Didier Aubourg, ingénieur de formation, n’est pas un auteur issu du monde littéraire classique. Son apport unique vient précisément de cette bascule tardive, presque initiatique, vers l’écriture, provoquée par une crise personnelle liée à la maladie.
Ce passage de l’univers rationnel de l’ingénierie à une expression littéraire très symbolique et poétique lui permet d’aborder la transmission du savoir sous une forme inattendue. Sa démarche évoque un pont entre science et mythologie, entre raison et intuition, entre technologie et spiritualité. Dans une époque marquée par le désenchantement et la fragmentation des savoirs, cette approche peut apparaître comme profondément réconciliatrice.
Dans Anunnaki – Murmures Cosmiques, Aubourg ne se contente pas de revisiter les mythes mésopotamiens, il les réinterprète comme des archétypes intemporels, des récits fondateurs qui parlent encore à l’inconscient collectif. Son texte, richement symbolique, s’apparente à une poésie cosmologique où les dieux primordiaux deviennent des métaphores des forces fondamentales de l’univers : chaos, ordre, création, mémoire, oubli. En cela, son texte se situe dans une veine proche de l’œuvre de Jean-Pierre Vernant ou Mircea Eliade, mais avec une sensibilité plus moderne, voire quantique.
Son écriture, portée par sa maison d’édition Murmures Cosmiques, participe d’une mouvance contemporaine où la poésie devient un support de pensée cosmologique et philosophique. Ce croisement permet à Didier Aubourg de toucher un public en quête de sens, de lien entre savoirs disparates et d’une vision intégrative du monde.
Son impact est profond auprès d’un lectorat composé de chercheurs de sens, de passionnés de mythes, d’amateurs de poésie visionnaire, de lecteurs ésotériques et de scientifiques ouverts aux dimensions philosophiques de leur discipline. Son œuvre s’inscrit dans un courant de pensée alternatif et exigeant, à la fois intellectuel et sensible.
En somme, Didier Aubourg n’écrit pas pour divertir, mais pour révéler, éveiller et transmettre, à la manière d’un « scribe du cosmos », selon ses propres mots.
Dans cet entretien, Didier Aubourg nous livre une réflexion profonde sur son parcours atypique, qui l’a conduit du monde de l’ingénierie à une écriture poétique et symbolique. Il évoque sa vision d’une transmission du savoir mêlant science, mythologie et spiritualité, et revient sur son ouvrage Anunnaki – Murmures Cosmiques, où il réinterprète les mythes mésopotamiens à travers une approche cosmologique et philosophique. À travers ses réponses, il dévoile son processus créatif, ses influences et son ambition de réconcilier des savoirs souvent perçus comme opposés, offrant une perspective originale sur la pensée contemporaine.
Le Matin d’Algérie : Qu’est-ce qui vous a poussé à passer de l’univers rationnel de l’ingénierie à une écriture poétique et symbolique ?
Didier Aubourg : Je n’ai pas quitté l’ingénierie, j’ai simplement changé d’outil. Là où l’équation modélise, le poème écoute. Depuis toujours, je suis fasciné par les extrêmes : l’infiniment grand, les origines de l’univers, la danse des galaxies, et l’infiniment petit, les particules, les quanta, les zones d’indétermination. Ces deux champs extrêmes nous parlent d’un monde invisible, mais bien réel.
Einstein disait que la science sans religion est boiteuse, la religion sans science est aveugle. Je fais mienne cette tension féconde. Pour moi, science et spiritualité ne sont pas opposées : elles avancent sur deux lignes parallèles, parfois si proches qu’on croit qu’elles vont se rejoindre. La poésie est peut-être l’espace entre ces lignes. Elle me permet d’exprimer ce que la logique ne peut pas démontrer, mais que l’intuition reconnaît comme vrai.
Le Matin d’Algérie : Votre ouvrage Anunnaki – Murmures Cosmiques revisite les mythes mésopotamiens. Pourquoi avez-vous choisi ces récits en particulier, et que représentent-ils pour vous ?
