22 novembre 2024
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Brahim Izri ou la nécessité de remettre les pendules à l’heure (II)

POLEMIQUE

Brahim Izri ou la nécessité de remettre les pendules à l’heure (II)

Sur le fond à présent, ce livre est très approximatif et est passé complètement à côté du sujet. On se retrouve dans un procédé d’emphase ! Une démarche où l’auteur s’est employé à donner un caractère important à des faits et à des témoignages sans aucune pertinence.

Il essaye de remplir des pages avec du vide ! Qu’apprend-on de l’enfance, de l’adolescence, des rêves, des ambitions ou encore de l’entourage de Brahim Izri… Pas grand-chose. Même le titre choisi: « Troubadour des temps modernes » est à côté. Pour l’auteur, les faits que Brahim ait grandi au sein de la zaouïa de Hadj Belkacem et qu’il y fit ses premiers pas dans la musique suffisent à faire de lui un troubadour. Il faut connaître le parcours de l’artiste et ses ambitions musicales pour comprendre que ce n’est pas le cas. Malheureusement, cette brève constatation n’aura pas permis à l’auteur de lire entre les lignes. Brahim n’est pas un troubadour mais un orfèvre de l’harmonie !

Alors, pour entrer dans le vif du sujet, en lisant les deux premières phrases du liminaire de l’auteur, l’on s’attend à ce que l’ami dont il se revendique et que le journaliste lève le voile sur la carrière de l’artiste ainsi que sur la vie de l’homme. De fait, l’on espère que le factuel prenne place et qu’il expose l’ensemble de ses observations. Je m’aperçois avec déception que l’ami qu’il pense avoir été le temps d’un vol d’avion n’a pas fait le travail de recherche.

Il ne met malheureusement pas en lumière la diversité de la personne et de l’artiste Brahim Izri. Ce n’est pas en tarissant d’éloges qu’on rend hommage mais en inscrivant, grâce à des prospections habilement menées, le travail de l’artiste dans le temps et dans l’espace. Comment, quand on connaît très bien Brahim Izri, peut-on écrire qu’il était solitaire et que sa timidité était légendaire ? A priori, s’il était silencieux en votre compagnie il aurait fallu chercher à comprendre ce que cela signifiait réellement et non de lui en attribuer un trait de caractère qui ne parle à aucune des personnes l’ayant rencontré ne serait-ce que cinq minutes ! 

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L’auteur continue sa présentation : « Brahim Izri a connu un parcours commun que ceux qui se passionnent à la musique avec l’initiation aux instruments ». Connaissez-vous beaucoup d’artistes de sa génération et, qui plus est kabyles, qui ont eu la chance d’être initiés dès l’âge de 6/7 ans au violon, au bendir, à la flûte et au mandole ? C’est une rare exception tout de même non ?

Après ce liminaire, l’auteur nous invite à entrer dans le développement de son livre. Il commence par nous embarquer, destination le village natal du chanteur. Trois pages pour parler d’At Yenni, aucune pour At Lahcen, le nom du village où Brahim Izri a vu le jour. Il se rend sur ses terres sans aller à la rencontre même des proches, de sa famille, ni par exemple de son instituteur. Ils en auraient eu des choses à raconter ! 

A peine quatre lignes pour parler de Nanou, sa femme, sa compagne de toujours à la vie et à la scène. 

De plus, il attribue des phrases à Brahim Izri sans n’en révéler ni la source, ni la date, ni le contexte ! 

Je remarque également de nombreuses erreurs, s’agissant tout d’abord du témoignage du journaliste Meziane Ourad, pour qui j’ai par ailleurs un profond respect, mais qui semble s’être fâché avec les dates. A la suite d’une absence totale de transition entre le témoignage de H. Lounaouci et celui de M. Ourad, on se retrouve face à des anachronismes déconcertants. Page 78, l’auteur rapporte avec des guillemets que Meziane se souvient au début des années 70 que Brahim Izri (âgé donc de 16 ans)  était en train de préparer son premier album Dacu-yi. Cela me fait rire. Le premier opus est sorti en 1981 et s’intitule Sacrifice pour un enfant. Dacu-yi n’aura été travaillé par Brahim Izri que plus tard pour sortir en 1984. Mais ce n’est pas terminé ; en page 79, je cite «Il (Brahim Izri) est venu à Alger en 1984, la fille de Brahim venait de naître. » Je ris de nouveau ! Le premier enfant de Brahim est né en 1990 et sa fille en 1995. Je veux dire que même ça ! Il n’a pas pris la peine de vérifier ses sources. On découvre encore page 84 des témoignages de K. A., dont certains sont par ailleurs très intéressants mais excusez-moi d’autres sont purement et simplement chimériques ! Il est facile de s’approprier des idées et même des rôles quand l’intéressé n’est plus là!

Or, l’auteur s’attarde plus à faire la biographie de ceux qui parlent de Brahim Izri !

Sur un autre thème à présent, huit lignes seulement sont consacrées au militantisme de Brahim Izri. Aucune mention de ses rencontres en Kabylie avec les acteurs des Archs durant la période liée au printemps noir de 2001, ni son appel à la libération des détenus d’opinion. Il ne parle surtout pas de sa campagne de boycott de l’année de l’Algérie en France en compagnie de nombreux artistes ! 

