26 avril 2024
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De la magie des gens de l’ombre, au génie des gens de lumière 

Un historien géographe avait décrit l’Algérie comme un « gros ventre et une petite tête ». Le gros ventre est l’immense poche saharienne. La petite tête est la bande côtière (1 200 km) qui donne sur la Méditerranée.

Cette zone côtière cultivable par la grâce des colons pour répondre aux besoins de la métropole (vins, agrumes, fruits, pêche) sur une profondeur de 100 km couvre à peine 05 % de la superficie totale du pays et où s’entassent quarante-quatre millions d’Algériens sans activité réellement productive vivant quasiment d’importations pour l’essentiel de leurs besoins vitaux. Une population qui s’est vue multipliée par cinq en l’espace de cinquante ans.

Quant au Sahara algérien, un désert grand comme quatre fois la France couvre les neuf dixièmes du territoire national. L’Algérie s’est engagée résolument dans un processus accéléré de déperdition des valeurs à l’issue duquel les besoins de base de la population (se nourrir, se soigner, se vêtir, s’instruire) ne seront plus satisfaits par des services encadrés par la loi mais livrés à des réseaux mafieux. Avec la baisse drastique du prix du baril de pétrole et l’épuisement des gisements, le seul palliatif de l’Etat, c’est un endettement interne sans contrepartie productive ?

A défaut de créer des richesses hors hydrocarbures, il imprime des billets de banque. Il créée l’illusion. C’est un prestidigitateur devant un public infantile. Il feint d’ignorer que la richesse la plus importante de tout pays, c’est le travail de ses habitants, leurs aptitudes, leurs expériences, leurs facultés d’adaptation, leurs comportements, leur sens de l’effort et leur santé mentale et physique.

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C’est pour avoir nié cette évidence que des nations disparaissent au profit d’autres plus performantes, plus dynamiques et plus clairvoyantes. La spécificité de la société algérienne, c’est qu’elle ne permet pas aux forces de s’auto-transformer, de s’autoréguler, de s’accroître.

Pour des jeunes frustrés et désespérés, humiliés et brimés par des parents narcissiques, déçus par la politique, écœurés par le sport, n’ont pour toute activité que la recherche d’un emploi qui leur procure une certaine dignité. Ils ont conscience que  le monde qui les entoure est une jungle, il y a des lions et des renards.

En Europe et au Canada, « tu gagneras ton pain à la sueur de ton front », tu es un lion parmi les lions. Chez toi en Algérie, « tu mangeras du pain à la souplesse de ton échine », tu es un renard parmi les renards. Le Français produit son pain à partir de son propre blé, et l’algérien l’importe en pièces détachées. L’Américain mange debout, le français mange assis, l’algérien mange couché « Regda out mangé ».

La France pense, l’Algérie dépense. La France a un cerveau à Paris, l’Algérie a un ventre au Sahara. Chez l’un, vous avez un Etat construit sur la participation ; chez l’autre vous avez un pouvoir fondé sur la soumission. L’un s’active, l’autre palabre.

Parler d’un Etat de droit dans un pays où la quasi-totalité des dépenses de l’Etat sont couvertes par la fiscalité pétrolière et gazière est un signe d’immaturité. L’Etat de droit est une affaire d’adultes et non un jeu d’’enfants.

Etre adulte, c’est pouvoir choisir, devoir renoncer,  assumer ses responsabilité, se libérer de la tutelle de ses parents. Doit-on fuir son pays pour devenir adulte ou rester dans l’infantilisme et devenir fou ? Force nous est de constater que nous sommes encore des enfants et nous avons besoin de nos parents (l’armée et le pétrole). On ne choisit pas ses parents qui nous ont vu naître, l’époque dans laquelle nous devons vivre et le pays dont lequel nous sommes soit un citoyen libre soit un sujet soumis selon que l’on soit gouvernant ou gouverné, colonisé ou indépendant. L’indépendance n’a pas la même signification pour tout le monde.

Pour les dirigeants algériens, l’indépendance était plus « un butin de guerre » à  partager qu’une responsabilité à assumer collectivement et individuellement. Pour les patriotes de la première heure, la dignité d’un peuple ne dure qu’un jour, c’est le premier et le dernier jour de son indépendance. Le reste du temps, c’est l’indignité.

Hier, c’était la colonisation française ; aujourd’hui, c’est la dépendance aux hydrocarbures. Pour le gouvernement algérien,  après le pétrole, c’est toujours du pétrole. Du statut colonial de « l’indigénat » au statut national de « l’indigence », de la politique des subventions des produits de première nécessité au revenu universel discriminatoire  le pas est vite franchi. Les Algériens ne l’ont pas vu arrivé.

Pour les parvenus, « l’indépendance est comme un pont ; au départ personne n’en veut ; à l’arrivée tout le monde l’emprunte ». Pour les économistes, la sentence est nette : il n’y a aucun secteur économique en dehors des hydrocarbures en mesure d’assurer le financement de l’économie, le fonctionnement de l’Etat et la couverture sociale de la  population.

