22 novembre 2024
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Connaître et distinguer (III)

Hégémonie culturelle : L’enjeu fondamental

Connaître et distinguer (III)

Lire la deuxième parrtie : Du spirituel.

Dans son article, Hebib Khalil relate ce qui, en effet, se constate quotidiennement : l’emprise de l’idéologie obscurantiste sur le peuple et sur les jeunes. Est-il raisonnable de se limiter à la déplorer et à en accuser ses auteurs ? Ne s’agit-il pas de poser tout de suite après la question : alors, que faire pour contre-carrer cette influence ?

Pour répondre à cette seconde interrogation, pointer la résistance à la répression étatique et au terrorisme islamique ne suffit pas. C’est là évoquer seulement les adversaires.

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Une autre demande s’impose : suite à quelles erreurs (faiblesses) des démocrates et progressistes, l’État a été capable de réprimer, et les islamistes de terroriser ?

Alors, on sera obligé de remontera jusqu’aux conditions de la guerre de libération nationale et ce dont elle accoucha par la suite. Alors, on devra examiner en toute objectivité quel rôle (avec quelles carences) fut celui des démocrates et progressistes. Car, n’oublions jamais ce fait : l’adversaire est fort parce que soi-même est faible ; l’obscurantisme est devenu fort parce que la claire conscience est devenue faible. Rappelons une métaphore : si un coup de poing s’abat sur une tomate, c’est elle qui est pulvérisée ; mais si le même  coup de poing s’abat sur un gros caillou,  c’est le premier qui se brise.

Les démocrates progressistes (et cela depuis la guerre de libération nationale) se sont révélés une « tomate », malgré toute leur bonne volonté. Sept événements en furent les preuves significatives : 1) la crise dite « berbériste » (1949) ; 2) la capture (par hasard ?) de Larbi Ben Mhidi et son assassinat par l’armée coloniale ; 3) le meurtre de Abane Ramdane par ses « frères » de combat ; 4) l’échec de la résistance des combattants de l’intérieur au putsch militaire de l’armée des frontières (été 1962) ; 5) l’échec de la résistance armée du Front des Forces Socialistes à la dictature militaire ; 6) la reddition du P.A.G.S. au régime militaire de Boumédiène, sous prétexte de « soutien critique » ; 7) l’étouffement de la révolte populaire du printemps 2001, dont le centre fut la Kabylie.

Ces sept événements ont vu, à chaque fois, la défaite de la tendance démocrate et sociale au profit de celle oligarchique. Cette dernière s’est masquée derrière une idéologie rétrograde, d’abord « islamo-arabe » (dans les quatre premiers cas mentionnés), ensuite « étatiste légaliste » dans les trois derniers cas.

Cependant, de tous les cas cités, l’un d’eux mérite d’être relevé comme étant le plus grave, parce que ses représentants se sont volontairement abandonnés à la compromission avec le régime qu’ils étaient censés combattre : les dirigeants du parti du « soutien critique ». Compromission signifie, par comparaison avec compromis, le fait de croire utiliser le second quand, en réalité, on se trouve empêtré dans le premier. Autrement dit, les dirigeants du PAGS se sont crus plus malins politiquement que le chef du régime militaire, Boumédiène, lequel, pourtant, les a bien utilisés à son exclusif profit. La réalité en fut la preuve.

Il reste donc aux démocrates progressistes à connaître puis admettre leurs erreurs (faiblesses), pour, ensuite, être capables d’apprendre comment devenir un bon et solide « caillou ».

Religion et politique

Il faut, aussi, que les démocrates progressistes sachent distinguer entre religion et politique.  Certains aspects ont été examinés dans la partie précédente. À présent, soulignons un autre problème : la nécessité de distinguer entre l’utilisation politique de la religion, et l’utilisation religieuse de la politique. Ce sont deux attitudes et deux visions distinctes.

Expliquons.

L’utilisation politique de la religion est incarnée par les islamistes totalitaires. Ils emploient la foi, interprétée à leur manière unilatérale, subjective et opportuniste, comme moyen hégémonique pour conquérir le pouvoir politique (étatique). Cette catégorie de personnes est une minorité, certes très active, mais néanmoins une minorité.

Tandis que l’utilisation religieuse de la politique est autre chose. Elle consiste, pour les citoyen-ne-s à rejeter deux conceptions : d’une part, le « libéralisme démocratique » où, de fait, la démocratie est un leurre tandis que la liberté est celle du plus riche ; d’autre part, le « socialisme populaire », qui, lui aussi, s’est révélé une imposture.

Que trouvent ces citoyen-ne-s à la place ? La conception autogestionnaire (libre et solidaire) étant occultée, ils-elles ne trouvent que la religion. Elle leur sert comme référence émancipatrice, à tort ou à raison. Le proverbe populaire comprend cette attitude : Quand on n’a pas ce qu’on aime, on aime ce qu’on a. Là est la situation de la majorité des musulman-ne-s, pour celui qui connaît ces personnes telles qu’elles sont en réalité, et ne se contente pas de stéréotype médiatique.

