20 mai 2024
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Ces économistes algériens, troubadours du prince !

C’est l’un des sujets qui me met dans une rage folle. Il me faudra cependant un sens de la retenue. Alors mon analyse restera distanciée et sans invectives nominatives. Ils se présentent avec une signature trois fois plus longue que le bras et manient  tellement la langue de bois qu’ils sont entrés de plein pied dans une compromission avérée. Pour la plupart d’entre eux, nous dirions qu’ils sont en première ligne des faussaires du régime algérien. Je m’en tiendrai dans cet article aux économistes.

Dans ma jeunesse, ils avaient fleuri dans les années 1970, au moment de l’expansion en nombre des universitaires algériens. Des économistes qui, pour respecter ma résolution de départ, étaient jugés compétents dans leur domaine universitaire. Nous en étions persuadés car nous étions fiers qu’il y en ait enfin à la mesure du besoin du pays.

Vu notre très jeune âge, nous avions cru effectivement à la haute érudition de ces diplômés de l’ère du FLN. Nous pensions que la parole interdite ne supposait pas l’absence de leur qualité scientifique. Et surtout, nous avions la naïveté de penser que cette discipline était exonérée des courbettes envers le régime politique. C’est dire l’ampleur de la naïveté de notre âge.

Attention, je ne parle que de ceux qui ont voulu être dans la lumière en sachant pertinemment que la dévotion à la ligne du parti unique était un moyen certain de notoriété. Sans aucun doute qu’une autre partie de la communauté scientifique avait préféré la discrétion, certainement par la conviction qu’il ne fallait pas entrer dans l’engrenage de la compromission.

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On aurait pourtant dû être alerté par les articles de ces « mandarins » qui étaient des exposés d’un cours de premier trimestre de la première année de l’université. Mais malgré tout, nous plaidons non coupables en rappelant que nous n’étions pas encore à l’université.

Plus tard, à l’âge de la maturité et de mes études supérieures, le pot aux roses fut d’une évidence éclatante. Je me suis aperçu qu’ils ne s’aventuraient pas en dehors de la ligne politique officielle non pas seulement par prudence mais parce que c’était le meilleur moyen d’obtenir le prestige sans dévoiler l’indigence de leurs écrits.

Pour ces économistes, tout allait merveilleusement bien dans les rapports sur l’économie algérienne. Et je te mets une pincée de Ricardo par-ci, une cuillère de Schumpeter par-là et pour terminer, l’inévitable grosse louche de Keynes (l’idole des économistes de l’époque) pour donner au plat un goût scientifique de haut niveau.

Le lecteur l’a compris, je parle des fameux « douctours » qui se sont tellement persuadés de leur niveau universitaire jusqu’à devenir sourds aux commentaires de dérision à leur égard de toute la communauté. Essayons de résumer leurs méthodes et subterfuges dans ce qu’il y a de plus grossier car il faudrait cinquante pages pour être exhaustif à leur sujet.

Une occultation de la base de l’économie, l’être humain

La racine grecque du mot économie est une contraction de « oïkos », (maison, donc la cité) et « nomos » qui veut dire gérer ou administrer. La maison fait référence aux seuls êtres humains. Ce n’est donc pas le miracle de la nature et des phénomènes physiques ou chimiques dont il s’agit.

L’économie, c’est donc l’œuvre de l’homme, dans sa production, son organisation et sa maîtrise des techniques à mettre en œuvre à partir de théories pensées par son génie et son sens du débat scientifique.

L’économie est ainsi une alchimie du travail et du capital. Ce travail s’entend aussi bien par le labeur ouvrier que par l’apport de la réflexion des élites.

Lisez les articles des économistes « officiels » algériens. Vous n’y trouverez jamais l’être humain. Car pour répondre à la définition de l’économie il faut prendre en compte la capacité de l’homme à être libre.

Et c’est bien là une première étape infranchissable qui ne peut exister dans la langue de bois et la soumission de ces troubadours du Prince.

De « oïkos monos » à « pólis »

L’argumentation du paragraphe précédent a une conséquence directe. L’expression « Gérer la maison » va être inévitablement reliée à un autre mot grec, « pólis », qui veut dire gérer les affaires de la cité. Par diverses dérivations sémantiques ce mot deviendra « politique ».

La politique, nous voilà donc devant une autre muraille de Chine que les économistes troubadours ne peuvent franchir car la liberté de l’être humain passe par la question politique de la gestion de la cité, aujourd’hui traduite par ville, pays. L’économie est toujours un sujet politique.

Les économistes algériens dans la lumière médiatique des journaux autorisés sur le territoire national sont aussi économistes qu’un charlatan serait un scientifique. Traiter de l’économie sans traiter de la formation et de la liberté de l’homme et ne jamais dire un mot de la sphère politique, c’est comme prétendre faire un couscous sans semoule.

