26 avril 2024
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« Chère laïcité » de Tarik Djerroud : un pamphlet contre l’intolérance

Si percutant, si puissant, si courageux, l’essai « Chère laïcité » de Tarik Djerroud « dé-tabouise », si l’on ose le mot ici, la question de la croyance, la religion et la laïcité en Algérie.

Ecrit sur un ton « impulsif », à la limite de la colère, il donne à lire la  réalité sociologique complexe de l’Algérie de nos jours et l’impérieuse nécessité qu’il y a d’opter pour un modèle de gouvernance laïc qui cadre avec la profondeur de l’histoire commune. Bien que l’auteur soit « critique » sur l’influence négative du fanatisme religieux sur les ressorts sociaux d’un pays ayant longtemps souffert sous le joug colonial et de l’autocratie postindépendance hybride, il n’en reste pas moins optimiste sur une tradition séculaire enracinée dans les mœurs collectives.

Sans l’avoir affirmé et sans céder à un quelconque penchant haineux, l’auteur a fait, en quelque sorte, un diagnostic socio-anthropologique « tranquille » et « lucide » de la société. T. Djerroud insiste sur le fait que « la laïcité est une possibilité algérienne » et qu’elle est « la seule garante d’une vraie concorde nationale ».

S’appuyant sur des faits réels de l’actualité, comme les violences répétées contre les filles qui pratiquent le sport, les femmes qui ne portent pas le foulard, les non-jeûneurs, ou l’incohérence de cet imam de Taghit qui a incité, il y a quelques années, des jeunes en mal de projet dans des discours pestant la haine à empêcher les fêtes de fin d’année, Tarik Djerroud a tenté  de révéler la nature de l’abcès dont souffre le pays : l’intolérance. Point de cultures porcines ou vinicoles, considérées comme haram « illicite », alors que l’économie bat de l’aile.

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Point de culture touristique à cause de la suspicion jetée sur l’autre, source « hypothétique » de nos maux pluriels. Le pays est refermé sur lui-même dans une sorte de paranoïa maladive.

La faute à qui? Et bien, à l’islamisme politique, venu de la base, qui a profité de la brèche des années 1990, pour s’ériger en parrain attitré de la « démocratie ». Une grosse imposture, selon l’auteur qui s’est ajoutée à celle de l’islamisme étatique et partisan, que les officiels ont caché derrière divers subterfuges, en jouant la carte de la sauvegarde de la République. Or, comment peut-on imaginer une démocratie sans laïcité?

Comment peut-on imaginer une modernité sans démocratie?Pour l’essayiste, il est quasiment compliqué, voire impossible pour une « idéologie politique qui cultive l’entre-soi, donc l’exclusion de l’autre et qui s’attache à un mode de vie inspiré des temps anciens où le mépris est une pierre angulaire » d’aspirer au progrès démocratique et à la modernité.

Il est un besoin urgent pour comprendre notre chute libre dans le gouffre intégriste : s’atteler à refaire la chronologie de l’islamisme en Algérie que Djerroud considère comme « une démarche salutaire, tant elle montre étape par étape, les ravages du fanatisme, du temps de Oqba en passant par Ibn Toumert ».

Et puis, si l’islamisme populaire peut être « régulé » pourvu qu’il y ait, bien sûr, une bonne volonté en haut, l’islamisme étatique est, à l’en croire, très dangereux. Cela est d’autant plus dramatique que ce dernier est capable de mettre en marche des leviers importants comme les mosquées, les zaouïas, les écoles, les médias, etc., ce qui  permet facilement la mise en place d’un projet rétrograde et haineux qui nie par exemple la diversité religieuse et le droit de critique vis-à-vis de chef d’Etat  qui se proclame pour « calife » ou « envoyé du Dieu ».

A travers les 168 pages du livre, l’auteur qui est à son deuxième essai après celui de tamazight-âme de l’Afrique du Nord, en deux tomes publié chez Tafat en 2001, s’offusque de la régression dramatique des libertés en Algérie.

« L’altérité, écrit-il, n’étant pas enseignée à l’école ni propagée dans les mosquées, la diversité jetée aux orties, ce constat inquiétant appelle sinon un sursaut politique du moins un éveil intellectuel exigeant. »  Il ne faut pas s’étonner donc de la confiscation des libertés qui est « devenue un dogme consacré  pour un système politique qui puise dans la religion l’arme idoine pour imposer sa vision avec le consentement populaire, créant une glaciation à tous les niveaux ».

Tarik Djerroud cite à ce titre le bannissement des droits des femmes, la loi sur la nationalité, l’étouffement des droits des étrangers et la castration des droits des étrangers, avec en toile de fond, la mise à mort de l’alternance politique. Il en appelle de toutes ses forces à cesser cette « hypocrisie lourde de conséquences »  et à consacrer la laïcité dans le cadre d’un Etat de droit qui garantit la liberté du culte et de conscience, la diversité et le droit des minorités religieuses à exercer leur culte dans une totale liberté et sans aucune forme de persécution.

Chirurgicale, critique et incontestablement moderniste, l’approche de Tarik Djerroud, quoique comme dictée par  l’urgence, ou une colère justifiée contre les abus de toutes sortes, gagne en objectivité d’une page à une autre. Elle est on ne peut plus un appel universel à la tolérance, à la liberté et au respect du vivre-ensemble, seule garantie de la stabilité et de la paix sociale. Et par-delà tous ces constats, elle est une invitation tacite à un aggiornamento de notre logiciel social, politique, culturel, éducatif, à la faveur d’une laïcité respectueuse des libertés et des différences.

Kamal Guerroua

Tarik Djerroud, Chère laïcité, Edition Tafat, préface de Mahrez Bouich, 2019, Prix public : 500 dinars.

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