Didier Aubourg : Tout a commencé en classe de sixième, il y a longtemps. J’ai eu la chance d’avoir une professeure d’histoire-géographie passionnée, et les premiers cours de l’année portaient sur le berceau de notre civilisation : la Mésopotamie. Ce mot seul me faisait rêver. L’invention de l’écriture, la naissance des villes, les premières formes d’art, de religion, de justice… Pour moi, c’était une révélation.
Un peu plus tard, j’ai découvert l’Épopée de Gilgamesh, qui est sans doute la première œuvre littéraire de l’humanité. Ce texte m’a bouleversé. J’ai alors lu tout ce que je pouvais sur les Sumériens, les Akkadiens, les Babyloniens, les Assyriens. Plus j’avançais, plus je comprenais que ces civilisations anciennes avaient forgé des éléments fondamentaux de ce que nous sommes encore aujourd’hui.
Et puis il y a eu les mythes. Des récits d’une richesse inouïe, poétiques, profonds, vertigineux. Certains décrivent la création du monde avec des images d’une beauté sidérante, parfois plus évocatrices que nos métaphores scientifiques contemporaines du Big Bang. J’ai eu envie de transmettre cela. De faire connaître ces textes oubliés ou méconnus, non comme des vestiges du passé, mais comme des murmures encore audibles, pour peu qu’on sache les écouter.
Anunnaki est né de ce désir : faire dialoguer ces voix anciennes avec notre regard d’aujourd’hui, mêler le souffle du mythe à celui de la science, et redonner à ces textes leur pouvoir d’émerveillement.
Le Matin d’Algérie : Vous parlez de créer un pont entre science et spiritualité. Comment ces deux mondes, souvent perçus comme opposés, se rejoignent-ils dans votre travail ?
Didier Aubourg : Je ne crois pas qu’ils soient opposés. La science m’aide à comprendre comment les choses fonctionnent, mais elle ne dit rien de ce que je ressens face au mystère de l’existence. Et inversement, la spiritualité ne me donne pas de lois physiques, mais elle m’aide à rester relié à quelque chose de plus grand.
Dans Ce que l’univers murmure, j’ai essayé de faire dialoguer les deux. J’y parle de cosmologie, de mécanique quantique, mais aussi de silence, de lumière intérieure, de ce qui nous traverse quand on ne cherche plus à tout maîtriser.
Parfois, ce que je ressens en lisant un verset du Coran sur la création ou une parabole de l’Évangile est très proche de ce que je ressens en regardant une photo d’étoiles prise par un télescope spatial. C’est la même stupeur, la même impression d’être minuscule… mais vivant.
Je ne cherche pas à mélanger les traditions. Je les mets simplement en regard. Parce qu’elles ont, chacune à leur manière, tenté de dire ce que la science commence à peine à formuler autrement. Et la poésie, pour moi, c’est l’espace où ces langages peuvent coexister sans se contredire.
Le Matin d’Algérie : Votre écriture s’inspire de concepts scientifiques comme la théorie du chaos ou la mécanique quantique. Comment ces idées influencent-elles votre vision poétique ?
Didier Aubourg : Ça m’a profondément marqué. Je me souviens quand j’ai découvert la théorie du chaos : l’idée qu’un petit changement au départ peut tout bouleverser… Ce n’est pas du désordre, en fait. C’est une forme d’ordre qu’on ne voit pas tout de suite. Ça m’a fait penser à la poésie. Parfois, un mot, un silence, change tout le sens d’un texte.
Et la mécanique quantique… Là aussi, c’est fascinant. Le fait qu’on ne puisse pas tout savoir en même temps. Qu’on doive accepter l’incertitude. Qu’un objet puisse être plusieurs choses à la fois, selon la manière dont on le regarde.
Ça m’a libéré. Dans l’écriture, je n’ai plus cherché à tout contrôler. J’ai accepté les zones floues, les choses qui se contredisent un peu. Ce que je ressens quand j’écris un poème, c’est souvent très proche de ce vertige-là. Une impression que tout peut basculer, qu’un mot peut changer l’équilibre, comme dans un système instable.