On en comprend mieux la logique à la lecture des remerciements de l’auteur situés en fin de livre… 

En outre, je m’étonne de voir qu’il consacre une place si grande à ce qu’était la vie de Brahim Izri entre 2001 et 2004 mais toujours avec des témoignages sans pertinences et sans consistances. Si la rencontre avec A. B. lui a paru incontournable, soit, mais que fait-il des choristes et chorégraphes qui ont travaillé durant des années et des années avec Brahim ? Que fait-il des rencontres avec des chanteuses et chanteurs, musiciens et musiciennes, des associations culturelles qui ont collaboré à ses côtés ! Et pourquoi ne pas parler de ce musicien d’Amérique Latine chez qui beaucoup de kabyles vont enregistrer aujourd’hui. Ah parce que s’il avait entrepris cette entrevue, il saurait d’où viennent les onomatopées présentes dans les chansons de Brahim Izri et que l’auteur n’a pas manqué de relever mais sans tenter d’en saisir l’origine ! Que fait-il de son meilleur ami de toujours… Une bibliothèque encore  vivante sur la vie de Brahim ! 

Si l’auteur y avait vraiment mis du sien, il aurait livré aux fans un livre digne de l’artiste! Sans doute qu’une œuvre de 300 pages l’effrayait ou ne lui aurait pas plus rapporté ?! Aucune idée mais nous sommes en droit de nous questionner sur les intentions réelles de l’auteur.

De plus, et c’est ce qui est frustrant, au moment où il aurait pu développer, approfondir des éléments phares de la vie de Brahim, de ses choix artistiques et professionnels, pourquoi prendre des choristes féminines, pourquoi imager en chorégraphies ses chansons qui donnaient de la profondeur à ses passages sur scène où à ses clips… Il n’en fait rien, il survole à peine.

Quand il s’agit à présent de se pencher sur le groupe Igudar dont Brahim était membre fondateur au lycée et de leur première chanson « Aarus b ubernus », l’auteur réduit désespérément  ce titre à un conte, « une fable ». Page 35 il écrit : « Le groupe commence à composer et connaît le succès avec des titres qui ont fait sa renommée. Aarus s ubernus, une chanson qui conte une fable sur l’escargot qui se débarrasse de sa coquille pour affronter le serpent ! Une mélodie bien prisée et reprise en chœur lors des tournées du groupe à Alger ». Et plus rien à ce sujet.

Mais Monsieur, si vous aviez pris le temps de contacter directement les membres du groupe, spécialement ceux que vous n’avez même pas pris le temps de citer, vous auriez pu transmettre des informations clés. Vous auriez compris que ce groupe a composé des chansons en kabyle et particulièrement à caractère politique.

« Aarus b ubernus » était une métaphore utilisée qui fustigeait et condamnait le pouvoir en place. Le peuple qui affronte le serpent le Président de la République de l’époque ! Mais par votre manque d’investigations vous n’en saisissez pas la portée et lui ôtez ainsi tout caractère politique et contestataire !

Je peux dire qu’avec cette expérience d’Igudar, on saisit que Brahim Izri a pris conscience très tôt que dans un pays où l’on empêche de s’exprimer dans sa langue natale, la chanson devient le seul moyen d’expression. Non pour  le chanteur lui-même mais pour tout un peuple et pour toute une cause. Il a notamment compris que cela ne pouvait se faire sans s’ouvrir aux autres et avec la nécessité d’inscrire notre musique dans le monde actuel. Tout en faisant appel à la mémoire collective, au respect de la tradition musicale populaire ou spirituelle, il a le souci d’inscrire notre musique dans l’universel. Il l’a faite évoluer et s’adapter aux exigences internationales avec la détermination d’éveiller les consciences.

C’est ainsi que Brahim Izri s’inscrit dans la vague du protest song ! Ce n’est pas rien tout de même. En proposant des textes aussi engagés qu’habille une musique dans l’air du temps. Avec Brahim Izri, une véritable mutation et internationalisation de la chanson kabyle par la musique s’opère de facto. Il fait partie de ces artistes qui ont porté la chanson sur le mont de la modernité et qui a joué un rôle crucial dans son évolution. Il était auteur, compositeur, interprète et arrangeur.

Alors, à la lecture de cette supposée biographie, l’on comprend très vite que l’auteur ne maîtrise pas le champ lexical musical et pourtant il joue de la guitare et il chante. 

Ce qui peut surprendre pour l’auteur qu’il est de trois précédents livres autour de chanteurs algériens. Il n’arrive pas à expliquer l’apport de Brahim Izri sur le plan musicologique et technique. Il aurait été intéressant d’interroger la nouvelle génération et de se rendre compte de l’influence que Brahim a pu avoir sur leur façon d’appréhender la musique. De comment sa musique et sa chanson sont des éléments fédérateurs d’une génération.  Heureusement que le musicien et arrangeur Bazou ait été approché pour donner du contenu à ce livre ! Grâce à lui, on comprend enfin en quelques mots toute la subtilité qui réside dans le travail musical de l’artiste. Les trois ou quatre pages qui nous ouvrent les yeux et nous délivrent avec justesse la contribution de Brahim dans le chapitre « Izri, un style musical singulier » est du fait de Bazou. Seul bémol, je regrette l’absence de mise en lumière du travail harmonique de l’artiste. Il est passé à la trappe.

