Cheikh Elyazid, de son vrai nom Yazid Benhennou, est un chercheur en patrimoine amazigh. Poète, animateur des activités culturelles et auteur de plusieurs ouvrages en différentes langues, notamment en tamazight, il se distingue par sa foisonnante production et son penchant pour la littérature enfantine à laquelle il réserve beaucoup de son temps.
Le Matin d’Algérie : Qui est Cheikh Lyazid en quelques mots?
Cheikh Lyazid : Je ne suis qu’un poète troubadour, habitant les montagnes de la Kabylie. Surnommé ainsi par les intimes, j’ai épousé la culture de mon berceau natal avec les chants de ma mère et ceux de ma grand-mère. Feu mon père a été ma première source d’inspiration, en ce sens qu’il m’avait nourri par des contes et des chants religieux de la fameuse Tariqa Rahmaniya.
Autour de moi, dans les contreforts de la Kabylie, j’avais puisé matière à ma vocation littéraire. Comme j’avais tiré grandeur, beauté et défi dans l’histoire, les traditions, les us ainsi que les coutumes locales. Mon émerveillement face à la culture berbère n’est somme toute qu’un appel de la nature. Mon âme d’aventurier s’est ainsi réveillée, épousant la paix et la créativité. Militant de la cause amazighe dès mon adolescence, je me considère avec toute modestie un bourgeon du mouvement culturel berbère.
Quant à ma carrière d’auteur, j’ai publié jusque-là sept livres de contes pour enfants en tamazight, deux romans et un essai de recherche toujours en tamazight, des adaptations des fables de Jean de la Fontaine, quatre recueils de poésie en arabe parus en Algérie, un recueil de poésie soufie en Suède avec l’aide de l’Association « Penseurs arabes du monde », une pièce de théâtre et enfin un recueil de poésie en Français.
De part ma nature curieuse, j’ai pu lire plusieurs littérature (s), si je pouvais m’exprimer ainsi, en faisant des adaptations du russe, de l’espagnol, de l’américain, du turc, etc. Par ailleurs, j’ai participé à deux reprises à une anthologie de poésie au Mexique en anglais sous l’égide de l’Unesco, en Serbie avec les cercles serbes, à Barcelone en Espagne, et enfin, en France.
J’ai eu également la chance de contribuer à un livre d’un groupe poétique maghrébin, et à un recueil collectif d’artistes sur les prisonniers politiques dans le monde en arabe, paru en Egypte. Certains de mes travaux sont même soumis à des critiques dans diverses universités à travers le monde. Ainsi des traductions de mes oeuvres ont-elles été faites en albanais, anglais, espagnol, italien, etc. A présent, je dirige plusieurs activités culturelles, notamment une rubrique culturelle « Axxam n’Leqvayel » à la Radio Saint-Etienne en France.
Le Matin d’Algérie : Dans vos écrits, on sent une touche spirituelle, très proche du Soufisme. Vos vers donnent aux lecteurs la sensation d’être immergés dans une atmosphère d’ouverture, de fraternité et de tolérance. Quelle est votre explication?
Cheikh Lyazid : L’écriture est une forme de méditation, donc de spiritualité. C’est, dirais-je même, un voyage dans les profondeurs de l’humain. Avec l’écriture, on soigne nos blessures, on guérit nos maux, d’abord dans l’espace intérieur de l’être, puis dans l’espace le plus large, c’est-à-dire la société. Pour moi, il s’agit de pensées spirituelles libres, de fraternité, de tolérance et d’amour. La touche spirituelle dont vous parlez, est, me concernant, une forme de purification de l’âme par le biais de la parole et de l’écrit. J’aime tout ce qui me libère des chaînes de la servitude.
La plume, au-delà de son effet cathartique sur les esprits, aide à la création d’une atmosphère saine, à l’intérieur de l’être et tout autour de lui, loin de toute pulsion de haine et de violence. Elle est une deuxième naissance à la vie ; une renaissance ; une résurrection après des phases d’épreuves, de douleurs et de traumatismes. Qui plus est, elle est un langage sans frontières. Il y a, à vrai dire, quelque chose du Soufisme là-dessus, moins tout relent dogmatique ou sacralisant.
Le Matin d’Algérie : Vos contes pour enfants en tamazight sont un véritable succès. Pourriez-vous nous dire pourquoi vous vous êtes orientés vers ce créneau?
Cheikh Lyazid : L’enfant est tel un arbre dont il faut prendre régulièrement soin. On doit lui offrir ce qu’il y a du meilleur en nous. La plus belle des choses, c’est de ne pas le laisser seul, orphelin de racines, de ne pas le priver de sa langue, de son identité, de sa culture, de son histoire. C’est de lui offrir un univers d’imagination proche de sa personnalité, de son entourage et de ses racines. Un univers qui doit être simple, très ouvert sur le monde. Tout cela doit se faire avec un langage simple et il n’y a pas mieux qu’un conte. Car, ce dernier permet à l’enfant d’affronter la réalité avec sagesse et philosophie, en s’identifiant aux personnages imaginaires, lesquels peuvent ressentir les mêmes émotions que lui-même.