Le Matin d’Algérie : À travers votre maison d’édition Murmures Cosmiques, quel message souhaitez-vous transmettre à vos lecteurs ?
Didier Aubourg : Pour être franc, ce n’est pas une vraie maison d’édition au sens habituel. C’est juste moi, pour l’instant. J’ai essayé de contacter quelques éditeurs au début, mais c’est compliqué. Ils sont débordés, et je ne rentre pas forcément dans les cases.
Du coup, je me suis dit que j’allais faire ça moi-même. Et j’ai choisi ce nom, Murmures Cosmiques, parce qu’il me parle. Parce que j’ai l’impression que, malgré le bruit permanent dans lequel on vit, il y a encore des choses qui se disent doucement. Des choses qui ne crient pas mais qui comptent.
Ce que je publie sous ce nom, ce sont des textes qui prennent le temps. Qui ne cherchent pas à convaincre ou à faire le buzz. J’essaie juste de relier des choses que je sens proches : la science, la poésie, un peu de spiritualité aussi… et peut-être la mémoire, la trace qu’on laisse.
Ce n’est pas une entreprise commerciale. Je ne cherche pas à faire nombre. Mais si mes textes trouvent quelqu’un qui les entend vraiment, alors je me dis que j’ai eu raison de les publier.
Le Matin d’Algérie : Selon vous, quel rôle la poésie peut-elle jouer dans une époque marquée par la fragmentation des savoirs et le désenchantement ?
Didier Aubourg : La poésie, pour moi, est un lieu de résistance. Résistance au bavardage, à l’urgence, à la saturation des écrans. Elle ne cherche pas à convaincre, ni à plaire. Elle dit. Elle écoute. Elle tisse des liens que d’autres langages ont oubliés.
Dans un monde fragmenté, elle réunit. Elle ne simplifie pas, mais elle rend sensible. Elle permet de tenir ensemble la beauté et la douleur, le réel et l’invisible. Ce n’est pas un refuge, c’est un passage.
Le Matin d’Algérie : Quels sont vos projets en cours ou à venir ?
Didier Aubourg : Pour le moment, je n’ai encore rien publié. J’écris depuis longtemps. Mais tout est resté dans mes tiroirs jusqu’ici. Il y a des thrillers, une trilogie que j’ai intitulé Le Sorcier, une grande fresque historique sur Hammurabi, et aussi un entre un historien d’aujourd’hui et le roi Assyrien Assurbanipal
L’idée, maintenant, c’est de sortir tout ça petit à petit. D’essayer de les faire exister. À mon rythme.
Actuellement, je termine un nouveau recueil, Le Souffle et la Courbe. C’est un travail très important pour moi. C’est dans la lignée de Ce que l’univers murmure, mais cette fois les poèmes seront écrits directement, en cinq langues : français, anglais, arabe, espagnol et italien. C’est un gros projet, assez ambitieux.
Et puis j’ai aussi un projet pour un nouveau roman, sur une panne totale d’internet. Et là, je me demande : qu’est-ce qu’il reste ? Est-ce qu’on se retrouve ? Ou est-ce qu’on s’effondre avec ? J’essaie d’explorer ça, doucement.
Le Matin d’Algérie : Un dernier mot peut-être ?
Didier Aubourg : Écouter. C’est peut-être le mot qui résume tout. Écouter ce que le monde dit quand il se tait. Écouter les voix anciennes. Écouter ce qu’on porte en soi depuis toujours, mais qu’on n’a jamais pris le temps d’entendre. Et parfois, écrire, c’est simplement ça : essayer d’écouter autrement.
Et puis… si je peux me permettre un rêve un peu fou : marcher sur la terre de Sumer, d’Akkad, de Babylone, de Ninive. Même s’il ne reste que des ruines, de la poussière et des noms. Ressentir les lieux. Me tenir là où d’autres ont rêvé les premiers récits du monde. Juste pouvoir dire : j’y suis allé.
Entretien Réalisé par Brahim Saci