Ce dernier est essentiellement diffusé par des médias de pays riches capitalistes, avec la collaboration des nouveaux harkis (1) de l’écriture, ces « intellectuels » indigènes des nations moins nanties. De quelle manière ? En mettant en avant le « choc des civilisations » (où sont appelés à la rescousse, également, la frustration sexuelle des gens du sud, notamment musulmans, leurs mœurs « barbares », leur tendance fascisante et leur « archaïsme » d’une manière général). Le but de cette nouvelle idéologie est de masquer et neutraliser la lutte des classes au sein des nations, d’une part, et, d’autre part, entre les nations dominantes et celles qui veulent conquérir leur souveraineté sur leurs matières premières, ainsi qu’entre les nations colonisatrices et les peuples luttant pour leur libération, comme c’est le cas concernant le peuple  palestinien.

De la même manière que le musulman recourt à sa religion, à défaut d’une autre vision sociale, pour lutter contre son exploitation économique et sa domination politique, le chrétien et le juif agissent de même. Comme, durant la guerre du peuple vietnamien contre l’agression impérialiste U.S., le bouddhiste employa sa croyance pour résister à la domination étrangère.

Alors, « la religion, opium des peuples » ? Cela dépend des circonstances concrètes. Le marxisme n’a-t-il pas été, à son tour, un opium des peuples, en produisant le bolchevisme et son avatar stalinien, jusqu’à son lamentable écroulement final ? Osons nous poser la question épineuse par sa complexité : pourquoi le marxisme a duré à peine un siècle, tandis que les religions monothéistes (sans oublier l’hindouisme), ainsi que les morales bouddhiste et confucianiste existent depuis beaucoup de siècles ?

Par conséquent, si les démocrates progressistes ont comme adversaires irréductibles les utilisateurs politiques de la religion, au contraire, les utilisateurs religieux de la politique devraient ne pas être vus comme des adversaires, mais comme des personnes qui se trompent de méthode et de référence, tout en ayant un but respectable : s’affranchir de l’exploitation qui les opprime.

Sun Tse a dit

Les démocrates progressistes ont péché par une grave méconnaissance des forces et des faiblesses, d’une part, d’eux-mêmes, et, d’autre part, de leur réel adversaire. Voilà vingt-six siècles, Sun Tse, stratège militaire chinois, avait dit, en substance (2) : Si tu connais l’ennemi mais pas toi-même, tu subiras la défaite ; si tu te connais toi-même mais ne connais pas l’ennemi, de même, tu subiras la défaite ; mais si tu connais l’ennemi autant que toi-même, alors tu assureras ta victoire.

Les démocrates progressistes algériens ont prouvé ne connaître suffisamment ni leurs adversaires (étatiques ou islamistes) ni eux-mêmes. Bref, ils ignorent le principe de la balance. Elle ne sert pas uniquement à peser des marchandises ou à symboliser la justice ; la balance, c’est aussi l’instrument indispensable pour peser la force réciproque des adversaires. L’ignorer est toujours fatal.

Adversaires

Voici un exemple de méconnaissance de l’adversaire islamiste totalitaire. On lit :

« L’expression actuelle de ce que les acteurs sociaux appellent « l’Islam » est, en fait, un discours populiste qui atteste, dans sa forme linguistique, dans ses contenus imaginaires et mythologiques, dans les conduites véhémentes, incohérentes qu’il inspire, la pulvérisation des cadres sociaux, des codes de l’honneur, des registres sémantiques, des lexiques réglés, des calendriers, des rituels, des célébrations, des liens de parenté ou de proximité sociale. Bref, de tout ce qui conférait un ethos, un visage, une cohésion, une mémoire et un sens de l’avenir à la société ».

Notons que l’auteur de ces lignes est l’un des meilleurs connaisseurs de l’Islam et de la société algérienne : Mohamed Arkoun.

Avec tout le respect qui est dû à ses écrits, très précieux, il faut, pourtant, présenter une objection au sujet de la citation ci-dessus.

En réalité, il se n’agit pas seulement d’une « pulvérisation » de ce qui fut (donc, d’une négation, d’une destruction), mais d’une proposition (donc d’une affirmation, d’une construction) d’autres « ethos », « « visage », « cohésion », « mémoire » et « sens de l’avenir » : ceux présentés par une idéologie bien précise, conservatrice et totalitaire. Elle correspond à une interprétation subjective particulière de l’Islam, celle dite wahabite-salafiste (que l’on retrouve d’une certaine façon chez le philosophe persan Alghazali, dans sa négation de la raison et de la science). Comme on le sait, la nature a horreur du vide : un contenu a été remplacé par un autre.

Ne pas le voir, ne pas l’admettre, c’est ignorer l’adversaire. Il n’est pas uniquement une force destructrice et négatrice, il est également une force constructrice et affirmative. Que cela s’opère en forme d’idéologie réactionnaire ne supprime pas l’aspect propositionnel. L’idéologie fasciste (mussolinienne et japonaise) et celle nazie ont, également, détruit et proposé. Ainsi que l’idéologie wahabite puis khomeiniste.

