29 mars 2024
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Dirigeants de l’État et guerre de libération nationale algérienne

Contre l’idéologie harkie, pour la culture libre et solidaire (V)

Dirigeants de l’État et guerre de libération nationale algérienne

Dans les parties 3 et 4 (1) furent examinées les attitudes des dirigeants (et des peuples) successivement chinois et vietnamiens concernant leurs  respectives guerres de libération nationale. Ces deux exemples permettent d’éclairer la question : est-ce que les dirigeants algériens, et cela depuis l’indépendance, honorent convenablement et maintiennent correctement vive la mémoire de la guerre de libération nationale algérienne ? Précisons qu’ici l’examen ne consiste pas uniquement à savoir comment, ce que tout le monde constate, mais surtout et principalement le pourquoi de l’attitude des dirigeants algériens. Alors, les incompréhensions et les étonnements laisseront place à l’explication rationnelle.

Une première constatation s’impose. Chez les Chinois et les Vietnamiens, la guerre de libération nationale s’est caractérisée par une cohésion quasi totale (parmi les résistants), tant sur le plan idéologique, politique que militaire. Certes, hors des ranges du parti communiste dirigeant la lutte, les dissidents durent soit s’y rallier, soit être neutralisés sinon assassinés : principalement, les trotskystes et les anarchistes (2). Pour le reste, le parti maintint l’hégémonie sur le peuple durant toute la période de la guerre, et la conserva de manière continue après l’indépendance. Ainsi, les respectifs « pères » de l’indépendance, Mao Tsé Toung et Ho Chi Minh, dirigèrent chacun son pays, entouré par un groupe cohérent et uni, toutefois relativement en ce qui concerne la Chine. Dans ce dernier cas, des conflits de leadership surgirent, et furent réglés de manière totalitaire, au profit de Mao Tsé Toung.

En Algérie, tout au contraire, déjà durant la guerre de libération nationale, les représentants les plus authentiques de la lutte furent… assassinés. D’une part, il y eut des morts mystérieuses. Larbi Ben M’hidi fut « découvert par hasard » par l’armée coloniale, qui le « suicida » ; il s’était distingué par la promotion de la Charte démocratique de la Soummam. Le colonel Amirouche trouva la mort dans une embuscade, là, aussi, apparemment due au hasard ; il se rendait en Tunisie pour régler certains problèmes avec le groupe dirigeant qui se trouvait là-bas. Le colonel Lotfi, à son tour, tomba dans une embuscade de la même manière ; il avait exprimé des inquiétudes sur l’intégrité politique de certains dirigeants de la guerre, en parlant de « mentalité fasciste » (3). Abane Ramdane, lui, fut carrément assassiné par ses « frères » de combat, et même son corps fut occulté ; avec Ben Mhidi, il avait promu la Charte démocratique de la Soummam.

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Puis, une fois l’indépendance acquise, au prix des luttes et des sacrifices des combattants et combattantes de l’intérieur (notons-le !) des frontières, c’est une armée formée à l’extérieur des frontières qui envahit l’Algérie, massacra les combattants de l’intérieur qui s’opposaient à son coup d’État, et s’emparèra du pouvoir d’État.

L’Algérie se trouva aux mains d’un groupe (dit d’Oujda) doublement illégitime. D’une part, il n’avait pas combattu à l’intérieur du pays, mais s’était limité à constituer, à la frontière ouest de  l’Algérie, une armée bien dotée matériellement, et hiérarchiquement soumise à son chef, le colonel Boumediène. D’autre part, ce même groupe, après l’indépendance, s’empara du pouvoir par les armes, en massacrant les combattants de l’intérieur qui s’y opposaient au nom de l’authentique légitimité démocratique de la guerre de libération nationale. Ceci est histoire véridique et non allégations gratuites.

Ajoutons ces autres faits. Afin de conquérir et consolider leur pouvoir, les dirigeants usurpateurs ont eu recours aux Algériens qui étaient officiers de l’armée coloniale. Cet acte fut contesté par le plus jeune colonel, combattant de l’intérieur de l’armée de libération nationale. Il fut condamné par une cour militaire et fusillé. Il s’appelait Mohamed Chaâbani, âgé d’à peine 30 ans (4). Quant au plus jeune ministre des Affaires Étrangères de l’Algérie indépendante, Mohammed Khemisti, il contesta l’autoritarisme du premier chef de l’État, Ahmed Ben Bella ; il fut assassiné par un « inconnu »(5). D’autres assassinats de dirigeants de la guerre de libération suivirent : Mohamed Khider, Krim Belgacem, sans parler des arrestations avec menace d’être assassiné en prison : Hocine Aït Ahmed, Mohamed Boudiaf (qui finit par être tué publiquement). Tous avaient un point commun : défendre une légitimité démocratique, en faveur du peuple.

