AccueilCultureClaire Fourier : « La littérature m’aide à trouver un sens à la condition humaine »

Claire Fourier : « La littérature m’aide à trouver un sens à la condition humaine »

Claire Fourier est d’origine bretonne, diplômée d’Histoire et de l’École nationale supérieure des bibliothèques, elle a longtemps enseigné la littérature, c’est une écriture brillante prolifique pour le bonheur des amoureux des belles lettres, d’une langue poussée à l’excellence.

Il y a des écrivains qui sont véritablement hors des sentiers battus qui paraissent presque irréels tant ils sont hors du moule que l’époque et la société imposent. Nous voyons malheureusement tant d’intellectuels qui s’enflent d’orgueils et de vanité en mutilant la langue et la libre pensée.

Claire Fourier se distingue et s’illumine, ses écrits sont si vrais que chacun peut s’y voir et se reconnaître, ce sont des histoires humaines authentiques sans artifices ni ornements illusoires.

Les livres de Claire Fourier sont une bouffée d’oxygène, ils interpellent l’âme humaine, c’est aussi un baume salvateur pour le cœur qui se réchauffe de page en page tout en restant lucide sans se perdre entre les lignes.

Claire Fourier rend sa valeur au verbe, élevant la langue dans la sensualité, dans un élan quasi spirituel, laissant les sens en éveil, même la plume s’émerveille, les nuages s’écartent et se dissipent laissant la place au soleil.

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Claire Fourier magnifie les genres, surfant, voguant aisément entre romans, récits, essais, poèmes, ses livres sont hors catégories, hors des limites fixées pour une littérature standardisée.  

Claire Fourier est dans le temps et hors du temps, ses ailes déployées sans équivoque nous invitent à beauté, à la réflexion, à la liberté, à la passion.

Le Matin d’Algérie : Vous avez beaucoup enseigné la littérature, la passion de l’écriture vous habite, qui est Claire Fourier ?

Claire Fourier : Qui suis-je ? Oh, une femme habitée par la tendresse pour le genre humain. La littérature m’aide à trouver un sens à la condition humaine, à nos misères, à répondre à la question : à quoi bon, ce que nous vivons ? De ce fait, la philosophie m’habite plus que la littérature. Je ne suis pas vraiment une romancière : fabrique, raconter des histoires pour divertir ne m’intéresse pas, et j’en serais incapable.

Le Matin d’Algérie : Vos livres sont époustouflants de beauté, de magie, comment réussissez-vous cela ?

Claire Fourier : La magie ! Si elle s’expliquait ! Mais y a-t-il de la magie dans mes livres ? Vous m’honorez. Je suis consciencieuse, c’est tout… Hélas, je me sens tellement en deçà de ce à quoi j’aspire.

Quant à la beauté ! J’essaie, oui, où que ce soit, dans mon comportement, mes pensées, mon écriture, sinon d’atteindre, d’approcher la beauté, synonyme de noblesse, selon moi. Dur, dur ! D’autant qu’il faut donner une impression d’aisance. Mais peut-être est-ce de l’effort dissimulé que surgit la magie qui a toujours l’air d’une chose facile ?

Le Matin d’Algérie : Le temps ne semble pas avoir de prise sur vous, comment faites-vous ?

Claire Fourier : Oh si, le temps a prise sur moi ! Du reste il est le sujet majeur de mes livres. Le temps nous érode (je m’en désole quand je me vois dans le miroir !), il use nos élans, mais nous ne valons quelque chose qu’en assumant les effets du temps sur notre personne. Rejeter le temps nous rétrécit, l’accepter nous grandit. J’essaie donc de tirer de l’âge, autrement dit, de l’expérience et des déconvenues, un maximum de bienfaits. Je dis volontiers qu’il n’est de guerre juste que de guerre contre soi-même, – guerre où nous devons affuter des armes menues pour non pas nier, mais transfigurer le travail du temps, l’alléger et le rendre transparent, et être toujours et partout au mieux de ce que nous pouvons être… tout en sachant que ce mieux est souvent dérisoire. Vivre, c’est travailler inlassablement à s’améliorer, et rien d’autre.

Le Matin d’Algérie : Vous vous démarquez des écrivains en vogue qui sont plus dans l’air du temps et le souffle des vents, votre écriture bouleverse tant elle est vraie et intemporelle, qu’en pensez-vous ?

Claire Fourier : Oui, j’essaie d’être fidèle dans l’écriture à ma part la plus difficile : l’exigence de vérité. On revient à ce que je disais plus haut : la sagesse consiste à faire du temps un tremplin pour l’intemporel (pour le divin). Ce qui est actuel m’intéresse, bien entendu, mais je tâche de faire que l’actuel ouvre sur l’intemporel et l’universel. En donnant à l’instant une valeur dans la durée. – Mettre les choses et les événements en perspective aide à les comprendre. Mettre en parallèle le présent et le passé aide à appréhender l’avenir. Je l’ai fait notamment dans Tombeau pour Damiens, où je rends justice, dans un portrait fouillé, à l’homme qui fut écartelé pour avoir égratigné le roi Louis XV et qui, au matin de sa condamnation, répondit aux juges qui lui annonçaient la nature de son supplice : « La journée sera rude. » J’ai mis en perspective le supplice d’un homme du XVIIIe siècle et nos menus supplices quotidiens, lesquels si souvent nous font pareillement dire au matin : la journée sera rude.  

Le Matin d’Algérie : Votre écrit sur l’Abbé Pierre sur Facebook, ce saint homme qui a voué sa vie à aider les plus pauvres m’a profondément touché, « Pauvre vieillard seul, si seul dans sa chambre d’hôpital au soir d’une vie de sacrifices, giflé par une infirmière qui s’est sentie outragée. Mais où donc est l’outrage ? » l’humain semble si oublieux dans une époque dénuée du sacré, quel est votre avis ?

