24 avril 2024
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De la révolte scripturale par la joie à la joie scripturale de la révolte

TRIBUNE

De la révolte scripturale par la joie à la joie scripturale de la révolte

« L’écriture est la continuation de la politique par d’autres moyens ». Philippe Sollers

Comme on le proclamait au lendemain de Mai 68, tout acte est politique. Même la fessée administrée à son enfant ou la gifle infligée à sa femme. En tout état de cause, dans ces multiples conduites au caractère politique manifeste, seule une partie en tire bénéfice. L’autre partie subit le préjudice, l’injustice. Seule une partie jouit perversement au détriment de l’autre. Comme sur la scène politique déchirée par la lutte entre les deux classes fondamentales antagoniques, un véritable rapport de force domine ce type de relations, de comportements. Une relation asymétrique anime ces deux parties. L’une domine, l’autre subit. L’une dicte, l’autre obtempère.

A plus forte raison, l’exercice d’écriture est politique. Cependant, l’écriture est la seule activité où elle s’exerce pour enrichir intellectuellement l’autre, où elle s’applique à élever l’âme de son prochain : le lecteur. Une véritable connivence intellectuelle s’instaure entre le scripteur et son lecteur.

Une authentique convergence spirituelle rassemble ces deux êtres complémentaires. Cette complicité intellectuelle se crée grâce au choix des termes employés, comme à la sélection des thèmes déployés.

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Pour ma part, quand je me résous à pianoter sur le clavier de mon ordinateur en vue de rédiger un texte pour un journal algérien ou canadien, ou écrire un livre, ce n’est certainement pas pour jouer une symphonie rédactionnelle aux fins d’endormir les lecteurs par une soporifique prose aux sonorités hypnotiques, narcotiques, anesthésiques. Ni pour endosser la tunique du Prophète porteur de la Vérité révélée. Ni pour m’affubler du costume moderne du gourou désireux d’endoctriner les lecteurs pour mieux les soumettre à une quelconque chapelle ou mosquée.

Ni pour me transmuer en tribun du peuple détenteur du parfait programme politique d’un parti institutionnel auquel les lecteurs devront servilement adhérer. Ni pour postuler à quelque siège officiel pour mieux détrousser les deniers publics avec l’aval des lecteurs ensorcelés par ma rhétorique politiquement aguicheuse, alléchante, prometteuse, à la manière des politiciens.

Ennemi du pouvoir et de l’argent, ces deux mamelles qui nourrissent les ambitions des êtres dépourvus d’âme humaine, je ne convoite ni la gloire ni la richesse, ces deux toxines dont se repaissent les fauves déguisés en êtres humains (êtres humant l’argent en guise d’oxygène de la vie).

N’étant pas de mon état journaliste, ni universitaire, ni chercheur (encore moins trouveur), l’écriture représente pour moi un ravissement jubilatoire, une jubilation ravissante. Une festivité poétique, une poésie festive. C’est pourquoi j’emprunte joyeusement les voies scripturales de la stylistique métaphorique, les chemins de la prose euphorique, les itinéraires de l’écriture orgastique, pour éviter les travers des sentiers battus académiques, les impasses des consensuels registres rédactionnels hermétiques.

Un écrit doit être un arc-en-ciel textuel. Toutes les couleurs de la vie doivent s’imprimer dans chaque texte. Chaque texte doit se colorer de toutes les palettes stylistiques littéraires.

Un texte doit avoir les mêmes vertus que l’acte d’amour : il doit se partager à deux, procurer la même jouissance au scripteur et au lecteur. Faute de quoi, l’écriture se réduit à un simple onanisme intellectuel, une masturbation scripturale.

La lecture est l’apothéose de l’écriture. Le lecteur est le point d’orgue de la prose. Quand on décide de coucher sur écran un texte, l’allégresse doit se lire sur sa figure rédactionnelle stylisée. La béatitude envelopper son message. La ferveur subversive emporter l’adhésion du lecteur, enflammer sa fibre rebelle, galvaniser son esprit insurrectionnel.

