19 avril 2024
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Courants de surface et courant de fond

Éducation nationale, Santé, Culture, privatisations

Courants de surface et courant de fond

À propos des conflits dans le secteur de l’éducation nationale, Hakem Bachir, au nom du SAREN, syndicat autonome des retraités de l’éducation nationale, veut savoir: « qui cherche le pourrissement à travers ces décisions gauches ».

Devant une telle question, il est nécessaire, pour ne pas errer dans les hypothèses inutiles ou les faux problèmes, de recourir raisonnement logique. Il consiste à distinguer les détails de l’essentiel, l’apparent de l’occulté, les phénomènes de surface par rapport au phénomène de fond.

Essayons donc d’utiliser cette méthode pour contribuer à éclairer la question de Hakem Bachir.

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Rappelons les réactions du ministère de l’Education nationale, ainsi présentées par le syndicaliste :

« L’instrumentalisation de la justice déclarant la grève illégale.

  • Les ponctions sauvages sur salaire des travailleurs en les affamant en ignorant la loi

  • Le licenciement des grévistes ignorant leur droit.

  • Le remplacement des grévistes par des vacataires ou retraités ou inspecteurs.

  • Le refus de l’accès aux grévistes à leurs établissements. »

Hakem Bachir souligne : « cette stratégie a été utilisée en 2003 et avait échoué, donc le scénario de 2003 se répète en 2018, ses conséquences étaient attendues. »

Voici, donc, les faits évidents. Sont-ils les seuls ?… Non. En voici d’autres. Les agressions physiques d’enseignants à l’intérieur même de l’université, restées impunies. L’incurie des « responsables » institutionnels en ce qui concerne la qualité de l’enseignement : gestion matérielle, gestion didactique, gestion des salariés, etc. Et cela depuis des années, de manière toujours permanente et plus aggravée.

Alors, question : ces « responsables » institutionnels sont-ils simplement « incompétents » ?… Dans ce cas, pourquoi ne pas les avoir remplacés ?… Est-ce donc les plus « hauts responsables » de ces responsables « incompétents » qui, d’abord, sont « incompétents » ?… Cependant, ces « plus hauts responsables » savent être compétents et régler au plus vite les problèmes quand il s’agit de leur intérêt propre, dans telle ou telle institution. Par exemple, ne savent-ils pas manipuler les élections de telle manière qu’ils demeurent toujours au pouvoir ? Ne savent-ils pas détourner l’argent public dans des banques étrangères où ils disposent de compte ? Ne savent-ils privatiser une entreprise, pourtant performante, comme la SNTA (Société nationale des tabacs algérienne) ? Enfin, ces « responsables », quel que soit leur niveau, ne savent-ils pas s’offrir de convenables salaires, améliorés par des privilèges : se soigner à l’étranger dans des institutions médicales convenables, envoyer leurs enfants étudier à l’étranger dans des universités adéquates, acheter des appartements dans des pays étrangers, etc. ?

Alors, ces « responsables », quelque soit leur niveau, sont-ils réellement « incompétents » ? Ou, plus exactement, manifestent-ils de l’ « incompétence » uniquement là où leurs intérêts sont en danger ? Dans ce cas, cette soit disant « incompétence » est, tout au contraire, une réelle compétence à gérer les choses selon leur exclusif intérêt.

Quel est-il ?… Mais la privatisation de tout ce qui est privatisable. Pourquoi ?… Pour en tirer le maximum de profit. Au bénéfice de qui ?… Des plus rusés, malhonnêtes et puissants socialement. Les statistiques déclarent qu’en Algérie 10 % des personnes disposent de 80 % des ressources du pays. Eh bien, comme le constate le proverbe, et comme le confirme l’histoire humaine, l’appétit vient en mangeant. Les 10 % de personnes algériennes veulent davantage que le 80 % de ressources. L’unique moyen est de privatiser le plus de secteurs publics. Ainsi, ces personnes les géreront selon l’infâme système capitaliste : presser le citron pour en tirer le maximum de jus, autrement dit exploiter les salariés pour en tirer le maximum de plus-value.

Pour y parvenir, la méthode n’est pas spécifiquement algérienne. Les dirigeants algériens s’inspirent des capitalistes dominants sur la planète. Mêmes procédés : réduire les salaires des travailleurs, réduire le montant des pensions des retraités et l’âge de la retraite, remettre en cause le rôle du syndicat ou même envisager de l’interdire, privatiser tout ce qui est possible, y compris l’eau, après l’éducation, la santé, les transports publics, etc. Et tout cela, au nom de l’ « efficacité », celle, bien entendu, des actionnaires capitalistes.

Quant aux salariés sacrifiés, eh bien tout sera fait pour les mater. Et, pour y parvenir, il faut s’attaquer essentiellement à leurs syndicats : corrompre les dirigeants, création de syndicats clonés, imposer des conditions draconiennes pour la création de syndicat, limiter les actions de ceux qui existent, menacer d’interdire le droit de grève, licencier les grévistes, les faire poursuivre par une « justice » aux ordres, même les emprisonner, enfin, si nécessaire, les assassiner.

Tout cela, répétons-le, n’est pas l’apanage de l’Algérie. La planète entière est soumise à cette « loi » du capitalisme. Depuis l’écroulement du « bloc de l’Est », ce capitalisme est redevenu « sauvage », c’est-à-dire puissant, arrogant, criminel quand il le faut, comme il le fut depuis sa naissance.

Voilà donc le « courant de fond » qui empoisonne la planète et l’Algérie, qui en fait partie.