Dès lors, peut-on s’attendre, de la part de ce genre de détenteurs de l’État, à les voir honorer convenablement et maintenir correctement la mémoire de la guerre de libération nationale ?… Afin de s’emparer du pouvoir et en tirer les privilèges, ces gens avaient versé trop de sang de patriotes authentiques, fidèles au peuple. On a même découvert ce forfait : le colonel Boumediène, une fois devenu chef de l’État, encore une fois par un coup militaire, cacha le cadavre du colonel Amirouche dans les locaux d’une gendarmerie ! Comme, auparavant, les chefs de Boumediène avaient fait disparaître le cadavre d’Abane Ramdane !(6)

Les « mystères » persistent jusqu’à aujourd’hui. Actuellement, le plus « curieux » concerne Ould Abbès, le Secrétaire Général du parti F.L.N., l’un des partis principaux soutenant le chef de l’État. Ce personnage est incapable de fournir les preuves de ce qu’il a déclaré publiquement : avoir été condamné à mort par l’administration coloniale durant la guerre de libération nationale.

Enfin, concernant le chef de l’État actuel, il a été écrit quel fut son rôle d’intermédiaire entre le colonel Boumediène et les deux dirigeants de la guerre de libération nationale, Ben Bella et Mohamed Boudiaf,  comment le second rejeta avec indignation la proposition de s’emparer du pouvoir par un coup d’État, tandis que le premier s’engagea dans le complot, et devint le premier chef d’État de l’Algérie indépendante, sous la houlette du colonel Boumediène.

Encore une fois, dans ces conditions, de tels détenteurs de l’État peuvent-ils honorer convenablement et maintenir vive la mémoire de la guerre de libération nationale ?… En effet, établir partout en Algérie des monuments et des musées, organiser des visites régulières de toutes les catégories de citoyens, produire des documentaires, des films et des téléfilms relatant correctement cette épopée (7), tout cela les dirigeants d’après l’indépendance algérienne, peuvent-ils le réaliser sans dénoncer leur propre illégitimité ?… Par conséquent, n’est-ce pas là que réside la cause principale et fondamentale qui explique l’occultation et l’indigne traitement dont est victime l’épopée libératrice nationale algérienne ?

En 2012, j’ai regardé à la télévision nationale l’opéra théâtrale censée rendre hommage au cinquantenaire de l’indépendance, en glorifiant la guerre qui l’a permise. L’actuel chef de l’État y assistait. Moi, je fus soulevé… d’indignation ! Je voyais une ridicule et stupide opérette, genre « Folies Bergères » parisiennes, mise en scène par un larbin venu du Moyen-Orient, sans doute grassement payé avec la rente pétrolière. Ma mère et ma sœur, effarées, s’exclamèrent : « Mais qu’est-ce que c’est ça ?! » Une immonde caricature ! Un outrageant mépris ! Une infâme insulte à celles et ceux qui ont donné leur vie durant cette guerre libératrice !

En 2015, j’ai visité le « Musée du Moudjahid » à Oran. Un espace créé et géré non par l’État mais par des volontaires, ex-combattants de la guerre de libération nationale. Ce simple et modeste lieu est absolument à visiter. Alors, on se rend compte de ce que fut la guerre de libération nationale : un élan extraordinaire de toutes les catégories du peuple algérien, jeunes et vieux, hommes et femmes, contre un système colonial absolument et ignoblement criminel. Cet espace de mémoire est, indirectement, la dénonciation la plus criante contre l’attitude des détenteurs de l’État algérien, en ce qui concerne ce que fut cette guerre patriotique et démocratique.

Certes, les dirigeants étatiques algériens ont donné des noms de combattants et combattantes à des lieux et édifices publics, et ils ont édifié un très haut monument dans la capitale. Est-ce suffisant pour honorer et entretenir vive la mémoire de la vérité historique ?

Heureusement, notamment depuis la fin du règne du colonel Boumediène, des écrits et des témoignages paraissent, fournissant les vérités sur la guerre de libération nationale (8). Bien que le nombre de ces témoignages est insuffisant, il montre combien cette lutte armée populaire fut victime de trahisons et d’impostures, et combien celles-ci expliquent le comportement négatif des détenteurs de l’État algérien, et cela depuis l’indépendance.