Rappelons-nous Le Petit Prince de Saint-Exupéry et l’effet majeur qu’il avait eu sur le monde l’enfance, pour comprendre l’intérêt d’un conte dans le développement de l’enfant et dans son passage au monde l’adolescence et puis à l’âge adulte. Bref, le conte a une grande importance dans l’apprentissage de l’élève. « Si vous voulez que vos enfants soient intelligents, disait Albert Einstein, lisez-leur des contes de fées ».
Dans la culture amazighe, le conte a justement toute sa place dans le foyer traditionnel. Le Grain Magique de Taos Amrouche en est la preuve la plus vivante. La femme, qu’elle soit mère ou grand-mère, en est souvent la pièce-maîtresse, et les parents , père, grand-père, oncles s’adonnent aussi quelquefois aux contes, en transférant morales, sagesses et leçons de vie utiles à leur progéniture. Tout cela a joué dans mon choix du créneau des contes pour enfants…
L.M.A : On sait bien que, ces derniers temps, il y a plein de production livresque en tamazight, s’agit-il vraiment d’un rebond culturel qui promet ? Ou c’est juste une tendance éphémère « bouche-trou », c’est-à-dire pour combler le vide d’un champ culturel resté longtemps en déshérence?
Cheikh Lyazid : En vérité, le livre amazigh commence à émerger dans le champ culturel national. La production livresque en Tamazight, surtout en littérature, n’est pas négligeable. C’est une réussite, même s’il y a un manque criant en matière de subvention, de promotion, des difficultés d’édition et de vente, la prise en charge concrète de notre langue avec les outils ainsi que les moyens nécessaires. Heureusement que l’acte du militantisme est là présent pour faire avancer les choses, donner plus de fruits, sauvegarder notre identité, dans l’attente d’ouverture à d’autres champs et domaines scientifiques.
Ici, il me semble pertinent de mettre l’accent sur la nécessité de la traduction. Nos autorités doivent encourager les élites dans ce sens. C’est très utile pour nous d’aller en force sur ce créneau.
Rappelons-nous que c’était grâce à traduction des oeuvres grecques en arabe que les musulmans avaient pu porter leur culture à l’apogée. Faisons alors de notre culture berbère le carrefour de toutes les cultures du monde…
Le Matin d’Algérie : Vous êtes un auteur prolifique, aussi bien en arabe qu’en tamazight. Quel est le secret de ce bilinguisme qui se fait rare chez nous par les temps qui courent ?
Cheikh Lyazid : Ma plume embrasse plusieurs langues. J’avoue que c’est une sorte de bénédiction. En plus, j’avais fait des études en philosophie et en littérature. Chose qui m’avait longtemps soutenu, en me maintenant à flots, dans le bain de la réflexion et de la pensée. Il est clair que les langues m’avaient attiré dès mon enfance et c’était d’ailleurs la chose qui m’avait poussé à découvrir l’univers linguistique multiple. Je parle, en effet, plusieurs langues. C’est un bagage sinon un « background » pour l’écriture et la création en tamazight.
En quelque sorte, je me retrouve dans ma langue maternelle et j’essaie de l’enrichir en puisant dans d’autres langues.C’est un travail à la fois passionnant et laborieux. Etape incontournable pour épouser l’universalité, tout en gardant à l’esprit l’idée que la plume ne ne s’arrête pas à l’obstacle de la langue, mais transcende toutes les barrières pour aller vers l’universel.
Le Matin d’Algérie : Vous êtes sur le terrain culturel depuis plus de deux décennies, quel regard portez-vous aujourd’hui sur tamazight? Et puis, quel statut souhaiteriez-vous à l’artiste en Algérie ?
Cheikh Lyazid : Pour tamazight, je suis optimiste. Toutefois, je pense que le chantier de sa promotion est encore long. Beaucoup d’efforts et de sacrifices restent à déployer. Tamazight a besoin de ses enfants, tous ses enfants sans exception, de moyens et un travail de fond pour sortir de l’ornière du bricolage et du folklore. Quant à l’artiste, il me semble qu’il nage tout seul dans un océan d’incertitude, avec des contraintes de tout ordre. De même la société le regarde-t-il de manière floue.
Sincèrement, l’artiste est en perpétuelle souffrance en Algérie. Il porte un lourd fardeau fait de mépris et d’incompréhension. Il est en attente d’un regard attentif à son égard. Une société qui sous-estime ses artistes, n’est-elle pas, somme toute, une société vouée à l’échec ; à la disparition ; au repli sur soi ; à la mort lente? C’est le moment ou jamais d’aller vers une refonte réelle dans le statut de l’artiste. Il faut lui accorder ses droits, ses pleins droits et l’un d’eux, c’est le droit à la vie ; à la respiration ; à l’expression libre ; à l’existence même.
Bref, la vie, c’est de l’espoir et je lance ici même au travers votre honorable site un appel pour le Ministère de la tutelle, les mécènes et le patronat afin qu’ils viennent à la rescousse de notre patrimoine, de notre culture, de notre héritage commun et surtout des artistes, porteurs de lumière et d’idéaux.
Il va falloir écouter les soucis des auteurs, les respecter, les considérer, leur ouvrir les portes…enfin, un appel à mes compatriotes : faites apprendre à vos enfants l’amour des livres et tout ce qui est en rapport avec la lecture. C’est très important.
Propos recueillis par Kamal Guerroua pour Le Matin d’Algérie.