Cécile Palusinski, auteure, éditrice et présidente de l’association La Plume de paon, se consacre à la promotion du livre audio et de nouvelles formes de narration, elle est reconnue pour son influence dans les domaines de la littérature et de projets artistiques novateurs.
Parmi ses publications marquantes figure Pages d’arbres, un recueil de poésies illustrées publié en 2021 par le Centre de créations pour l’enfance, où elle célèbre avec une grande sensibilité la force et la symbolique des arbres.
Cécile Palusinski est l’initiatrice de projets transmédia tels que Arbres Mondes et Nord Sud.
Ces projets repoussent les limites du récit classique en introduisant de nouvelles dimensions interactives et immersives.
Son dernier ouvrage, Socotra : Des dragonniers et des hommes, publié le 16 novembre 2023 par Melrakki, explore avec Benoît Palusinski la majesté des dragonniers de l’île de Socotra. À travers des textes poétiques traduits en trois langues (français, arabe, anglais) et des photographies en noir et blanc saisissantes, ce livre allie réflexion culturelle et préservation écologique. Préfacé par Michel et Vincent Munier, figures emblématiques de la photographie, il constitue un hommage vibrant à l’histoire et à la nature.
En combinant art et technologie, Cécile Palusinski s’affirme comme une artiste multidimensionnelle. Avec Pages d’arbres, elle propose une immersion visuelle et poétique. Avec Socotra, elle sensibilise à la richesse du patrimoine naturel et culturel. Enfin, grâce à ses projets transmédia, elle repousse les frontières de la littérature traditionnelle, offrant des expériences où l’interactivité et la modernité se rejoignent.
En outre, son rôle de présidente de La Plume de Paon illustre son engagement en faveur d’une littérature accessible à tous. En mettant en lumière le potentiel du livre audio, elle contribue à ouvrir la littérature à des publics diversifiés, comme les malvoyants ou ceux souffrant de troubles de lecture. Cet engagement inclusif reflète sa volonté de démocratiser l’art et la culture.
L’œuvre et les projets de Cécile Palusinski, en constante évolution, incarnent une synthèse entre tradition et modernité. À travers des créations variées, elle célèbre la poésie, l’écologie et l’innovation, tout en sensibilisant ses lecteurs et spectateurs à la richesse des récits enracinés dans la mémoire humaine et la nature. En mêlant mots, images et sons, elle propose une vision artistique qui embrasse à la fois l’émotion, la technologie et la transmission culturelle.
Cécile Palusinski donne une nouvelle dimension à la littérature contemporaine, en l’enrichissant. Sa contribution transcende les formats traditionnels et les frontières culturelles, et elle inspire de nouvelles manières de penser et de partager les récits. Ses travaux, aussi bien littéraires que technologiques, laissent une empreinte durable dans le monde de la création.
Le Matin d’Algérie : Vous êtes à la croisée de la poésie, de la technologie et de l’engagement écologique. Comment ces dimensions s’entrelacent-elles dans votre processus créatif ?
Cécile Palusinski : La nature nous enseigne la lenteur, elle nous invite à prendre le temps d’exister pleinement dans un monde qui semble parfois nous échapper, avec la sensation d’accélération du temps induite par les usages numériques. Mon processus créatif est profondément marqué par la rencontre entre ces deux temporalités qui semblent a priori opposées : le temps long de la nature, celui de la contemplation, de l’observation silencieuse et patiente des cycles naturels, et le temps accéléré des technologies. En tant que poète, je m’efforce, dans mes œuvres, d’explorer cette tension. Dans mon projet Arbres-Mondes, par exemple, créé en collaboration avec l’artiste Elsa Mroziewicz, le temps de l’interaction numérique permet une immersion presque instantanée dans la nature, tout en donnant à entendre des contenus sonores et musicaux qui requièrent une écoute longue et attentive. Ce contraste me fascine : comment faire en sorte que la technologie enrichisse notre perception du temps long de l’expérience contemplative qu’offre la nature ?
Le Matin d’Algérie : Votre dernier ouvrage, Socotra : Des dragonniers et des hommes, mêle texte poétique et photographie. Comment s’est déroulée cette collaboration avec Benoît Palusinski et pourquoi avoir choisi cette île méconnue comme sujet ?
Cécile Palusinski : Il y a 15 ans, une amie, Elsa, m’a envoyé la photographie d’un arbre, le dragonnier de Socotra, une merveille de la nature à la résine rouge connue sous le nom de « sang de dragon ». Avec la guerre au Yémen et la suspension des vols pour Socotra, il aura fallu que j’attende 10 ans pour pouvoir aller à la rencontre de cet arbre et de cet archipel exceptionnel, patrimoine naturel mondial de l’UNESCO. Une île où la poésie est omniprésente au quotidien : sur les moins de 100 000 habitants, bédouins et pêcheurs, qui peuplent l’île, il y a une association de plus de 100 poètes qui organise chaque année un festival sur ce petit morceau de terre qui semble se tenir à l’écart du tumulte du monde !
