19 avril 2024
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 Coronavirus et civilisation

ANALYSE

 Coronavirus et civilisation

Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité l’ensemble des nations, civilisations et religions, sont confrontés à un problème immédiat, la menace de mort par le Coronavirus.

Nous sommes à l’ère de la fragmentation nationaliste, mais en termes culturels tous les pays continuent de s’identifier par leur affiliation à une civilisation déterminée, elle-même marquée par une religion spécifique. La Chine est essentiellement bouddhiste, l’Inde hindouiste, l’Occident chrétien et Israël judaïque.

Ces entités culturelles auxquelles sont rattachés d’autres pays tiennent les premières places dans la puissance économique, militaire, technologique et scientifique, et leurs têtes de file occupent les premiers rangs dans les classements internationaux. Elles sont aujourd’hui engagées dans une compétition qui mobilise leurs ressources scientifiques, sociales, économiques, politiques, intellectuelles et morales pour venir à bout du Covid-19 avec le secret espoir chez chacune d’être celle qui mettra au point la thérapie qui stoppera l’hécatombe. 

Etrangement, une ancienne civilisation au bilan passé comparable brille par son absence dans ce branle-bas de combat moderne, l’ex-civilisation islamique qui a longtemps éclairé les trois plus vieux continents du monde et fait considérablement avancer la médecine, la chimie et les autres sciences et arts entre le IXe et le XIIIe siècle. Les pays qui s’en revendiquent sont presque tous enlisés dans des conflits armés fratricides sans enjeu réel.

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Des cinq civilisations-religions qui ont tour à tour été à la pointe du progrès humain, elle est la plus jeune, celle qui compte le plus de pays affiliés, mais aussi la seule à ne pas avoir réussi sa renaissance à notre époque. Avant, elle souffrait du fait de ses adversaires (croisades, colonisation, impérialisme). Aujourd’hui elle se meurt sous les coups de ses adeptes, assassinée par les « idées mortes » d’un savoir religieux non actualisé depuis mille ans et les « idées mortelles » de son avatar, l’islamisme, avec ses variantes sunnite et chiite.  

Après des siècles d’égarement de l’humanité conséquents à la disparition des civilisations de l’Antiquité, l’islam a repris au VIIe siècle le flambeau pour éclairer de nouveau la marche humaine vers la Lumière, le Progrès et le Bien moral et matériel des hommes. A son avènement, il avait offert à l’humanité une perspective rationnelle et libérale qui a ouvert la voie à une grande civilisation là où il n’y avait rien quelques décennies plus tôt. 

Les premiers musulmans voyaient naturellement en l’Homme le but de la religion, et dans l’islam une philosophie de la vie ayant pour but sa promotion morale et sociale. Cette vision ne tarda pas à donner ses fruits sous la forme d’un Âge d’or qui allait relancer le savoir humain après une interruption de plusieurs siècles.  

Le premier courant de pensée apparu dans son histoire est un courant rationaliste connu sous le nom de « Qadirites » et, plus tard, de « mo’tazilites ». Son noyau s’est formé au lendemain de la mort du Prophète, quand les premiers débats avaient commencé à agiter les rangs des musulmans. Ses animateurs croyaient au libre-arbitre de l’Homme à la différence de ceux qui, sous l’émotion encore vive de la Révélation et le choc de la mort du Prophète, pensaient que Dieu régissait tout, jusqu’aux moindres détails de la vie humaine. Ceux-là portaient le nom de « Jabirites » et privilégiaient une interprétation littérale du Coran.  

Durant la période qui va du VIIIe au XIIIe siècle, l’esprit musulman baigne dans une ambiance intellectuelle, morale et psychologique où l’homme est libre d’investiguer, de spéculer, de critiquer et d’inventer. La tolérance entre musulmans, chrétiens et juifs est totale et des savants des trois religions travaillent ensemble à la « Maison de la sagesse » créée à Bagdad en 832. Le mouvement de traduction des œuvres de la pensée grecque connaît une extraordinaire cadence sous les califes al-Ma’moun, al-Mu’taçim et al-Wathiq qui portaient des convictions mo’tazilites.  

Mais les thèses « jabirites » ne s’étaient pas volatilisées. Entre le Xe et le XIe siècle, quatre écoles juridiques (hanéfite, malékite, chafiite et hanbalite) se constituent, donnant lieu au « sunnisme ». Le calife abbasside al-Qâdir déclare le « sunnisme » doctrine officielle des pays musulmans et ajoute aux articles de la foi islamique la vénération des quatre premiers califes, des compagnons du Prophète et de leurs successeurs jusqu’à la troisième génération (c’est ce qu’on entend par « salaf », qui donnera salafisme). 

La liberté d’interpréter le Coran et les Hadiths fut interdite sous peine d’excommunication.  Le savoir religieux issu de cette dogmatisation et de cette « officialisation » allait progressivement transformer l’islam en culte tatillon et pinailleur dans lequel l’homme doit chercher à plaire à Dieu par la dévotion en échange d’une récompense ultérieure, démotiver graduellement la recherche et l’innovation, et installer quiétisme et fatalisme dans la psychologie musulmane. 

Les facultés cognitives de l’élite furent peu à peu orientées vers les « sciences religieuses », investies dans la connaissance du permis (« halal ») et du défendu (« haram ») et la hiérarchie des châtiments dans l’au-delà. Il en résulta l’appauvrissement intellectuel et l’affaiblissement économique et militaire, autrement dit la décadence qui a mené tout droit à la colonisation et au sous-développement si l’on ne compte pas les bienfaits de la manne pétrolière éphémère. 

