, l’ancien président du Forum des chefs d’entreprise, ex-ministre de la PME, Réda Hamiani (El Watan).
Autre indicateur : selon le président du FCE, sur les 1 200 milliards de dinars (12 milliards d’euros) de crédits à l’économie octroyés au secteur privé en 2008, 900 milliards (9 milliards d’euros) « sont consacrés à l’importation ».
Le pays a abandonné son ambition pour devenir l’objet de l’ambition des autres. En 2018, on est tout fier d’avoir sur le marché des équipements électro-ménagers montés en Algérie par un opérateur économique, Condor, oubliant que le pays disposait, à la fin des années 70 déjà, des grands groupes industriels tels l’ENIE de Bel-Abbès ou l’ENAPEM de Oued-Sly qui produisaient téléviseurs, réfrigérateurs, chaînes stéréo et autres articles électroniques avec un taux d’intégration qui approchait les 100 pour cent.
Que de fois les syndicalistes de ce pays ont répété que, pour favoriser la bazardisation de l’économie algérienne et faire prospérer les barons de l’import, on est allé jusqu’à fermer des usines ? C’est le cas du secteur de la tomate industrielle qui emploie des dizaines de milliers de salariés et qu’on a fait taire pour pouvoir importer des tomates en conserve de Chine, de Turquie, d’Italie et même … d’Arabie Saoudite ! Qui ignorait que la production nationale de camions avait été sabotée pour favoriser l’importation ? La société nationale de véhicules industriels (SNVI) qui produisait 40 000 camions, bus et minibus fabriqués à la fin des années 1980, n’en construisait plus que 6 500 en 2009. Entre-temps, l’importation à coups de dizaines de millions de dollars de camions et de bus a explosé.
Alors que se profilent de noires années de crise, eux, Bouteflika et ses hommes, affolés par la perspective d’une remise en question de leur règne, ne pensent qu’à rassurer la population par de fausses promesses qui prolongeraient pour un mois ou pour un an, cette fameuse paix sociale qu’ils appellent stabilité. Écoutons ceux qui se font les relais de ce dérisoire engagement de Bouteflika de ne pas toucher aux subventions des prix, ni aux aides octroyées aux classes sociales démunies.
Autrement dit, « population, ne te soulève pas, j’ai toujours pour toi un peu de sucre ! ».
Mais où trouver les 60 milliards de dollars nécessaires pour les transferts sociaux quand on sait que les recettes totales d’exportation des hydrocarbures pourraient être inférieures à ce montant ? Le gouvernement ne le dit pas. Comme il ne dit pas d’où il puisera les fonds nécessaires pour garder les investissements publics, au cours de l’année qui vient, à leur niveau astronomique de 3 908 milliards de dinars (50 milliards de dollars). Dès lors, le jeu est terminé on ne joue plus, personne ne joue du reste, sauf ceux qui dirigent ce pauvre pays.