Quand ce projet de livre est né, après plusieurs voyages à Socotra, j’ai tout de suite pensé à mon frère photographe Benoît Palusinski qui porte un regard sensible et poétique sur la nature et dont je savais qu’il saurait, mieux que quiconque, saisir l’âme de Socotra. Nous avons exploré ensemble l’île, fascinés par ses paysages lunaires et ses arbres emblématiques, et les photographies en noir et blanc et la poésie se sont imposées pour capturer l’essence de cette île mystique, aux paysages irréels… Et je suis très reconnaissante d’avoir pu vivre cette aventure photographique et poétique avec mon frère, comme un retour à l’Essentiel…
Le Matin d’Algérie : Vous explorez des formats immersifs à travers des projets comme La forêt universelle ou Arbres Mondes. Qu’est-ce que ces narrations hybrides apportent de nouveau à l’expérience littéraire ?
Cécile Palusinski : Ces projets hybrides offrent une expérience sensorielle enrichie, où le texte, le son et l’image se rencontrent pour créer une immersion totale. Arbres-Mondes, par exemple, est un livre numérique interactif qui intègre des haïkus sonores, des illustrations animées et un arbre pop-up géant en réalité augmentée, invitant le spectateur à une exploration poétique et interactive de la nature. Ces formats permettent aussi de toucher un public plus large, notamment les jeunes générations, adeptes des nouvelles technologies, en rendant la littérature plus accessible.
J’aime aussi beaucoup cette idée de pouvoir faire dialoguer les différents champs de la création et de pouvoir penser des expériences de lecture non linéaires, où le lecteur vagabonde au cœur de l’œuvre et choisit son propre chemin… Cela résonne sûrement avec ce qui, pour moi, est fondamental : la liberté…
Le Matin d’Algérie : En tant que présidente de La Plume de Paon, vous militez pour le livre audio. Selon vous, en quoi ce format transforme-t-il notre rapport à la lecture et à la littérature ?
Cécile Palusinski : Le livre audio ravive la tradition ancienne de la narration orale, où les histoires étaient transmises de bouche à oreille. Cela nous ramène à une époque où l’acte de raconter était un art. Le narrateur devient un interprète du texte, un médiateur qui donne vie aux mots, transformant la lecture en une performance qui lie l’auditeur à l’histoire d’une manière singulière, à travers la voix d’un tiers. La lecture devient un acte d’écoute, un engagement différent avec le texte qui sollicite l’imagination autrement. Un bon lecteur peut amplifier l’impact émotionnel du texte, avec des variations de voix, de rythme, et de style. Cette dimension peut rendre le texte plus vivant, renforcer l’attachement émotionnel au récit. L’écoute d’un livre audio nécessite aussi un temps d’attention long et continu. Elle invite à ralentir, à prendre le temps de savourer chaque passage. Une invitation à renouer avec le temps long de la slow littérature…
Le Matin d’Algérie : Vous avez publié aussi bien pour les adultes que pour la jeunesse. Qu’est-ce qui vous attire dans ces différents registres et comment abordez-vous l’écriture selon le public ?
Cécile Palusinski : Bien que j’écrive aussi bien pour les adultes que pour la jeunesse, je n’aborde pas fondamentalement l’écriture de manière différente. Pour moi, il ne s’agit pas de simplifier le propos ou même le vocabulaire selon l’âge, mais plutôt de rendre l’histoire vivante et porteuse de sens. Je pense que les enfants comprennent beaucoup plus que ce que l’on imagine souvent, qu’ils sont capables de saisir les nuances et de comprendre des messages complexes.
J’aime l’idée que les livres se « livrent » peu à peu avec l’âge. Ce que l’on perçoit d’un livre à un moment donné, à un certain âge, n’est pas nécessairement ce que l’on en percevra des années plus tard. Un livre pour enfants peut offrir plusieurs niveaux de lecture et, à chaque étape de la vie, de nouvelles couches de compréhension et de réflexion. C’est ce rapport évolutif au texte que je trouve intéressant…
Le Matin d’Algérie : Quels sont les territoires artistiques ou thématiques que vous aimeriez encore explorer dans vos prochaines créations ?
Cécile Palusinski : Actuellement, je travaille sur une fresque sonore monumentale Villes flottantes, co-réalisée avec Elsa Mroziewicz, qui propose une vision poétique de villes flottantes imaginaires, tout en découvrant des solutions pour faire face aux enjeux climatiques. Ce projet s’inscrit dans la continuité de mes précédents projets qui questionnent le rapport que nous entretenons avec notre environnement. Par ailleurs, nous travaillons aussi avec Elsa Mroziewicz à un projet autour des oiseaux, où nous créerons une fresque brodée sonore en réalité augmentée. Ce projet permettra de tisser des liens entre des techniques artisanales traditionnelles, qui s’inscrivent une fois encore dans un temps long, et les technologies numériques.
Dans un futur proche, j’aimerais aussi explorer davantage la captation sonore des « voix de la nature ». Mon objectif est d’enrichir les poésies sonores avec ces sons enregistrés dans des environnements naturels pour offrir une expérience plus immersive encore. J’ai eu la chance de suivre une formation avec Marc Namblard, un expert dans ce domaine, et cela a renforcé mon désir de continuer à explorer cette dimension dans mes prochains projets.
Le Matin d’Algérie : un dernier mot peut-être ?
Cécile Palusinski : Prenons le temps…
Entretien réalisé par Brahim Saci