Samedi 3 août 2019
Dialogue: le peuple dit la soupe est salée, le pouvoir, elle est délicieuse
Pour gérer un conflit, la formule magique n’est pas « abracadabra » mais « vous avez raison » Alain Leblay
Avec son immense ciel bleu et ses espaces désertiques infinis, elle était méconnue jusqu’à ce surgisse de ce sable français en 1956. Il va être le pot de miel de l’Algérie indépendante. Pour le gouvernement algérien, après le pétrole, c’est toujours du pétrole. En 1962, l’Algérie avait des rêves mais n’avait pas de moyens, cinquante ans après, elle a les moyens mais n’a plus de rêves. Le pétrole a fait des institutions, pâles copies de celles de nos illustres maîtres à penser occidentaux, des coquilles vides pléthoriques et budgétivores, sans impact sur la société, destinées à camoufler la réalité au regard de l’étranger, mais personne n’est dupe. Le monde aujourd’hui ne croit plus au père Noël.
A la moindre baisse du prix du baril du pétrole, elles s’écroulent comme un château de cartes. Elles ne servent que de devanture au regard de l’opinion internationale. Les exportations hors hydrocarbures sont insignifiantes. Pourtant seul le travail peut s’opposer au pétrole.
Or, il est marginal. Il représente moins de 2 % des exportations depuis plusieurs décennies. N’est-ce pas le signe évident de l’échec des politiques économiques dites publiques qui n’ont de publics que les fonds, menées à tambour battant par les élites qui se sont succédés et qui aujourd’hui se sont convertis dans l’opposition ou dans l’islamisme. La démocratie est une vue de l’esprit dans une économie rentière dominée par un Etat militaro-bureaucratique.
Toute opposition politique qui s’appuie sur les forces laborieuses est vouée à l’échec. Le poids de l’inertie est prépondérant, les forces vives sont faibles. Le travail a perdu ses lettres de noblesse. Il s’incline devant le diktat du pétrole. Pourtant, « le pétrole est l’excrément du diable, il corrompt les pays et pervertit les décisions économiques », vérité vieille de cinquante ans mais encore vivace de nos jours.
Pris dans le tourbillon du pouvoir et fascinés par l’argent facile, les dirigeants arabes délirent et se lancent dans des projets pharaoniques afin de s’immortaliser. Dans la tombe, ils chercheraient dit-on à « régner en enfer que servir au paradis ». Ils s’imaginent que le monde se plie à leur volonté et que les recettes pétrolières vont leur assurer l’éternité.
L’Algérie n’échappe pas à la malédiction du pétrole. Il ne scie la branche sur laquelle il est assis. Le pétrole est le carburant du régime, le ciment de l’Etat, l’opium du peuple. L’Algérie vit de la rente, au rythme du marché pétrolier et gazier. Un marché de dupes conclu entre les Etats-Unis et les Etats arabes (pétrole à profusion contre protection des régimes). D’une main, ils signent un pacte avec le diable et de l’autre ils prient Dieu de leur venir en aide ? Ils vivent une double réalité : la richesse matérielle et la pauvreté spirituelle. Ils considèrent le pétrole comme un butin de guerre à partager et non comme une chance à saisir. Au lieu d’en faire un levier de développement économique, il sera un instrument de pouvoir redoutable et un facteur de régression économique et social. A cause du pétrole et du gaz, l’Amérique a perdu tout sens moral.
Par la grâce du pétrole et du gaz, l’Algérie ne pense plus, elle dépense. Et elle dépense sans compter. Elle n’a point besoin d’économistes ; ceux sont des troubles fêtes ; elle préfère avoir affaire à de joyeux lurons ; Elle éprouve un désir viscéral d’amuser la galerie. D’ailleurs, la population n’en demande pas tant.
L’argent coule à flots. Et que vive l’industrie de la rente ! Une industrie qui n’a pas besoin ni de stratégie, ni de séminaires, ni de discours, ne rencontrant ni de problèmes d’approvisionnement, ni de problèmes de débouchés. Elle tourne à plein rendement. Elle peut s’en passer de tout gouvernement et de tout parlement. Elle fonctionne toute seule et n’a de comptes à ne rendre à personne même pas à elle-même.
Elle se passe royalement du travail productif et de l’intelligence créatrice des algériens. Une industrie qui berce d’illusions les uns, ceux du haut et nourrit le désespoir des autres, ceux du bas. Enfin une industrie qui fonctionne de, par et pour l’étranger.
Une rente que se disputent ou se partagent fiscalement les Etats consommateurs de pétrole afin de financer à bas prix leur démocratie envoûtante et les pays producteurs dans le but de pérenniser les régimes politiques obsolètes en place avec des coûts exorbitants. Evidemment la plus grande part revenant aux puissants locaux ou étrangers. Les uns soutenant évidemment les autres et réciproquement. Une société qui ne se pense pas est une société qui se meurt lentement mais sûrement. La vie d’une nation cesse dit-on quand les rêves se transforment en regrets. L’Algérie serait-elle un paradis pour tous ceux qui vont en enfer ? Aucun algérien n’est riche en dehors de l’argent du pétrole ? Aucune fortune privée ne peut se constituer sans l’aval de l’Etat qui dispose du monopole de la distribution des ressources pétrolières et gazières,; Il n’y a pas de riches dans l’Algérie indépendante, il n’y a que des pauvres qui sont devenus riches par la grâce du pétrole et la protection de l’Etat.. Les riches autochtones de la période coloniale ont été éradiqués au nom d’une certaine « révolution agraire » qui a enterré le travail de la terre et ouvert la voie à une dépendance alimentaire suicidaire. Le pétrole est un don de dieu et non un produit de l’homme. Il appartient à tous. Par conséquent, toute propriété d’une minorité doit être légitimée par la majorité. La propriété privée est le prolongement du droit à la vie. Elle limite les violences sociales. Le droit de propriété est réducteur d’incertitudes et producteur de sécurité ; Par conséquent le premier devoir d’un Etat est de produire la paix civile laquelle passe par la légitimation du droit de propriété lequel est concomitant à un autre droit celui de l’emploi. Si l’un peut détenir des biens, l’autre doit disposer d’un emploi. La main droite a besoin de la main gauche pour travailler et produire.
C’est cela une économie moderne. C’est cela un Etat de droit. Et cela ne tombe pas du ciel. La reconnaissance de fortunes privées par la société passe nécessairement par la production de biens et services destinés au marché local et par la création massive d’emplois destinés aux jeunes qui forment la majorité de la population.
L’Etat post colonial a fait la preuve de son inefficacité dans la conduite du développement, par la dilapidation des ressources rares (énergie fossile, terres agricoles, force de travail, etc…), la démobilisation de la population et la fragilisation des institutions minées par la corruption et le népotisme. «L’Etat est le plus froid des monstres froids Il ment froidement : et voilà le mensonge qui s’échappe de sa bouche : «Moi l’Etat, je suis le peuple » affirme Frédéric Nietzsche. L’Etat en Algérie est à réinventer.