Le texte doit surtout s’inscrire dans notre contexte. Respirer l’air intellectuel de notre contemporanéité. Refléter l’atmosphère culturelle de la modernité. Traduire les préoccupations et afflictions de notre époque. Dévoiler les contradictions et clivages sociaux de notre temps. Exprimer la révolte des humbles. Incarner leurs espérances. Personnifier leurs souffrances. Matérialiser leurs revendications. Réverbérer leurs lumières palies par leur mise à l’ombre. Démystifier leur aliénation.

Le texte doit sentir l’effluve misérable révoltant de nos chaumières prolétariennes, et non pas l’arôme fastueux indécent des palais bourgeois. Ma devise : chaque phrase doit chanter l’hymne de la joie au sein d’un texte de révolte. Chaque révolte doit être portée par des phrases chantant l’hymne à la joie. Les révoltes du désespoir s’accomplissent souvent avec des intonations funèbres dans la bouche et des tonalités vindicatives sous leur plume. Pas étonnant qu’elles succombent vite aux instincts meurtriers sacrificateurs. Et finissent par périr faute d’enchantements humains salvateurs.

Ces révoltes avortées ont manqué de souffle de vie. De poésie révolutionnaire. D’amour de la vie. Le langage de la mort a linceulé leurs discours. Leurs discours incendiaires mortuaires ont immolé leurs espérances d’émancipation, consumées à force d’être embrassées par le feu de l’action stérile politiquement dissolvante. Ces révoltes ont raté le rendez-vous avec le langage politique, l’engagement poétique. L’inspiration subversive libératrice ne se résigne jamais à puiser ses ressources de la vox populi, ni ne s’appuie sur les directives de la pensée dominante. L’homme révolté renouant avec sa poésie subversive n’a nul besoin de glossaire politique académique.

Dès lors que l’hystérie collective nihiliste supplante la colère lucide politique, elle octroie aux gouvernants la légitimité d’actionner la machine répressive, d’employer la violence meurtrière. Ne transformons pas l’insurrection émancipatrice en guerre civile. Elle ne servira que les puissants. « L’ordre a toujours eu besoin de s’affirmer en fomentant le désordre ».

Lorsque l’espoir d’un monde meilleur piétine au ras du sol, l’abomination se hisse au sommet du pouvoir qui écrase sans vergogne la société de sa gouvernance despotique.

La révolte doit être une force de contestation explosive, non une farce de protestation implosive. Bakounine, anarchiste russe, a déclaré : « Le désir de la destruction est en même temps un désir créateur ». La majorité des révoltes semblent s’arrêter à mi-chemin de cette leçon de subversion. Elles se contentent de détruire (faute d’esprit de création poétique ou d’esprit politique créatif ?). La révolte est un récit politique porté par un discours poétique. Les surréalistes prônaient la révolution de la poésie mais aussi la poésie dans la révolution. Entre poésie et révolution : la poésie au service de la révolution ; la révolution au service de la poésie. La révolte par la poésie s’inscrit dans une démarche révolutionnaire. Faute de poésie révolutionnaire la charge subversive de la révolte est désamorcée, amortie par le pouvoir établi. La révolte salutaire doit s’écrire avec le langage de la vie, pour enfanter la langue universelle de la révolution triomphante. Portée par les poétiques révolutionnaires mots, la révolution est assurée de triompher de la société responsable des maux.

La révolte doit éviter de focaliser son énergique contestation sur les gouvernants dont les têtes sont déboulonnables et interchangeables. Elle doit axer son combat contre le système capitaliste. Ce ne sont pas les scélérats politiciens et dirigeants qu’il faut éjecter, éliminer du paysage social ravagé par leurs politiques antisociales et leur gouvernance despotique, mais le système mafieux qui les produit, autrement dit le mode de production capitaliste qui les reproduits. Comme l’a écrit un situationniste, « construire un nouveau monde invite à inventer de nouveaux modes de subversion ».