J’ai souvent lu ou entendu ces économistes justifier ce trou immense dans leurs articles par « je ne fais pas de politique ». Ils nous prennent pour des imbéciles car d’une part, lorsqu’on n’est pas libre de ses propos, on se tait. D’autre part « faire de la politique », ce n’est pas être obligatoirement un militant engagé mais prendre les idées politiques diverses comme un champ indispensable de critique scientifique.

Les économistes du Prince ne parlent ni de l’homme dans son individualité ni de politique par  sa vie collective (la cité).

Mais alors, de quoi donc parlent-ils ?

Je résumerai au lecteur quatre axes qui m’ont semblé être les principaux dans lesquels s’engouffrent ces « experts » auto-proclamés.

1/ Tout d’abord le recueil de statistiques. En veux-tu, en voilà, des tonnes de statistiques dans une abondance aussi étourdissante que facile à retrouver sur Internet. Des chiffres, des tableaux, une litanie sans fin qui est censée développer une thèse qu’on ne voit jamais arriver.

Comment voulez-vous qu’elle arrive sans faire allusion à la politique économique, donc à la politique du gouvernement algérien puisqu’il en est le seul maître ?

Ils se cantonnent à des propos  convenus et vagues qui ne condamneraient même pas à une heure d’incarcération, ni même à un rappel à l’ordre et, encore moins à une censure.

2/ Puis ensuite, nous l’avons déjà évoqué rapidement en introduction, le polycopié de première année en économie. Il faut que le propos paraisse scientifique donc insérer le nom de théories, d’auteurs et de techniques que nous avions tous appris en première année, même le dernier de l’amphithéâtre aurait su les reprendre.

Lorsque je lis les papiers de ces grands scientifiques, j’ai l’impression de voir une publicité pour des produits d’hygiène. Les experts en marketing savent depuis longtemps qu’il faut toujours la « caution scientifique », on appelle cela « l’effet de la blouse blanche ». Le message finissant toujours par « approuvé par les médecins », ou les dentistes, ou les scientifiques d’une manière générale.

Alors ces experts nous abreuvent de citations d’économistes célèbres, sans raison le plus souvent si ce n’est pour attester de leur érudition supposée. C’est exactement la même technique qu’emploient ceux qui n’ont pas grand-chose à dire et ont besoin de saupoudrer, à chaque phrase, une citation religieuse. Cela donnerait, selon eux, une caution élevée à leur bavardage.

3/ Le troisième point, celui que nous connaissons depuis 1962, c’est-à-dire celui de leur aînés encartés au FLN ou très proches. Les célèbres « tout va bien, « un essor économique fulgurant », des « projets d’investissements faramineux », « la route vers une grande place économique dans le monde » et ainsi de suite.

Mais comme il ne faut pas paraître trop compromis, ils distillent parfois des interrogations ou des critiques qui se veulent être la marque d’une opposition farouche à la politique du pouvoir, « Il faudrait un effort beaucoup plus appuyé », « les retards sont dus à des opérateurs économiques privés qui ne suivent pas »… etc. On peut imaginer l’ampleur du risque qu’ils prennent.

Ou alors, l’extrême courage, celui de critiquer des projets déjà critiqués par le régime lui-même pour signifier les raisons de leur échec ou de leur abandon. Là nous sommes dans les sommets du militantisme éclairé de ces économistes algériens.

4/ Enfin, le quatrième axe, la technique de la dépêche d’actualité. Dès qu’un évènement économique ou plutôt de propagande d’état est présent, voilà nos commentateurs déverser leur science, toujours en brossant dans le sens du poil du Prince.

Et bien entendu, cette dernière technique de dépêche d’agence officielle, permet d’introduire les deux astuces précédentes, soit les statistiques et le polycopié.

C’est ce qui est arrivé avec la candidature de l’Algérie au sein des BRICS puis ensuite les commentaires à propos du sommet des chefs d’état concernant cette organisation des grandes démocraties du monde.

Cette dernière voie est la plus fructueuse pour ces personnages car l’actualité en elle-même permet de « gonfler » artificiellement le texte qui ressemble plus à celui d’un journaliste qu’à celui d’un grand économiste. Il suffit de commenter les faits et les déclarations, voilà que l’article s’imprime sur une page entière pour une population qui attend la parole scientifique et pédagogique de l’expert.

Ma conclusion consistera à rappeler une seconde fois au lecteur que mon intention n’est absolument pas de jeter un discrédit sur l’ensemble des économistes algériens qui, pour la majorité, ont des compétences solides, parfois acquises par un parcours dans les plus grandes universités à travers le monde.

Je parle exclusivement des économistes « douctours », troubadours du Prince. Ceux qui me mettent en rage.

Boumédiene Sid Lakhdar, enseignant retraité

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