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Comprendre la pluralité de l’enseignant

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Dans l’imaginaire social algérien ou autre, la figure de l’enseignant est souvent réduite à une silhouette unidimensionnelle : transmetteur de savoir et autorité devant la classe. Cette vision essentialiste, aussi rassurante soit-elle, occulte la profonde complexité de la personne qui incarne ce rôle.

En effet, loin d’être un acteur social monolithique, l’enseignant est un « être de papier », selon l’expression de Lahire (2005), dont les feuillets sont constitués de multiples schémas d’action, de perception et d’évaluation, intériorisés au gré de socialisations plurielles et activés de manière différentielle selon les situations pédagogiques qu’il rencontre.

Lahire (2005), postule que l’individu est un « homme pluriel » habité par une pluralité de schèmes issus de socialisations multiples et souvent hétérogènes. Cette thèse offre un cadre théorique adéquat pour déconstruire l’unité apparente de la « la multiplicité dispositionnelle de l’enseignant ».

En effet, l’enseignant n’arrive pas en classe dépouillé de son histoire. Il est le produit d’une socialisation familiale primaire, d’une socialisation scolaire longue qui l’a conduit à ce métier, d’une socialisation professionnelle lors de sa formation, mais aussi de ses expériences extrascolaires (socialisation culturelle, sportive, associative, etc.). Chacune de ces instances a inscrit en lui des dispositions spécifiques – des manières de parler, de penser, de réagir, d’évaluer – qui forment un « répertoire » potentiel. L’enseignant en classe se transforme en une configuration spécifique de dispositions activée par le contexte.

Ainsi, l’enseignant qui anime un débat d’idées ne mobilise pas les mêmes schèmes que celui qui gère un conflit entre élèves, corrige des copies, ou participe à un conseil de classe. Il opère des « ajustements situationnels » permanents, passant de la posture de l’expert savant à celle du médiateur, du gestionnaire, du psychologue, voire du comédien. Cette plasticité est la manifestation même de sa pluralité interne. Pour Lahire (2005), l’acteur est un capital de schèmes d’action variés et disponibles qui se déploie de manière sélective.

Ainsi, dans la salle des professeurs, espace de transition et de glissements identitaires, l’enseignant endosse, souvent, le rôle du collègue solidaire, parfois, du syndicaliste militant, et tout le temps, du parent anxieux pour sa propre progéniture. N’est-ce pas une mosaïque d’appartenances sociales?

Ce qu’il faut comprendre est que le « moi pluriel » de l’enseignant n’est pas une libre combinaison de dispositions ; il est soumis à de fortes pressions institutionnelles et sociales. L’institution scolaire, par ses programmes, ses routines, ses évaluations et sa « forme scolaire » historique, tend à prescrire un certain habitus professionnel. Cette tension entre les dispositions incorporées (issues de sa socialisation) et les exigences du contexte professionnel est au cœur de l’expérience enseignante contemporaine. 

Les travaux récents sur la performance émotionnelle des enseignants (Barrère, 2017) illustrent parfaitement cette nécessité de performance identitaire : l’enseignant doit gérer et souvent masquer ses émotions pour incarner la sérénité et l’autorité attendues, mobilisant pour ce faire des dispositions qui peuvent être en contradiction avec son état intérieur.

La salle de classe devient ainsi une scène où se joue une véritable performance identitaire. L’enseignant y est un acteur dont le jeu n’est pas purement stratégique ou cynique ; il est l’expression de cette économie des dispositions en action. Selon le public (élèves en difficulté, classes préparatoires), la matière (philosophie ou autre) ou le moment de l’année, différentes facettes de sa personne seront sollicitées. Un professeur d’EPS pourra mettre de la spontanéité dans son action, tandis qu’un professeur de philosophie trouvera dans la réflexion abstraite un terrain d’expression privilégié. Pourtant, l’inverse est tout aussi vrai et révélateur de la pluralité : le même professeur d’EPS devra faire preuve d’une rigueur administrative pour gérer les notes et le temps dédié à la pratique, et le philosophe devra développer une forme d’extraversion de situation pour captiver son auditoire. Cette adaptabilité n’est pas une faiblesse, mais la preuve d’un répertoire dispositionnel riche et d’une intelligence situationnelle aiguisée. 

Aujourd’hui, l’enseignant expert est justement celui qui sait puiser avec justesse dans son répertoire pour répondre de manière ajustée à la singularité de chaque situation pédagogique. Il est un « sujet pluriel » naviguant en permanence entre ses dispositions incorporées, ses inclinations personnelles et les contraintes d’un contexte professionnel exigeant et multifacette. Reconnaître cette pluralité est un impératif tant scientifique que pratique. Pour la recherche, il s’agit d’aborder l’enseignant dans sa globalité d’être social. Pour la formation, il s’agit d’abandonner le mythe du profil unique et d’aider les futurs enseignants à prendre conscience de leur propre répertoire dispositionnel, pour apprendre à le gérer, l’enrichir et l’ajuster avec flexibilité et résilience. 

C’est en assumant la symphonie, parfois dissonante mais toujours vivante, de ses identités multiples que l’enseignant peut le mieux remplir sa mission, non comme un automate du savoir, mais comme une personne humaine, riche, complexe en relation avec d’autres personnes, en perpétuelle co-métamorphose.

Dr Hamaizi Belkacem, ENS de Sétif

Références

Barrère, A. (2017). Au cœur des malaises enseignants. Armand Colin.

Lahire, B. (2005). L’homme pluriel: les ressorts de l’action. Armand Colin.

Lahire, B. (2006). La Condition littéraire. La double vie des écrivains. La Découverte.

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