Pareillement,  l’auteur ne porte qu’un regard très succinct voire inachevé sur la thématique de ses chansons à savoir les racines, la culture, la langue, l’amour, la femme, la fraternité, la politique. Il effleure à peine l’émigration et le fait qu’elle a profondément marqué l’artiste directement ou indirectement. Porter sa culture, enrichir sa musique, mener son combat pour la femme, les détenus d’opinion et livrer un dernier combat celui de nous offrir un ultime album auront été sa raison d’être jusqu’à son dernier souffle. Au fond, son travail, ses engagements, sa musique ne sont que le miroir de sa façon de penser, d’être et le reflet d’une appartenance à une identité dans l’espoir de construire un monde meilleur. Mais là encore le livre ne nous confie rien.

Concernant à présent quelques témoignages rapportés. L’on pourrait croire naïvement que l’auteur  est allé directement à la rencontre des personnes dont il a produit les déclarations dans ce livre page 58. C’est encore un leurre car j’ai immédiatement reconnu où, quand et à quelle occasion ces témoignages ont été délivrés. C’était lors de la conférence que j’avais tenu le 25 mai 2016 à la Maison de la Culture de Tizi-Ouzou dans un moment où j’avais donné la parole aux personnes voulant intervenir. Encore une fois, l’auteur ne cite guère ses sources, en l’occurrence une vidéo sur le net. Cette dernière lui a fourni suffisamment d’éléments pour estimer qu’il n’était pas utile d’avoir plus de détails. Utiliser une matière sur internet n’est pas en soit le souci, c’est plutôt de tenter de nous faire croire qu’il serait allé à leur rencontre en ne citant jamais la provenance.

Pour finir, comme chaque chose a une fin, cerise sur le gâteau ! 

Dans une indécence indescriptible, que les règles de la déontologie ne sauraient accepter, sans que le lecteur s’y attende le moins du monde, sans aucune transition, sans une quelconque légende, sans roulements de tambours, l’auteur nous jette à la figure un testament de Brahim Izri comme mot de la fin. Et là, quel est le message ? Que doit-on comprendre ? La carrière de Brahim Izri lui aura-t-elle- paru si creuse qu’il eût été essentiel à ses yeux de publier un testament au passage sans aucune valeur juridique? Les seuls héritiers sont ses enfants! Quel est pour l’auteur l’intérêt de publier ce testament ? Faire le buzz ? Quel est l’objectif pour la personne qui a fourni ce document si intime ? 

Par ailleurs, comment peut-il remercier, dans un livre dédié à Brahim Izri, des gens du système en parlant d’un artiste antisystème ? 

Ce livre aurait pu être l’occasion rêvée de révéler la grandeur de l’artiste à travers l’ensemble de ses textes ! N’était-ce pas là le moment de réunir l’ensemble des chansons en kabyle et de les traduire en français pour que toutes et tous découvrent l’étendue de son répertoire ?

J’ai pris le temps de rencontrer l’auteur du bouquin et lui ai fait part directement de toutes ses erreurs, ses anachronismes, ses incohérences. Je lui ai posé la question de savoir ce qu’il comptait faire à présent. J’imaginais que tous ses éléments lui auraient permis de revoir sa copie et pourquoi pas publier une seconde version corrigée. Après tout, il a bénéficié du soutien de l’Onda pour l’éditer ! Malheureusement, il estime avoir fait son travail et que l’édition d’un livre est une chose trop coûteuse, il en restera avec ce brouillon…

Pour tout cela, je ne suis pas de celles qui se résoudraient à dire que ce livre ait le mérite d’exister. 

Je ne peux me contraindre, sous prétexte d’un manque cruel d’ouvrages et de biographies sur nos artistes, à cautionner la médiocrité ! Un mauvais livre, bien qu’avec une bonne intention de départ, reste un mauvais livre.

De plus, eu égard au nombre de belles plumes de la presse qui se sont attachées à écrire sur cette icône partie trop tôt, Brahim Izri a bénéficié d’enquêtes plus riches et approfondies que cet ouvrage. Articles de presse, émissions TV, même si l’on peut convenir que cela ne sera jamais assez, permettent de connaître l’enfant d’un village, l’enfant de la Kabylie, l’artiste, le conjoint, le père de famille, l’ami… 

Je conclurai, sévèrement certes, mais avec la plus grande franchise qu’une fois achevé ce livre donne la nausée surtout quand on est sensible aux virages de 90° que l’auteur nous fait prendre d’un paragraphe à l’autre. Tout cela m’amène à penser que ce livre ne s’inscrit pas dans un devoir de mémoire mais dans une démarche simplement mercantile. Je le répète, ce livre n’a pas le mérite d’exister.

N. C.
 

Auteur
Nassima Chillaoui

 




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