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« Cette guerre sans fin est la preuve que l’Afghanistan est «le tombeau des empires» »

Jean-Charles Jauffret

« Cette guerre sans fin est la preuve que l’Afghanistan est «le tombeau des empires» »

Le Matin d’Algérie Comment expliquez-vous cette flambée de violence ces dernières semaines en Afghanistan ?

Jean-Charles Jauffret : Quatre attentats à Kaboul entre le 21 et le 29 janvier pour un total de 134 tués, c’est un degré de violence jamais atteint auparavant pour une si courte période. Les Kaboulis font les frais d’une rivalité entre les deux groupes terroristes, les taliban et l’Etat islamique. En multipliant les attentats, également en province (24 janvier Jalalabad, 9 tués contre l’ONG britannique Save the Children), ce dernier veut empêcher les taliban de négocier avec le gouvernement d’Asrhaf Ghani (il y aurait des tractations secrètes au Pakistan depuis des mois). Les taliban veulent prouver de leur côté leur détermination et qu’ils peuvent frapper où et quand ils veulent.

– En dépit des milliards de dollars reçus, le gouvernement en place s’avère incapable de sécuriser ne serait-ce que Kaboul pourquoi ? 

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Depuis septembre 2014, le pouvoir repose à Kaboul sur un dyarchie qui affaiblit le régime. D’un côté le président élu de manière contestable, Asrhaf Ghani, de l’autre le Dr Abdullah Abdullah qui porte un titre non reconnu dans la constitution afghane de « chef de l’exécutif ». L’étendue de ses pouvoirs réels reste flou et les oppositions ethniques perdurent : le Dr Abdullah Abdullah représente les Tadjiks (sunnites) et a le soutien des Hazaras (chiites). Comme sous le président Karzaï, le gouvernement est incapable de juguler la corruption, le trafic de drogue et le pouvoir des chefs de guerre comme le criminel de guerre, le général Dostom et ses Ouzeks. S’ajoute un sport national qui perdure : le pillage de l’aide internationale.

Quant aux forces de sécurité afghanes, malgré quelques rares unités d’élite comme les Forces spéciales, surexploitées, ou le 201e corps afghan formé par les Français mais réduit à l’état d’unité cadre tant il a été sollicité depuis 2012, elles ne sont pas fiables. L’effectif total de 300 000 hommes, pour l’armée et la police, payées par l’aide internationale, ne doit pas faire illusion : l’ANA (Armée nationale afghane) reconnaît un taux de désertions moyen de 10%/an en 2016. En outre, la nouvelle tactique des taliban est de menacer directement les familles de militaires ou de policiers.

Enfin, le pays est exsangue par la plus longue guerre de l’histoire contemporaine depuis le début de la guerre civile, sans interruption, depuis 1973 ! Les Afghans sont las, beaucoup sont désespérés de vivre dans un pays ravagé par la guerre, les mines, les attentats, les règlements de compte. Si les « harragas algériens » qui gagnent l’Europe font figure de réfugiés économiques, il en va tout autrement du désespoir de ces dizaines de milliers d’Afghans fuyant leur pays pour sauver leur peau. En 2016, 630 000 Afghans ont pris le chemin de l’exil. Depuis l’entrée, en octobre 2001, en Afghanistan des soldats de la coalition avec leurs gros sabots, 31 000 civils afghans ont été tués.

En bref, les taliban tiennent plus de 40% du territoire. La guerre est à présent omniprésente dans les 34 provinces afghanes.

Le gouvernement de Kaboul tient les villes et quelques axes routiers, un peu comme les Soviétiques dans les dernières années de leur occupation entre 1985 et 1989.

– Qui sont les groupes qui tirent les ficelles et quel est le rôle des services secrets pakistanais selon vous en Afghanistan ?

Le drame de l’Afghanistan est que les puissances régionales sont incapables de s’entendre pour trouver la seule solution possible : une conférence internationale garantissant l’intégrité du pays, sous l’égide de l’ONU avec garantie des grandes puissances (Etats-Unis, Russie et Chine). Indiens et Pakistanais continuent de mener leur guéguerre au détriment du développement du pays. Mais le principal coupable est le double jeu du Pakistan. En théorie il combat le terrorisme, mais en fait il considère l’Afghanistan comme son arrière-cour, sa zone d’influence essentielle et tout devenir de l’Afghanistan doit passer par lui. De sorte que les services secrets (SR) pakistanais, dont l’ISF en particulier, véritable Etat dans l’Etat, soutiennent activement les taliban. Il est acquis que les monstrueux attentats de Kaboul, 31 mai 2017 au camion piégé, 100 morts et 350 blessés, et celui du 27 janvier dernier à l’ambulance piégée, 103 morts, sont dus au réseau Haqqani intimement liés aux services secrets d’Islamabad.

Ces SR tirent les ficelles au plus haut niveau. En effet, il ne faut pas oublier que l’actuel chef des taliban, Haibatullah Akhundzada, est un religieux, un « dur » peu enclin à la négociation. Proche du mollah Omar, originaire de la province de Kandahar, il a été élu dans un consensus d’unité par la « Choura rahbari» ou Conseil de direction, avant même les funérailles d’Al Mansour le 26 mai 2016, ce dernier ayant été victime d’un tir de drone américain. Il s’agissait de mettre un terme à la fuite de taliban attirés par l’Etat islamique, dans l’Est du pays. Pour palier son manque d’expérience militaire, et ce qui renforce l’intransigeance, la Choura nomme deux adjoints. Chargé des opérations militaires, le premier est le fils de redouté Jalaluddin Haqqani, Sirajuddin. Il est membre du réseau terroriste Haqqani et donc intimement aux SR pakistanais. Le second adjoint est le fils du mollah Omar, Yacoub (30 ans). Ni l’un, ni l’autre sont en faveur d’une reprise du dialogue avec Kaboul, qui répond dans le même sens.

