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Ce que le « Hirak » algérien dit de l’intention picturale

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Ce que le « Hirak » algérien dit de l’intention picturale

Quelques jours avant le 16 février 2019, date marquant le début du soulèvement populaire à Kherrata, le webzine Lematindalgerie publiait la contribution de jeunes artistes refusant un cinquième mandat cousu main et annonçant à ce titre leur rejet viscéral du système, la volonté de changer les choses.

Bien que tardive (au regard des réactions liminaires de « Barakat 2014 »), cette mise à jour de la conscientisation présageait néanmoins le réinvestissement de l’espace public, l’association « Révolte’Arts » occupant du reste dès le 07 avril 2019 la place M’barek-Aït Menguellet située à la sortie-ouest de Tizi Ouzou.

Chaque samedi, dessinateurs, photographes, comédiens, chanteurs ou conteurs donneront rendez-vous à une population invitée à partager leur révolte à travers divers supports. Partout, elle se soulevait, exigeait le départ des corrupteurs et incompétents, espérait une « déflagration » thématisée sous forme de scènes théâtrales et de fresques improvisées. Ces dernières allaient-elles imager les revendications citoyennes en expressions plurielles ou narrer les épisodes d’une hostilité à l’autoritarisme, comme cela s’était produit en Égypte à partir du 25 janvier 2011.

L’occupation prolongée (trois semaines) de la place Tahrir provoquera la démission du président Hosni Moubarak (11 février 2011). Son éviction laissera le champ libre à un Conseil suprême des forces armées qui pendant 17 mois usa d’une répression féroce. Le 19 novembre, la police antiémeute dispersait sans ménagement un sit-in condamnant les premières tueries, plantait six jours durant le cadre d’interventions musclées allongeant la liste des cadavres (plus de 120). C’est au lendemain de ces affrontements que les façades d’immeubles devenaient les plans séquences du street art, un modus opérande adopté de manière à questionner les responsabilités d’un pouvoir militaire auquel les activistes réclamaient des comptes.

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Egypte

Au sein de la rue Mohamed Mahmoud, 51 d’entre eux périront et ce sera donc au cœur de cette artère qu’apparaîtront des picturo-graffitis commémoratifs. İls boosteront d’emblée des manifestants criant leur aversion de l’injustice et de la corruption, dénonçant les procès et détentions arbitraires, tortures et violations des droits humains, agaceront des autorités enclines à les effacer prestement de peur que la protesta fasse tache d’huile.

Les figurations de martyrs ailés dégageaient une force de persuasion susceptible d’imprégner les esprits, agissaient telles des brèches béantes dans la morale religieuse de généraux caricaturés et accusés de faire pratiquer des « tests de virginité » sur les femmes arrêtées. Une peinture murale représentera la militante Samira İbrahim au-dessus de soldats grimés en médecin militaire pendant que d’autres messages exutoires réfléchissaient l’humour, l’espoir et l’esprit frondeur de graffeurs élaborant des œuvres inventives à déchiffrer au fur et à mesure de leur réalisation.

Spontanées, inspirées et imaginatives, elles témoigneront du présent et s’afficheront également (à partir de 2013-2014) sur les barrières de béton censées compartimenter le quartier névralgique (notamment l’épicentre du soulèvement que fut la place Tahrir), zone sensible d’une capitale sanctuarisée à l’aide de portails antiémeutes repeints aux diaprures du drapeau national.

Dès lors, la campagne « pas de murs » incitera les créateurs en herbe à badigeonner les barricades de pierres tout autant dressées vers l’avenue Cheikh Rihan et face à l’ancien campus de l’Université américaine. Le remplacement de sa palissade par une grille d’enceinte causa la complète disparition des tags antimilitaristes, chaque auteur pris en flagrant délit risquant désormais quatre ans de prison, selon le décret de décembre 2013.

Vingt quatre mois plus tard (janvier 2015), le motif d’ « incitation à la révolte » permettait l’interdiction du livre Walls of Freedom (Murs de la liberté).