Nul doute, dans notre société mercantile développée où l’intelligence se vend et s’achète systématiquement, dans le cas du plumitif organique, la posture de l’intellectuel neutre et objectif est souvent une imposture. Avec le plumitif de service, le journaliste, l’écrivain, la culture élitaire suinte de tous leurs pores la prose bourgeoise, la pose aristocratique. L’aridité de leur style reflète la sécheresse de leur âme vénale. La sécheresse de leur âme dévoile l’avidité de leur style de vie mercantile. Ces esclaves de la plume ne se rebiffent qu’avec l’assentiment de leurs maîtres, qui leur dictent leurs mots d’ordre, leur lexique ordonné.

Toute société coupée en deux classes est nécessairement idéaliste : l’élite éclairée dicte les normes et la « masse brute » doit les subir sans discussion. À notre époque vénale dominée par le capital, les penseurs contemporains sont contraints à la médiocrité ou au silence. Quand il adopte la première option, avec un sens courtisanesque et vil, souvent l’intellectuel organique débite servilement en public ce qu’il a ingurgité débilement dans le huis-clos de sa classe scolaire et au sein de sa catégorie sociale privilégiée. Paré d’un savoir vénal étranger à l’école de la vie, son discours exhale les relents putrides de sa caste intellectuelle, de sa classe bourgeoise pestilentielle.

Dans cette société de la division entre travail intellectuel et travail manuel, la plume de l’intellectuel organique, il l’exerce à nous déplumer de notre avidité de justice sociale, de notre aspiration à la dignité, il l’occupe à tresser des couronnes rhétoriques à ses maîtres pour perpétuer notre aliénation, justifier et légitimer notre servitude. Trempée dans l’encrier religieux ou républicain, libéral ou gauchiste, sa plume s’apparente à des prédications des religions de la résignation.

Son savoir officiel, puisé dans le temple de la connaissance sanctifiée par la doxa étatique garante de la culture statique, ne risque pas d’enflammer les esprits assoiffés d’irruptions politiques, affamés de tremblements sismiques sociaux, impatients de transformations économiques, avides d’égalité sociale, amoureux impénitents de l’émancipation humaine opprimée. Les écrits de l’intellectuel organique ne risquent pas d’enthousiasmer la foule lettrée précarisée, d’enchanter leur imagination bridée par les pouvoirs établis, réduite au silence par les classes possédantes détentrices exclusives des instruments médiatiques et culturels.

Aujourd’hui, à l’ère du déclin de la société capitaliste gouvernée par des ploutocrates gangrenés par la décrépitude physique et la sénescence mentale, l’intelligence radicale et l’inventivité politique siègent dans le cerveau des nouveaux prolétaires épris de liberté, assoiffés de justice sociale.

Algérien mais surtout prolétaire, citoyen du monde, fils( petit-fils, neveu, cousin, enfant d’un village et d’une région de la Kabylie, Ain El Hammam, Aït Yahia) de Moudjahid (combattant anticolonialiste), je cherche, seulement, modestement à secouer les consciences léthargiques afin de les inviter à la réflexion politique, à l’introspection intérieure, à la défécation des toxines comportementales nuisibles au développement de notre personnalité, et par conséquent à l’avènement de l’émancipation de notre classe sociale majoritaire (le peuple opprimé mondial), à l’édification d’une société universelle humaine, sans classe.

Enfin, en tant qu’Algérien, j’aspire être aussi la mauvaise conscience de l’Algérie. Celui qui, par humilité et humanité, pointe du doigt les dysfonctionnements de notre pays, les aberrations de notre société, les archaïsmes de notre univers culturel, les purulences de nos pratiques cultuelles, les anachronismes pathologiques de notre mentalité personnelle.

