Vendredi 3 janvier 2020
Cherif Aggoune : sa mort m’a laissé muet
Le 25 juin 1998, Matoub Lounès a été assassiné à Thara Bouinane, sur le chemin de sa maison. Je suis resté aphasique pendant trois jours et trois nuits.
Il y a quatre semaines, trois artiste, un grand frère, a été foudroyé par une crise cardiaque totalement inattendue à Paris.
Chérif Aggoune avait 68 ans, autant d’années d’éclats de rires, autant de mètres de profondeur dans ses yeux bleus. Chérif était un océan de bonté, de générosité.
Je n’ai pas pu en parler avant aujourd’hui. Sa mort m’a fait mal. Très mal.
Sa disparition m’a légué autant de douleur que celle du départ de mes confrères assassinés pendant la décennie noire.
Cet ancien élève de l’Ecole supérieure des études cinématographiques de Paris a été de tous les combats. Il a été aux avants postes des luttes pour les libertés démocratiques.
Caméra à la main, contrairement à ce qui est entendu, il a été le premier à tourner un film en langue berbère. Ce film, présenté pour la première fois en 1991 dans les locaux d’une association ACB de Ménilmontant avait pour titre : « Tagara Lejnun » (la fin des djins).
C’était le premier film en tamazight. Ce film primé au festival de court métrage de Clermont-Fernand est passé totalement inaperçu. Son auteur, Chérif Aggoune a vécu comme son film discrètement.
Sur la pointe des pieds.
Pourquoi nous a-t-il quitté si brutalement ? Si violemment ?
Mohand Saïd Fellag, atterré, m’a téléphoné le jour de sa mort, les larmes au fond de la gorge : « Notre frère Chérif vient de mourir ».
Comment oublier ces monts et ces vaux que nous avons foulés ensemble dans la région des Ouadhias ou de Boghni, toujours accompagnés par ces yeux bleus outremer, cette tignasse et cette barbe rousses…
Comment oublier le rire sincère et cristallin de Chérif ?
Comment revoir aujourd’hui, Alger sans lui ? Quel livre pourrait contenir toutes les anecdotes vécues avec lui ou chez lui à Dély-Brahim, combien de pages faudrait-il pour résumer son optimisme ?
Chérif Aggoune était né pour vivre. Il est mort de trop avoir vécu.
Je salue ici sa mémoire et à l’aube de cette nouvelle année, je voudrais mélanger mes larmes avec celles d’Abdellah, son frère, et de Slimane, son cousin.
Je ne le reverrai plus. J’en étouffe.