Un pouvoir qui menace de retirer la nationalité ne gouverne plus. Il trie. Il ne débat pas. Il efface.
On nous vend la “dignité nationale”. Vaste mot pour un petit geste : barrer des noms. Comme si un pays se protégeait avec une gomme. L’Algérien, ce n’est pas un badge plastifié. C’est une mémoire, une cicatrice, une voix. Ça ne se débranche pas par décret.
Déchoir. Le verbe dit tout. On ne contredit plus, on descend d’un cran. On ne répond pas aux idées, on vise les porteurs. Ce n’est plus de la censure, c’est de l’amputation symbolique. L’État ne dispute pas. Il renvoie. À l’extérieur, de préférence. À nulle part, si possible. Au fond, la peur a changé de costume. Hier, elle bâillonnait. Aujourd’hui, elle expulse. Même corps. Nouvel uniforme.
Fin octobre 2025, une proposition de loi sur la déchéance de nationalité est déposée au bureau de l’APN par le député Hichem Sifer (RND). Le texte vise des faits commis depuis l’étranger : atteinte aux « intérêts supérieurs de l’État », atteinte à l’unité nationale, ou allégeance à une puissance étrangère. Statut : proposition enregistrée et en cours d’examen ; aucun calendrier de débat, aucun vote, aucune promulgation.
Précédent : un projet similaire avait été retiré en 2021 après une vive contestation.
On connaît la chanson : “sécurité”, “cohésion”, “intérêt supérieur”. Le lexique est noble, la manœuvre est basse. Dans les vieilles démocraties qu’on adore prendre de haut, la déchéance est rare, honteuse, bornée. Ici, on rêve d’en faire un levier. Un outil de guichet. L’État-douanier : “Toi tu rentres, toi tu dégages.” Le concierge de la patrie, clefs en main, humeur variable.
Qu’est-ce qu’un pays qui menace ses enfants de non-appartenance ? Un pays en panique. Un pouvoir qui n’a plus la force de convaincre. Alors il trie pour régner, comme on filtre des commentaires sur un réseau social. Mais un peuple n’est pas une page à modérer.
On me dira : “Il y a des lignes rouges.” Soit. Alors débattons-les. Devant tous. Avec des juges, des textes, des preuves, des limites claires. Pas avec une gomme tenue à la main par le politique du moment. La citoyenneté est un droit, pas un abonnement premium.
L’histoire, chez nous, sait compter les reniements. On a déjà tenté l’excommunication interne. On a jeté des révolutionnaires entiers dans l’ombre parce qu’ils gênaient le récit officiel. Résultat : eux sont restés dans les mémoires, leurs censeurs dans les notes de bas de page. La bêtise, elle, a traversé les régimes. Fidèle. Obstinée.
La nation n’est pas un salon privé. Ce n’est pas un cocktail où l’on choisit ses invités. C’est une maison ouverte aux courants d’air, aux conflits, aux contradictions. Quand on commence à bannir l’Algérien de l’Algérie, on ne protège rien : on rétrécit la maison. On la rend inhabitable, même pour ceux qui y restent.
Il faut le rappeler sans trembler : on ne déprogramme pas une appartenance. On ne débranche pas une naissance. On ne retire pas d’une poitrine l’air qui l’a faite.
Un État digne tient par la loi, la raison, la contradiction. Un pouvoir fragile tient par la peur et le tampon. Entre les deux, il faut choisir. Et vite. Car un jour vient où, à force d’effacer les autres, on se retrouve seul au tableau. Avec sa peur. Et un passeport inutile.
Zaim Gharnati.