Celui qui dénonce les conformismes moraux, les conservatismes comportementaux, les conventions sociales surannées, les archaïsmes sociétaux religieux ou ethniques, l’ordre dominant établi, la dictature étatique, la police de la pensée islamique, les injustices sociales. Celui qui veut libérer notre société algérienne des institutions répressives et des aliénations dépressives. Qui veut transformer le monde pour changer la vie. Mais, pour changer la vie, il semble indispensable de transformer le monde.

En un mot, je tente par mes modestes rebellions scripturales de mener un travail de démystification et de démythification de nos modes de penser, de nos manières d’existence, de nos façons d’appréhender la réalité et la politique, de nos modalités d’analyser nos convergences et surtout nos divergences en matière politique et philosophique, éducationnelle et religieuse. Libre à chacun ensuite d’apporter sa pierre réflexive et combative à l’édifice de cette entreprise de dynamitage de notre manière d’être régressive, de pulvérisation de notre société algérienne oppressive, répressive, dépressive.

Pour moi, chaque écrit crie sa révolte. Chaque écrit décrit l’oppression de la vie, décrit l’exploitation salariale, s’écrie contre l’aliénation. Ensuite, libre à chaque lecteur de partager ce cri de révolte, de se révolter contre mon cri ou de décrier mon écrit.

« Personne ne ment davantage qu’un homme indigné », a écrit Nietzsche. L’indignation est indigne de l’homme digne. Seul l’homme révolté porte haut l’étendard de la dignité. La révolte est l’enfant de la révolution. La révolution n’est que le saut qualitatif des révoltes quantitatives, répétitives. L’indignation est la fille naturelle de la résignation. Elle proteste contre la société aliénante avec le drapeau du fatalisme, la mentalité du loyalisme et l’esprit du légalisme.

Aucun système despotique ne peut contenir la force de la subversion tapie dans le corps social du peuple opprimé travaillé de manière latente par le ferment de la rébellion, embusquée dans l’esprit de tout prolétaire instinctivement épris de liberté. Si terrifiante que soit la puissance de l’oppression, si longue que soit la servilité fatalement consentie, il suffit d’une fulguration de conscience humaine pour ébranler la mécanique oppressive, enflammer les fécondes braises de la révolte sociale, galvaniser l’esprit de la révolution. La société de classe engendre systématiquement à son encontre une poésie insurrectionnelle qui se transforme immanquablement en récit révolutionnaire.

Pour nuancer cet optimisme salvateur, je conclus par cette citation du poète-écrivain surréaliste André Breton, tant elle est encore d’actualité, mais sous nos islamiques cieux algériens dominés par le fatalisme social et le fanatisme religieux : « Tant qu’on fera réciter des prières dans les écoles sous forme d’explication de textes et de promenades dans les musées, nous crierons au despotisme et chercherons à troubler la cérémonie », avait-il écrit.

Pour le paraphraser, mais a contrario, j’ajouterai pour ma part : tant qu’on continue à transformer l’école algérienne en annexe de la mosquée, les espaces publics en dépotoirs vestimentaires, les édifices nationaux en sentines architecturales, les médias audiovisuels en cloaques culturels des pays islamistes du Golfe, le despotisme politique et religieux algérien pourra poursuivre cérémonieusement sa promenade tyrannique et théocratique sans se heurter à aucun trouble authentiquement émancipateur. Ni donc à une révolte sociale consciencieuse et poétique en mesure de changer la vie par la transformation révolutionnaire de la société algérienne.

« La croyance que rien ne change, disait Nietzsche, provient soit d’une mauvaise vue, soit d’une mauvaise foi. La première se corrige, la seconde se combat. »

L’Algérie souffre-t-elle d’une mauvaise vue ou d’une mauvaise foi ? That is the question.  “Le but de l’écriture, c’est de porter la vie à l’état d’une puissance non personnelle.” Gilles Deleuze.

Auteur
Khider Mesloub

 




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