Faut-il, dès lors, s’étonner de l’incapacité des usurpateurs à édifier une société à la mesure des espérances des combattants et combattantes de la guerre de libération nationale ? Ces usurpateurs, trop occupés à se constituer et à se consolider comme caste dominatrice-exploiteuse, ne pouvaient pas faire appel aux authentiques patriotes (qu’ils neutralisaient d’une manière ou d’une autre), mais uniquement à ceux qui répondaient à leur intérêt oligarchique, parce que leur Dieu véritable est l’occupation de postes administratifs, pourvoyeurs d’enrichissement matériel (9).

Voilà pourquoi, s’il est juste de se scandaliser et dénoncer le méfait, il n’y a pas à s’étonner de voir, par exemple, nommé, précédemment, un Yasmina Khadra, comme directeur de l’officiel Centre culturel algérien de Paris, et, aujourd’hui, un Slimane Bénaïssa comme commissaire d’un Festival International de théâtre à Béjaïa (10). Les respectifs ministres de la « Culture » qui ont pris ces décisions ont été, à leur tour, choisis par le chef de l’État, dont le parcours politique est connu par ceux qui honorent la vérité historique. C’est que, dès l’indépendance, ceux qui s’emparèrent de l’État transformèrent toutes les personnes disponibles en béni-oui-oui, en nouveaux aghas, bachaghas, caïds et harkis, au service du nouveau régime. Moyen classique : l’argent corrupteur, à travers l’octroi de postes de « responsabilité ». On permit aux uns de s’emparer des biens « vacants », abandonnés par les coloniaux, transformant ainsi leur militance pour l’indépendance en vil affairisme. À d’autres, on offrit des strapontins dans le système étatique, en échange d’un « soutien critique ». Ainsi, grâce à cette base sociale corrompue ou opportuniste, les détenteurs illégitimes du pouvoir parvinrent à le rendre légitime et même « révolutionnaire ». Toute résistance fut jugulée par la neutralisation administrative, sinon par la violence.

À présent, il reste aux authentiques défenseurs du peuple d’Algérie à poursuivre l’œuvre de clarification historique, afin que la guerre de libération algérienne soit connue par les générations actuelles et futures pour ce qu’elle fut : malgré ses carences, un extraordinaire élan libérateur du peuple contre un système colonial absolument ignoble (11). Aussi, la meilleure manière d’honorer celles et ceux à qui est redevable cette indépendance est de faire connaître leur épopée, sans occulter ses carences (qui doivent servir de leçons), afin de maintenir vive la mémoire de l’énorme prix qu’a coûté la libération par rapport au « civilisé » criminel impérialisme français.

Ceux qui affirment, qu’ils soient français (12), algériens ou d’origine algérienne, que « malgré tout », le colonialisme a eu ses « bons aspects », qu’évoquent-ils ?… L’instruction ?… La majorité du peuple fut tenu dans l’analphabétisme. Les trains, hôpitaux, barrages, entreprises, agriculture, etc. ? Ils furent créés dans l’unique but de servir l’oligarchie coloniale. La démocratie ?… Elle profitait uniquement à la population coloniale, et les autochtones qui voulaient en profiter finissaient en prison ou assassinés. L’égalité ?… Les indigènes furent toujours réduits à des citoyens de seconde zone. La liberté ?… Uniquement celle des coloniaux pour faire « suer le burnous » des autochtones. Si des Algériens ont pris quelque chose d’utile, ce n’est pas du colonialisme, mais de la tradition anti-coloniale française : droits universels humains et du citoyen-ne, droit des peuples à disposer d’eux-mêmes (13).

Concernant les auteurs harkis, algériens ou d’origine, qui affirment leur « nostalgie » pour une certaine France, voilà ce qu’il convient de savoir :

«Je mets en cause le pouvoir politique français en prouvant que 56 dirigeants parmi les principaux ont soit protégé soit soutenu des groupes terroristes des années 1990 à ce jour ; et, d’autre part, je montre comment la plupart de ces médias ont trompé l’opinion publique en se contentant de reproduire les communiqués officiels du pouvoir sans même chercher à vérifier les faits. Ce ne sont plus des journalistes mais des chargés de communication de l’Elysée-Matignon. Ils ont la vérité sous les yeux mais se refusent à la voir car ils sont, volontairement ou non, impliqués dans le mensonge d’Etat. Le rôle des journalistes est de rapporter la vérité vraie, les faits que je dénonce sur les amitiés franco-terroristes, et non de broder un roman en fonction de leurs préjugés ou des communiqués d’un pouvoir politique, quel qu’il soit. » (14)

Seulement en étant pleinement conscientes de l’ensemble de ces vérités historiques, occultées par les néo-colonialistes étrangers et leurs harkis indigènes, les générations algériennes actuelles et futures sauront comment affronter les défis qui se présentent et se présenteront à elles. Voilà pourquoi la guerre patriotique passée doit revenir à l’ordre du jour, être finalement connue pleinement, dans tous ses aspects.