Par conséquent, les démocrates progressistes doivent être en mesure de présenter des propositions capables de contrecarrer les propositions adverses, de manière à convaincre davantage le peuple et les jeunes. Tout le problème est là !

Il ne suffit donc pas de dénoncer une idéologie réactionnaire comme destructrice d’une situation donnée, pour s’en débarrasser. Il faut davantage : convaincre de sa non pertinence les « élites » ainsi que le peuple, et en proposer une autre, plus adéquate.

Et qu’existe-il de convenable sinon une vision qui allie liberté individuelle et solidarité collective ? Cela implique le renoncement à toute idéologie qui nie l’un ou l’autre aspect. Le capitalisme privilégie la liberté (en réalité du plus riche) au détriment de la solidarité ; le « socialisme » étatiste glorifie la solidarité (toute relative, car favorisant d’abord une caste minoritaire) au détriment de la liberté individuelle.

Soi-même

À présent, voici un exemple où les démocrates progressistes ne se connaissent pas eux-mêmes. On lit :

« En Algérie, l’ostentation religieuse et l’amalgame du prosélytisme avec l’exercice de la politique ont été fortement favorisés par le caractère rentier de l’économie nationale et le monopole politique exercé par le parti unique pendant plus de trois décennies. »

Rien d’autre ?!… Et à l’opposition, qui détenait le monopole ?… N’est-ce pas un parti pratiquant le « soutien critique » à l’État et au parti unique (précisément à leur soit disant «aile gauche ») ? Ce parti d’opposition, le P.A.G.S., faisait croire que, malgré tout, le « socialisme » s’édifiait, avançant comme preuve une gestion « socialiste » des entreprises et une réforme agraire,  alors que ces actions consistaient uniquement en un capitalisme d’État, renforçant une bourgeoise étatique, ce que le PAGS reniait. Sans parler de l’arabisation à outrance, et de l’islamisation rampante qui commençait, par l’importation d’ « enseignants » moyen-orientaux ?… Ces réalités là étaient dites, notamment par le Parti de la Révolution Socialiste et par le Front des Forces Socialistes. Malheureusement, ils étaient minoritaires et combattus non seulement par l’État mais également par… le parti du « soutien critique ».

Voilà la source première et principale (du coté des démocrates progressistes) des malheurs du peuple algérien. Tant que cette erreur sera ignorée ou connue mais occultée, tant qu’on ne la comprendra pas, tant qu’on ne l’admettra pas, tant qu’on ne remédiera pas à ces carences, on ne fera que constater l’hégémonie de l’adversaire obscurantiste, en  accusant uniquement les islamistes et le gouvernement de ce phénomène. Sans aucune auto-critique.  Ce qui est tristement déplorable et ne résout rien. Il est nécessaire de connaître les tares des adversaires, mais tout aussi indispensable de détecter les siennes propres, sinon on perd stupidement son temps et, plus grave, on alimente la force de l’adversaire.

Type de miracle

Hebib Khalil conclut ainsi son article :

« À moins d’un miracle, l’islamisme latent de la société algérienne sortira tôt ou tard au grand jour. Et comme tout virus qui se respecte, il n’attend que l’affaiblissement du corps pour s’en emparer définitivement. »

Comme les miracles n’existent pas, il faut, alors, parler du médecin pour soigner ce corps. Qui peut-il être sinon le collectif des consciences éclairées ? Et comment y parviendront-elles si elles ne sont pas libres et solidaires ?

Qu’elles commencent d’abord par connaître suffisamment le virus qui les habitent elles-mêmes. Il réside essentiellement dans l’esprit de suffisance, produit par un « savoir » décrété le meilleur, infaillible, « scientifique », alors qu’il n’est qu’illusion idéologique (dans le sens péjoratif du terme).

Puis, il faut trouver les remèdes adéquats. Pour cela, il faut le maximum de modestie, d’objectivité, de capacité d’auto-critique résiliente, d’intelligence.

Alors, on découvrira l’importance de conquérir l’hégémonie culturelle. C’est ce que l’histoire enseigne, dans tout pays et à chaque époque. Alors, il sera possible de riposter de manière positive à l’action obscurantiste, quelle soit étatique ou terroriste. Alors, on saura « gagner les esprits et les cœurs » du peuple, afin qu’il devienne l’agent conscient capable de construire lui-même son destin, de manière autonome, libre et solidaire. Là est le miracle, mais produit de manière volontaire par la conscience citoyenne la plus éclairée.

K. N.

Email : kad-n@email.com

Notes

(1) Pour qui l’ignore, ce terme désignait les supplétifs collaborationnistes indigènes avec l’armée coloniale, durant la guerre de libération nationale algérienne.

(2) Dans « L’art de la guerre », librement déchargeable ici : https://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Art_de_la_guerre

Auteur
Kadour Naïmi

 




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