Deux conceptions du monde se sont donc parallèlement formées au cours des quatre premiers siècles de l’islam. La première avait inféré du Coran que Dieu a privilégié l’Homme sur tout ce qu’il a créé, qu’il l’a honoré en lui insufflant de son « esprit divin » (l’intelligence) et lui a désigné la Terre et l’Univers comme champ de manœuvre. La seconde, son antithèse, a vu dans l’islam un culte à rendre à Allah, dans l’Homme un « serviteur » de Dieu » voué à l’adoration, et dans la vie terrestre une antichambre de l’Au-delà. 

La première était une conception active, tournée vers les réalisations historiques, la seconde une vision métaphysique passive et résignée au mektoub. L’une voyait dans l’Homme le « successeur de Dieu sur la terre », selon les termes mêmes du Coran, l’autre une masse de croyants actionnés par les injonctions et fantaisies d’un savoir religieux qui ne s’est pas renouvelé depuis mille ans.

L’affrontement entre la vision exaltant l’Homme et celle lui déniant toute raison d’être en dehors de l’adoration de Dieu était inévitable. Il se déploya en plusieurs rounds et dura plusieurs siècles avant de se conclure par la victoire du courant formaliste, littéraliste et fataliste, soutenu par la masse des croyants travaillés sans relâche par les prêches dans les mosquées et la prédication dans la rue. 

Les idées de ce courant se sont imposées aux écoles sunnites et chiites avec quelques nuances et ont traversé les temps jusqu’à nos jours en trois étapes :  l’achâarisme au Xe siècle, le salafisme avec Ibn Taimiya au XIVe siècle et le wahhabisme avec Mohammed Ibn Abdelwahhab au XVIIIe. Ce sont les idées de ces trois hommes, considérés comme les vrais interprètes du sunnisme, qui font rage de nos jours sous le drapeau de l’islamisme. 

La théologie pour qui l’Homme est au service de la religion avait chassé la téléologie pour qui la religion est au service de l’Homme. 

La pensée islamique originelle s’est diffusée spontanément, en toute liberté, pendant quatre siècles consécutifs avant que le savoir religieux ne réussisse à la camisoler jusqu’à la paralysie totale. Elle était naturellement tournée vers la recherche, les découvertes, la civilisation et le bonheur de l’Homme. 

La liberté de pensée qui a été accordée aux musulmans par le Coran et le Prophète leur a finalement été retirée par l’esprit traditionnaliste. On n’a plus eu depuis d’inventeurs et de philosophes, mais des milliers de prédicateurs qui ne pensent pas et n’écrivent pas, se contentant de prêcher dans la rue, les mosquées, sur les plateaux de télévision et les réseaux sociaux. On n’a plus eu de Saladin et d’Avicenne, mais des Ben Laden et autres al-Baghdadi.  

L’islamisme contemporain est l’héritier de ce courant qui a légitimé sur le plan politique le coup d’Etat de Muawiya contre le quatrième calife (Ali) avec la bénédiction d’Abou Horeïra, avant de s’en prendre sur le plan intellectuel à la pensée rationnelle et humaniste des Mo’tazilites. Voilà quand, où et comment s’est joué le sort de l’islam dont les seuls savants qu’il peut aligner en ces temps de combat universel contre le Coronavirus sont les « savants religieux » chargés de canaliser les prières implorant la mansuétude divine afin qu’elle mette fin à cette plaie, par ailleurs voulue par Dieu, selon eux, pour « éprouver » la foi des hommes.

Avant d’être en décalage avec le monde moderne, le vieux savoir religieux sclérosé est une régression par rapport à l’islam lui-même. Il véhicule les valeurs de la décadence, et non celles de l’islam originel. On le confond avec l’islam parce qu’il affiche ses rites, mais au-dedans il est vide et ne renferme aucun ferment de vie ou de progrès. Il domine très largement la culture sociale dans l’ensemble des pays musulmans où il n’est plus apparu de savants scientifiques ou d’inventeurs de techniques depuis le XIIIe siècle.  

Si les « Infidèles » (les adeptes des quatre autres civilisations-religions) ne règlent pas son compte au Covid-19 d’ici le ramadhan, soit dans 15 jours, le vieux savoir religieux invariable en tout temps et tout lieu sera confronté à un sérieux embarras : consentir à la suspension jeûne cette année car un gosier sec favorise l’implantation du virus, ou la refuser et braver le risque d’une plus large contamination des musulmans et des non-musulmans qui vivent ensemble presque partout. Qu’est-ce qui doit primer ? La vie d’un nombre indéterminé d’êtres humains ou une prescription religieuse ?

Au temps de l’islam inaugural, quand le savoir religieux n’existait pas encore, le calife Omar s’était vu confronté à une situation semblable à celle que nous vivons : la peste en Syrie où se trouvait l’armée qu’il avait envoyée pour la conquérir ainsi que la Palestine. Devant les pertes enregistrées, les historiens parlent de 25.000 soldats morts après leur contamination, il ordonne le retrait de la ville et sa mise en quarantaine, mais sa décision est contestée par son commandant en chef (Abou Obeïda) qui lui reproche la « dérobade devant la volonté divine ». Omar lui répond : « Nafourou min qadri Allah ila qadri Allah ». C’est l’une des plus célèbres illustrations du débat entre « Qadirites » et « Jabirites » à l’aube de l’islam. 

Notre Prophète est l’auteur d’une des plus belles paroles humanistes de tous les temps : « Si tu as en main une plante et que sonne la fin du monde, plante-la ! ». Là est la différence que je voulais faire ressortir entre l’islam originel et l’islam de la décadence ourdi et entretenu par le savoir religieux sunnite et chiite au service constant du despotisme.

 

Auteur
Nour-Eddine Boukrouh

 




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