Nouveau départ

Dès lors, il ne reste aux victimes que l’habituelle réaction : prendre conscience clairement de cette nouvelle phase historique défavorable, réfléchir aux manières de l’affronter pour rabattre l’arrogance assoiffée de profit des actionnaires capitalistes, notamment en trouvant les formes de lutte contre les privatisations, s’organiser de manière à devenir des forces sociales suffisamment fortes pour diminuer la pression capitaliste sur les salariés, en particulier, et le peuple en général.

Oui ! Il est question de repartir mais non pas de zéro. Deux siècles et demi de capitalisme et de luttes populaires sont là comme expérience à méditer, pour tirer les leçons qui s’imposent. La plus précieuse est de ne plus croire aux « Sauveurs Suprêmes », mais de trouver la solution afin que les victimes sachent se sauver par elles-mêmes, en gardant les bénéfices de leurs luttes et de leurs victoires. Cela s’appelle autogestion sociale généralisée, conception qui a été mise dans un placard fermé à double tour. Mais le fantôme rôde, et rappelle de temps à autre son existence réelle.

Ceci dit, les luttes actuelles, syndicales et autres, sont nécessaires. Cependant, elles sont réellement efficaces uniquement si les protagonistes savent clairement « qui cherche le pourrissement » et pourquoi, et sache que ce qui apparaît comme « décisions gauches », comme l’écrit Hakem Bachir, en fait ne le sont pas, mais correspondent à une logique réelle, recherchée, mais non avouée.

Alors, les victimes ne se perdront pas, comme des insectes éblouis par des lumières factices, à prendre des vessies pour des lanternes. Alors, dans l’éducation nationale, parents et élèves comprendront que les « responsables » de ce secteur appliquent une politique consciente et « compétente » afin que le secteur de l’éducation nationale fonctionne mal, au point de justifier la création d’institutions privées. Alors, les enfants des 10 % d’Algériens détenant 80 % des ressources du pays auront davantage, puisque « éduqués » de manière à commander et à produire des dividendes capitalistes, tandis que le reste de 90 % d’Algériens se contenteront, pour leurs enfants, d’une « éducation » publique au rabais, pour les « former » à servir les détenteurs de capitaux.

Dans le secteur de la santé, la même logique est en cours. Dans la culture, on parle, aussi, de privatiser par la « contribution » des nantis à la production « culturelle ». Ainsi, la « culture » devient une entreprise de publicité commerciale, pour produire non pas des citoyens libres et critiques, mais des consommateurs conditionnés et soumis, encore là, au profit des actionnaires capitalistes qui ont eu la « générosité » de « sponsoriser » la production « culturelle ».

Aussi, concernant les dirigeants des institutions, chaque fois qu’une personne utilise le terme « incompétent », elle devrait mieux réfléchir. Car ces « incompétents » ont su, depuis l’indépendance, arracher avec compétence, petit-à-petit, les conquêtes sociales du peuple : de l’autogestion sociale, ils ont porté l’Algérie à la privatisation sauvage, et au 10 % d’Algériens qui vivent au détriment des 90 % du reste de la population. À ces « incompétents » reste la compétence réelle d’aggraver ces pourcentages au profit de la minorité dominante exploiteuse. À moins que les victimes manifestent une réelle compétence pour défendre leurs droits légitimes et récupérer ceux déjà éliminés.

En effet, quand on entend des intellectuel-le-s algériens déclarer « Il y a rien à faire ! » en accusant le peuple de « foule aliénée », quand on constate l’incapacité des partis politiques d’opposition démocratique à développer la démocratie, quand on voit des syndicalistes se disputer le leadership au lieu de s’unir pour une lutte commune, quand les salariés de tel ou tel secteur ne reçoivent pas la solidarité des salariés des autres secteurs, quand les grévistes du secteur de l’éducation ne reçoivent pas la solidarité des élèves et de leurs parents, où est l’incompétence ?

Quand, au contraire, des « responsables » institutionnels, déclarés « incompétents », savent s’enrichir de manière « légale », par la production de lois ad-hoc, et, aussi, illégale, sans être punis, ne sont-ils pas compétents dans l’art de s’enrichir au détriment du peuple ?

Alors, qui (1) « veut le pourrissement » et avons-nous affaire à des décisions vraiment « gauches » de la part des « responsables » ?… Ne s’agit-il pas, en réalité, de « pourrissement » volontaire du secteur public, en vue de justifier sa privatisation, et de décisions non pas « gauches » mais bien pensées, en vue de la même privatisation ?

Dans ce cas, il reste aux victimes de cette stratégie sociale à trouver les moyens de la conjurer, sans oublier de ne pas être manipulées par les forces internes et externes qui sont à l’affût pour détourner, à leur profit, cette lutte populaire de son objectif : l’élimination de toute forme de domination et d’exploitation. Comment ?… Par la seule alternative réelle qui s’offre, bien que très difficile à réaliser, mais pas autant que le fut l’émergence du mouvement de libération nationale : la création d’un mouvement pour l’autogestion sociale.

K. N.

Email : kad-n@email.com

Notes

(1) Voir

http://www.lematindz.net/news/25309-forces-en-presence-et-agent-central-de-changement-i.html

http://www.lematindz.net/news/25322-forces-en-presence-et-agent-central-de-changement-ii.html

http://www.lematindz.net/news/25327-forces-en-presence-et-agent-central-de-changement-iii.html  

 

Auteur
Kadour Naïmi

 




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