Claire Fourier : Cette affaire me touche. Je ne suis pas née pour juger, mais pour comprendre. Et qu’au soir d’une vie consacrée à son prochain et nourrie de sacrifices, un vieillard, l’abbé Pierre, atteint de la maladie de Parkinson soit giflé dans sa chambre d’hôpital par une infirmière parce qu’il a touché son sein, voulu trouver un peu de consolation à sa solitude, et qu’ensuite cette infirmière (une femme tout de même censée réconforter) se vante de l’avoir giflé, me paraît abominable et un outrage au sacré qui loge en chacun de nous. (J’aurais pris la tête du vieillard sur mon sein avec un sourire et trois mots gentils.)

L’enfant et le vieillard sont particulièrement sacrés. Or, l’enfant est devenu ludique et le vieillard n’est plus respecté. Le blasphème est à la mode, au nom de la liberté d’expression. Il y a là, selon moi, un outrage à la part divine qui loge dans l’être humain.

Le sacré dépasse l’individu, mais exige le respect de la personne, toujours fragile et défaillante.

Le Matin d’Algérie : Quels sont les écrivains qui vous influencent ?

Claire Fourier : Les écrivains russes qui m’ont enseigné la compassion, la grande pitié.

Montherlant qui m’a enseigné l’écriture lancée, limpide. Nietzsche qui m’a enseigné l’indépendance d’esprit, le refus de penser comme le troupeau.

Simone Weil pour les raisons dites plus haut : le respect du sacré et de la beauté – deux choses qui vont ensemble, selon elle. D’autres encore, bien entendu.

Le Matin d’Algérie : Vos livres éveillent, éclairent, entre philosophie et spiritualité, non pas dans une dualité mais dans une complémentarité, qu’en pensez-vous ?

 Claire Fourier : Je me suis longtemps intéressée à la théologie, cela a accentué un besoin de vivre porté par la spiritualité. J’ai fait naguère dans un monastère de la Chartreuse un séjour de dix jours qui m’a beaucoup marquée. J’ai du goût pour l’ascèse et la vie spirituelle. – Ce qui n’est pas antinomique avec la vie sensuelle. J’ai ainsi écrit quelques livres dits érotiques mais que je qualifie plutôt de sensuels, car l’érotisme est souvent violent tandis que la sensualité apaise l’agressivité et la cruauté du monde.

Bien entendu, dans la vie publique j’approuve la laïcité, mais je n’aime pas la laïcardise. Et je regrette qu’au nom de la laïcité, on n’enseigne pas à l’école l’histoire comparative des religions, sans sectarisme, sans dogmatisme. Quel progrès cela ferait faire aux jeunes esprits curieux ! C’est un enseignement délicat certes, pourtant nécessaire.

La spiritualité et la vie intérieure nous sont vitales, elles nous distinguent de la bête, de même que le souci de la transcendance. Il faut en donner le goût aux enfants.

Le Matin d’Algérie : Votre livre « Tout est solitude » publié chez les éditions Tinbad est incroyable, car on ne sent pas du tout seul en le lisant, à quoi est due cette magie ?

Claire Fourier : Vous me récompensez en disant cela, car je n’ai pas écrit ce livre d’un claquement de doigt ; ce fut un dur labeur. J’ai voulu analyser pour le lecteur le secret dont il souffre, et ce secret, c’est la solitude inhérente à la condition humaine. J’ai voulu aider le lecteur à apprivoiser sa solitude, plutôt qu’à la fuir, parce qu’on souffre encore plus en la reniant qu’en l’assumant. J’ai considéré qu’il était de mon devoir de mettre au service du lecteur le petit don que j’ai pour les mots afin de l’aider à « faire avec » la solitude, en lui disant bien qu’il n’est pas seul à être seul, que nous appartenons tous à une communauté de solitaires. Vous me signifiez que j’ai un peu réussi. Tant mieux.

Je plaide non pour le vivre-ensemble pesant, mais pour une légère communion dans le sentiment de solitude. Je l’ai fait à ma manière, avec une part d’humour, d’impertinence, de drôlerie, et peut-être de grâce, ce qui expliquerait la magie dont vous parlez ?

Matin d’Algérie : Avez-vous des projets en cours ou à venir ?

Claire Fourier : J’ai continument des projets. Mais finis les récits épuisants qui exigent une longue documentation. Je reviens à ma veine profonde, les « Mélanges » : recueils de pensées, de sensations, d’observations, de saynètes, nourris du quotidien et dépassant le quotidien, disons : des esquisses, des éclats de romans, fondés sur la compréhension d’autrui.

Le Matin d’Algérie : Un dernier mot peut-être ?

Claire Fourier : Je le laisse à un homme qui avait ses racines en Algérie, Albert Camus : « Quoi qu’il prétende, le siècle est à la recherche d’une aristocratie. Mais il ne voit pas qu’il lui faut pour cela renoncer au but qu’il s’assigne hautement : le bien-être. Il n’y a d’aristocratie que du sacrifice. L’aristocrate est d’abord celui qui donne sans recevoir, qui « s’oblige ». »

J’ajoute, dans le sillage de Camus : il faut tâcher d’écrire en aristocrate et faire que les grains de poussière que sont les mots, s’agglomèrent à la Voie Lactée, pour retomber en pluie d’étoiles et éclairer la solitude, la nuit de nos semblables, nos pareils… tellement dépareillés.

Entretien réalisé par Brahim Saci


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