À Alger, le freedom wall conçu le 30 mars 2019 le long des escaliers de la rue Maurice Ravel passera inaperçu, ne donnera pas lieu à un album photos, à fortiori à une édition spéciale tant les initiateurs du projet se contenteront d’enjoliver (à l’aide de bombes aérosol et pinceaux) un lieu commun reliant le boulevard Mohamed V (ex Saint-Saëns) au Télemly. Récréatifs, leurs pastiches parodiaient les caricatures, pancartes, banderoles et affiches brandies chaque vendredi et mardi, neutralisaient l’intensité de slogans favorables au changement radical, à la fin de l’état d’hibernation et de l’immobilisme mortifère. Contrairement à la gestuelle provocante des agitateurs égyptiens, la soporifique animation locale n’apportait pas de plus values iconographiques annonciatrices d’une autre aperception soi, ne portait pas la marque des affrontements d’idées, ne racontait pas les sanctions et harcèlements judiciaires, pressions des services de sécurité ou violences policières, ne révélait pas les tendances monopolistiques du Haut commandement militaire, l’axe affairiste adopté chez beaucoup de généraux adeptes des enfumages cathodiques.

Cette démission là renseigne autant sur l’état d’esprit de nombreux plasticiens algériens que sur les accommodements initiatiques d’une École supérieure des Beaux-arts d’Alger transformée en École des Arts-Décoratifs, surtout depuis que les filières sculpture (volume-matière), peinture (expression picturale) et design (espace, image, média) furent fusionnées (au début de l’année universitaire 2017-2018) sous l’appellation générique de « Arts visuels ». Autrement dit, il n’y a plus de distinction entre des spécialités aujourd’hui gratifiées du diplôme de « Master professionnalisant », point expliquant l’uniformisation platonique des « arts-plastiques » et, par inévitable contrecoup, la propension de gammes illustratives ou insipides ignorant les problématiques politico-sociales.

Faute de pédagogies focalisées sur les sciences sociales ou humaines (sociologie, anthropologie, philosophie etc…), les programmes sont vidés de toute conscience critique et ne bénéficient de plus pas d’une historiographie artistique approfondie. Si un contexte identique pénalise les institutions culturelles de Chine, dans ce pays la prolifération des lieux d’exposition et les vastes ateliers-usines contribueront au fort développement de l’art contemporain.

En revisitant les classiques de la peinture européenne, en combinant dénonciation du consumérisme occidental et détournement de la propagande communiste, en décryptant les dévoiements liberticides, censures ou violences d’État, ses créateurs (munis d’une maîtrise technique irréprochable) sont apparus aux yeux des grands collectionneurs comme des observateurs assidus et pertinents de la société post-maoïste.

Prolifiques, motivés et diversifiés, cinquante d’entre eux campent sur le podium du marché mondial de l’art, situent ainsi l’Empire du Milieu au stade de plaque tournante des transactions. Les effervescences et potentialités de ce vivier résolu à s’émanciper des injonctions esthétiques du Parti unique contraste avec le pseudo-avant-gardisme d’aspirants algériens incapables de rompre le cordon ombilical les reliant à la tutelle officielle. C’est d’ailleurs sous l’égide du bureau oranais de l’Union nationale des arts culturels (UNAC) que fut relancée la question de l’acquisition des médiums par les musées. İntitulée « La situation, la place de l’art et de l’artiste plasticien », la rencontre régionale du samedi 14 septembre 2019 convoquait la commission d’achat des œuvres (siégeant au niveau du ministère de la Culture), incitait les entreprises publiques et privées à consacrer un budget à cet effet, les impliquait dans l’essor du marché de l’art, reprenait en somme les constats énumérés lors du colloque d’avril 2018 organisé au moment de la manifestation « Printemps des Arts ». Membre actif de la structure syndicale (UNAC), le miniaturiste Hachemi Ameur appelait à la convocation de compétences confirmées et expérimentées en mesure de promouvoir un secteur en jachère, de le sortir des sous-traitances diplomatiques que négocie la directrice du Musée d’art moderne d’Alger (MAMA).