– Et la Russie voisine dans tout ça, comment observe-t-elle ce pays qui se défait ?

Discrète mais inquiète, n’ayant aucune envie de voir l’Afghanistan redevenir un foyer d’exportation du terrorisme, la Russie est dans la coulisse et compte sur l’appui de ses amis chinois et, dans une moindre mesure, iraniens, pour éviter un scénario-catastrophe.

Dans un premier temps, le 7 novembre 2014, Poutine réunit ses clients du Traité de sécurité collective, Arménie, Belarus, Kazakhstan, Kirghizstan et Tadjikistan, plus Serbie et Afghanistan comme Etats observateurs. A la fin décembre 2014, au retrait de l’essentiel des forces de la coalition dirigée par les Etats-Unis, la Russie est prête à apporter une aide à l’Afghanistan, sans dire laquelle. Ce qui permettrait de faire comprendre aux Iraniens et aux Pakistanais qu’ils ne sont pas les seuls à avoir des vues sur ce pays.

Dans un second temps, face aux menaces d’une extension de l’Etat islamique en Afghanistan-Pakistan et Asie centrale, la Russie joue un jeu trouble en 2016 et reste dans l’expectative un an plus tard. En bref, Poutine a deux fers au feu. En février 2016 il fait don de  100 000 AK47 neuves et leurs munitions au gouvernement afghan.

D’un autre côté, on sait aussi que les Russes et les Iraniens ont livré des armes (fusils Dragonov des snipers) et donner des conseils tactiques aux taliban qui luttaient dans le district d’Achin en janvier 16 pour y chasser l’Etat islamique dans cette région de l’Est du pays, proche de l’artère jugulaire de la logistique du gouvernement Ghani : la route stratégique Kaboul-Jalalabad, Peshawar via la célèbre passe de Khiber.

En bref, on peut soupçonner Moscou de favoriser un nouvel axe avec l’Iran, la Chine, les pays d’Asie centrale pour inclure dans un processus de paix dans l’espoir, vain me semble-t-il, de contrôler les taliban eux-mêmes aux prises avec les djihadistes de l’Etat islamique. Mais de là à dire que Poutine jouerait la politique du pire, plutôt les taliban à Kaboul que les sbires de Daech, nous n’en sommes pas encore là.

– Finalement l’intervention des Américains s’avère un échec aussi cuisant que celui des Russes dans les années 1980.

La guerre a déjà coûté plus de 800 milliards de dollars aux Etats-Unis et plus de 2 400 tués. Trump a voulu jouer les gros bras, mais n’a fait qu’accentuer la méfiance, pour ne pas dire la haine que les Afghans ont envers l’Oncle Sam : le 14 avril 2017 il faisait exploser la « reine des bombes » (11 tonnes) dans le district d’Achin pour dissuader l’Etat islamique de toute velléité offensive. On voit ces derniers jours à Kaboul et à Jalalabad ce qu’il en est. Comme je vous le disais dans un précédent entretien du 25 mai 2017, le général John W Nicholson, chef de l’opération d’assistance Resolute Support (Etats-Unis et OTAN), joue les pompiers de service. A coup de bombes d’avions, de drones, de raids d’hélicoptères et de combats des forces spéciales américaines, il pose des garrots en divers endroits de l’hémorragie afghane. Le paradoxe, c’est que les Américains, et déjà quelques troupes britanniques de retour dans la province du Helmand (Sud du pays), en tout plus de 17 000 hommes, sont condamnés à rester en Afghanistan. Et ce, pour éviter d’en refaire un épicentre du terrorisme mondial, autrement plus dangereux que ce que l’Etat islamique avait érigé en Syrie-Irak. Cette guerre sans fin est bien la preuve que l’Afghanistan est « le tombeau des empires ».

– Est-ce que la défaite de Daech en Irak a un lien avec ce qui se passe en Afghanistan, avec un probable repli de jihadistes dans ce pays ? 

Tout à fait. Certes, les djihadistes sont en très grande partie des Afghans (taliban dissidents attirés par la haute solde de l’Etat islamique) et des Pakistanais. Mais on voit graduellement arriver, via le Pakistan, quelques combattants du Caucase et du Moyen-Orient. Encore qu’à l’heure présente il faille demeurer prudent :  les Afghans ont pris récemment des archéologues français travaillant dans le Nord du pays pour des djihadistes venus de Paris. On peut cependant craindre que des fugitifs fuyant l’écrasement de Daech en Syrie-Irak prennent le chemin de l’Afghanistan, mais aussi du Pakistan où l’organisation s’est également implantée. L’autre peur réside dans le recrutement de nouvelles recrues, y compris venues d’Europe et du Maghreb, même s’il est beaucoup plus difficile de se rendre au Pakistan qu’en Syrie. En effet, l’Etat islamique, aux troupes très mobiles en Afghanistan, jouit sur place d’un certain prestige : il a chassé les taliban du massif de Tora-Bora, ancien grand-quartier-général d’Al-Qaida !

– Après la séquence Irak, croyez-vous à un possible déplacement des jihadistes aussi vers la Libye par exemple ?

Daech a déjà des camps d’entraînement en Libye, ce qui explique les bombardements égyptiens ou américains depuis 2015. Le déplacement entre Syrie et Libye n’est pas aisé vu qu’il faut passer par l’Egypte. En Libye, il s’agit d’un recrutement antérieur à la fin des commandos islamiques en Syrie-Irak. D’autre part, après les Philippines (siège de Marawi en mai-octobre 2017), l’Etat islamique fourbit ses armes en Indonésie, en Malaisie…

Auteur
Hamid Arab

 




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