La révolution algérienne n’a pas eu le génie de  «quitter la peau du renard pour revêtir celle du lion ». C’est ainsi que les vertus de la lutte de libération se sont transformées en obstacles dans la phase de construction du pays qui nécessitait de l’intelligence, une intelligence tuée dans l’œuf au cours de la lutte armée.

Si durant la lutte de libération nationale, la guérilla était une stratégie destinée à libérer le pays de l’occupation coloniale, une fois l’objectif atteint, les mêmes moyens politiques et militaires  serviront à encadrer population et à organiser le territoire, en vue  de s’emparer et de  conserver le pouvoir.

Quels sont ces moyens ? Nous en citons quelques-uns : l’obéissance aveugle aux ordres, la loyauté inconditionnelle à l’égard des chefs, la prise de décision dans la clandestinité, le camouflage pour se fondre dans l’environnement, l’organisation des embuscades pour surprendre l’ennemi. Les intrigues et la conspiration pour renverser l’ordre colonial injuste.

Passons-les sommairement en revue : la loyauté envers le chef est un principe cardinal de la révolution « celui qui n’est pas avec moi et contre moi ». Au maquis, il fallait s’entourer d’hommes de confiance, pour éviter la traîtrise. Une fois la paix retrouvée, les gestionnaires devaient s’entourer de gens compétents pour mener à bien la construction du pays. La confiance ne devant pas être une priorité de l’heure. Ce qui n’a pas été le cas « Tout clou qui dépasse, interpelle le marteau ».

C’est ainsi  que les compétences seront neutralisées et les professionnels poussés à l’exil. Quant à l’embuscade, c’est une tactique familière de guérilla. Hier, affronter l’armée française en raz campagne aurait été un suicide. Aujourd’hui, agir en terrain découvert serait perdre le pouvoir.

Une troisième méthode héritée de la lutte de libération, c’est la technique du camouflage. Lorsque le combat prend de la hauteur (l’aviation), se dérober aux regards adverses devient une question de vie ou de mort.

Aujourd’hui, il faut se mettre à l’abri du regard des nouvelles technologies de communication. Un obstacle inattendu, comment devenir invisible dans une ère de plus en plus en plus visuelle ? Une autre règle de la révolution algérienne c’est de garder le silence et de veiller au secret. C’est la clandestinité du pouvoir. Il n’apparaît pas au grand jour. La lumière l’effraie. L’ombre le rassure. Il veille la nuit et se repose le jour. Il est tenu d’avancer « masqué ». Pour cacher sa véritable nature au regard de l’étranger, il se camoufle derrière une façade civile.

A l’intérieur des administrations et des entreprises, toute personne jugée compétente sera vite neutralisée ou poussée vers l’exil. Par contre ceux qui se soumettront au donneur d’ordres, le plus souvent de manière anonyme par téléphone, vont bénéficier des privilèges et des avantages. Une politique qui n’incite guère à briller mais à s’effacer. Il n’est pas nécessaire de travailler, il suffit d’obéir.

Si par inadvertance vous contestez l’ordre établi, la carotte vous est aussitôt retirée, et vous devenez plus rien au regard de la société. Vous ne faites plus partie de la tribu mais de la plèbe (el ghachi). Votre carnet d’adresses est obsolète et le téléphone ne sonne plus. Par contre  si vous faîtes preuve de promptitude, de docilité et de servitude, vous aurez droit à une autre carotte, à un autre poste, à une promotion, à d’autres privilèges. Partant du principe « je pense donc tu suis », le  pouvoir a investi dans la création de tout ce qui soutenait la nécessité d’obéir.

On dirigeait la société algérienne comme on dirige une armée c’est-à-dire d’en haut en bas. Tous sont des fonctionnaires de l’Etat (en activité ou en retraite), tous doivent exécuter d’abord, réfléchir ensuite. Tous émargent au budget de l’Etat. « A travail de diable, salaires de diable ».

Un système conçu à l’ombre de la révolution, mis en œuvre par des hommes sortis de l’ombre pour faire de l’ombre à la démocratie et au développement. C’est un système qui avance masqué. La lumière l’effraie, l’ombre le rassure. Il fuit la réalité et se réfugie dans le mensonge. Il joue des deux pieds et marque des buts avec la tête. En fait, il joue avec lui-même à guichet fermé. Il est à la fois acteur, spectateur et arbitre. Bourreau, victime et sauveur.

Freud perdrait son latin. Ce système de gestion opaque des hommes et des ressources s’est imposé par le répression et la corruption, la répression un héritage du passé (guerre de libération), la corruption, un produit du présent (rente pétrolière et gazière), la société civile (partis, associations, médias) est sa clientèle, l’Etat-providence son fonds de commerce, l’administration son comptoir, la rente sa marchandise. Sans marchandise, il baisse les rideaux.

Le pouvoir sait ce que le peuple ignore. La popularité n’est pas une garantie de qualité. Laissez le temps vous dévoiler. Il est juste et loyal. « Si tu deviens homme d’Etat ; n’oublie pas que le grand succès de la politique est dans ses deux mots : « savoir attendre ». Si tu es ministre, souviens-toi qu’on se tire de tout avec ces deux mots « savoir agir » (Alexandre Dumas)

Dr A. Boumezrag

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