En charge du service minimum, l’opératrice Nadira Laggoune accueille depuis le 14 septembre une exposition présentée comme l’événement de la rentrée par Mohamed Benhadj. Celui-ci conseillait aux 200 intéressés, préalablement inscrits sur le site www.altiba9.com, d’être à l’heure puisque, précisait-il le 29 août (dans le journal L’Expression), « La queue va être longue ! (…) il ne faudrait donc sous aucun prétexte rater le retour d’Al-Tiba9 (qui) sera une aventure exceptionnelle, donnant la possibilité au public de naviguer dans ma vision artistique des choses ». Se délectant de la récurrence des vocables « contemporary fashion weekend », « workshop », « art network », « fashion design » ou « runway textile », l’arrogant et suffisant concepteur centrera sa démarche curatoriale sur les antinomies du sensible (confondues à des « oxymores physiques », termes inappropriés), interlocutions OrientOccident ou réconciliation des contraires, plantera le décor kitch et guindé de performances encourageant le mélange des genres.

L’absence de différenciation renvoie d’une part à la conclusion précédente (établie à propos de l’enseignement « art-déco » dorénavant privilégié au sein de l’institution du Parc Gattlif) et apparaîtra encore plus flagrant via un défilé de mannequins (femmes et hommes) déambulant autour de l’installation d’Amirah Sackett. Soucieuse des clichés négatifs entourant régulièrement les musulmans, cette Américaine d’origine égyptienne regrettait aussi que les élèves, auxquels elle prodigue « la beauté de l’islam », ne puissent pas porter le voile. Son implicite prosélytisme contrariait une supposée incarner une rébellion algérienne qu’Abdelkader Damani rapportera abusivement à « Une grande révolution artistique » (A. Damani, in L’Expression, 25 sept. 2019) Cédant à l’euphorie ambiante et s’extasiant devant le tableau de marcheurs battant continuellement le pavé, l’actuel commissaire général de la Biennale de Rabat enjolive la réalité, la sublime et l’acclimate au lyrisme superfétatoire du poème Les citoyens de beauté (Jean Sénac, 1964). Trop émotive, son approche sociologique fait en effet l’impasse sur les données objectives que délivre hebdomadairement un vice ministre de la Défense contraint d’accentuer la fuite en avant phagocytant la catharsis déclenchée huit mois auparavant. Répondant à un agenda externe, l’hypothèque en cours rythme la temporalité compensatoire d’un scénario patiemment réfléchi.

Premier stade de la feuille de route, le Panel a mis en orbite la Présidentielle et peut donc maintenant se désintégrer dans l’atmosphère des perfides compromissions. Le dramaturge Benaïssa navigue toujours à contre-courant sur un radeau d’infortune et en quête des introuvables « softliners » (décideurs de l’aile dite modérée), le sociologue Laouhari Addi prend le pouls du lièvre (voire de la tortue) Ali Benflis, candidat à la déréalisation générale. Misant sur le prétendu « autosuffisant élan populaire », une intelligentsia naïve, et parfois faussement motivée, aura longtemps tergiversé sur la stratégie à suivre, ne convaincra finalement pas quelques figures historiques à rallier l’idée d’une tractation directe avec la hiérarchie militaire.

Négocier en sa compagnie le passage vers la démocratie réelle, nous semblait la solution idoine pour remettre les « clefs du camion » aux civils, pour que le paysage artistique puisse concomitamment s’élargir, s’émanciper des implications statutaires néfastes aux émergences transgressives.

Trop frileux, la plupart des concernés n’ont pas encore compris, ou refusent d’admettre, que l’alternative à l’impasse est avant tout d’ordre politique. La pauvreté des propositions iconiques ou polymorphies configurées autour du « Bel Hirak » résulte probablement de cet aveuglement, assurément d’une éducation artistique en décalage et nécessitant que les professeurs habilités se mettent rapidement à la page des problématiques essentielles.

Auteur
Saâdi-Leray Farid, sociologue de l’art

 




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