23 novembre 2024
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« Camus et le FLN » de Tarik Djerroud, retour sur une époque charnière

Albert Camus, personnalité à multiples facettes, c’est telle la première conclusion qu’on retient dans la tête, en fermant le dernier ouvrage de Tarik Djerroud.

Dès les premières lignes, on se sent comme happé par la beauté de l’incipit du jeune éditeur, romancier et essayiste, très fasciné par l’histoire contemporaine de l’Algérie. Le parcours de Camus nous revient alors, par bribes, et on ne s’en rassasie plus. On redécouvre, à travers une fresque historique de la guerre d’Algérie, le vécu de l’homme de lettres et sa relation tumultueuse avec l’Algérie sous un autre aspect, beaucoup plus proche, frictionnel, intime avec sa terre.

Cette Algérie qui l’avait vu naître et qui ne cessait de bercer ses rêves, ses pensées et ses idéaux jusqu’à son décès en 1960. Et face à l’auteur du célèbre chef-d’œuvre littéraire L’Etranger, la guerre d’Algérie fut plus qu’une rupture : un drame à nul autre pareil. Le pied-noir du quartier de Belcourt fut tourmenté ; déchiré ; tiraillé entre deux univers irrémédiablement irréconciliables.

Ainsi la contre-violence du FLN contre le monstre colonialiste fut-elle vécue par le philosophe comme un pis-aller, sinon un choc personnel. Comment faire pour prendre position dans une telle atmosphère guerrière, d’une violence inouie ?

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Acculé, dos au mur, Camus plongeait alors dans le silence, lui qui pourtant, en « colonialiste de bonne volonté » -l’expression est d’Albert Memmi, n’arrêtait pas depuis 1939 de mettre en évidence les inégalités ainsi que les injustices coloniales en Algérie, surtout lors de son reportage en Kabylie pour le compte d’Algérie-républicain.

Or, ce silence camusien était discutable, puisque le philosophe était là à défendre, au pic du feu du conflit, des condamnés à mort algériens et à intervenir en leur faveur auprès des autorités coloniales. Bien qu’anti-indépendantiste, ayant refusé de concevoir un autre destin de l’Algérie en dehors de la France, Camus était en vérité une personnalité bien plus complexe qu’il n’y paraît.

En rentrant dans le vif des tourments du philosophe, ses états d’âme, sa souffrance intérieure, ses douleurs, sa conception de l’avenir de l’Algérie, le contenu de ses articles et de ses textes, Djerroud nous révèle, comme par magie et d’une manière suggestive, un autre homme d’une toute autre envergure : un indépendantiste « visionnaire », mais en état de réserve, de recul et de prudence. Car, s’il [Camus] avait pris position pour l’indépendance algérienne, les conséquences auraient été, sans doute, autrement plus dévastatrices pour la communauté des Pieds Noirs et pour les Français d’Algérie dont il faisait partie.

Le dilemme camusien fut à la mesure de la complexité du contexte de l’époque. Son but n’était alors que de réformer et de faire accepter l’idée d’un vivre-ensemble durable.

Du projet Blum-Violette à son idée d’assimilation fraternelle, puis enfin à la solution fédérale qui aurait pu éviter la naissance du nationalisme révolutionnaire algérien, en passant par la Trêve civile de 1956, le prix Nobel 1957 avait fait feu de tous bois pour une cohabitation réussie entre deux peuples. C’était ce qui l’avait poussé, d’ailleurs, à mettre sur le même piédestal les auteurs des attentats des deux bords.

Le philosophe pensait,  à en croire l’auteur, que la réforme du système était possible à condition d’agir à l’intérieur même du système. C’était toute cette complexité faite de rapports ambivalents, chargés de confusions, de colères et de silences qu’il avait tenté de décrire dans ce livre, non sans un souci d’exhaustivité. Un livre qui, s’il est subtilement rédigé, n’en reste pas inclassable, à la croisée entre essai et étude littéraire.

Outre son décryptage du nationalisme algérien, Djerroud a capté les traces, les écrits et les empreintes de l’auteur du Mythe de Sisyphe, faisant table rase de toutes les idées reçues, de tous les dogmes, les stéréotypes et les anathèmes qu’on a jeté et jette encore à la figure de cette personnalité littéraire majeure du XXe siècle. En cela, le regard de Tarik Djerroud contraste, et de façon on ne peut plus critique, avec tout ce qui a été écrit jusque-là sur Camus des deux côtés de la Méditerranée. Il apporte quelque chose de neuf, du concret, et surtout de « conciliateur ».

Tarik Djerroud, Camus et le FLN, Erick Bonnier, collection Encre d’Orient, octobre 2022, 250 pages. Paru également en Algérie, chez Tafat éditions.

Kamal Guerroua

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