Mais, cette fois-ci, il est indispensable de dévoiler et mettre en évidence sa plus grave carence : avoir permis la création d’une caste de privilégiés, parvenue au pouvoir par l’assassinat des représentants authentiques de la guerre de libération nationale, et par le soutien des nouveaux harkis qu’elle s’est fabriqués. Seulement, alors, les générations actuelles et futures, en découvrant ce que fut réellement la guerre de libération nationale,  sauront y puiser les leçons nécessaires et l’indispensable résolution pour affronter le présent. Il se manifeste sous forme de guerre nouvelle : la lutte contre l’actuel impérialisme-néo-colonialisme-sionisme. L’histoire enseigne : seulement en ayant la correcte conscience de ces menaces, le peuple algérien réalisera finalement l’idéal désiré : édifier une société réellement démocratique, libre et solidaire. À suivre.  

K. N.

Email : kad-n@email.com

Notes

(1)  https://lematindalgerie.comla-guerre-de-liberation-nationale-chinoise et  https://lematindalgerie.comles-guerres-de-liberation-nationale-vietnamienne

(2) Pour la Chine http://www.persee.fr/doc/perch_1021-9013_1993_num_16_1_1674  et  https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Anarchisme_en_Chine

(3) Voir témoignage de son épouse : https://www.lesoirdalgerie.com/entretien/le-colonel-lotfi-etait-peine-de-voir-la-direction-que-prenait-la-revolution-2963

(4) Voir « Colonel Chaâbani, rendez-vous avec la mort », de Kamal Chehrit, Alger-livres éditions 2016, 132 pages. Compte-rendu ici : https://www.liberte-algerie.com/culture/colonel-chaabani-rendez-vous-avec-la-mort-261173

(5) Voir note 3.

(6) À ma connaissance, seul la C.I.A. et ses harkis boliviens ont agi de la même manière : une fois qu’ils avaient assassiné le guérillero Che Guevarra, ils firent disparaître son cadavre, par crainte de le voir honoré par des patriotes anti-impérialistes.

(7) Voir note 4. L’ex-épouse du colonel Lotfi, à propos d’un film sur lui, réalisé par le cinéaste Ahmed Rachedi, mandarin du régime, lui reprocha son imposture vis-à-vis de la réalité historique. Contre ce même personnage, une autre combattante de la guerre de libération, Djamila Bouhired, dénonça son comportement mystificateur, concernant un autre film sur la vie de cette résistante. Voir http://www.lematindz.net/news/24706-salut-respect-et-merci-soeur-djamila-bouhired.html

(8) Voir, par exemple, Dossier : ABDELHAFID YAHA, UN HOMME VRAI in https://lematindalgerie.comverites-sur-la-guerre-de-liberation-nationale-i

(9) Je présentai cette analyse déjà en 1973. Voir Annexe 23, Livre 5 « Ethique et esthétique au théatre et alentours », disponible ici : http://www.kadour-naimi.com/f-ecrits_theatre.html

(10) Voir https://lematindalgerie.comreponse-et-questions-au-professeur-merdaci-sur-le-fonctionnariat  et A. Merdaci, in https://www.algeriepatriotique.com/2018/03/31/non-letat-pouvoir-ne-peuvent-etre-dedouanes/  

(11) Voir https://www.revue-ballast.fr/tuer-pour-civiliser-au-coeur-du-colonialisme/

(12) Voir note précédente.

(13) « En Syrie, Monsieur le Président, les bombes de vos « frappes » ont surtout ciblé nos valeurs et ceux qui les partagent. Personnellement, j’ai honte chaque fois que je rencontre tous les Syriens et notamment les Chrétiens vivant sur place, au Liban ou en Europe, qui me disent leur incompréhension, m’interpellant sur l’aveuglement de notre politique étrangère. Eux savent que les rebelles armés dits « modérés », « laïcs », sinon « démocratiques », sont une parfaite imposture, fruits d’une propagande relayée par des grands médias occidentaux dont on ne comprend pas non plus la partialité et le manque de professionnalisme. » Richard Labévière, Rédacteur en chef, 23 avril 2018, http://prochetmoyen-orient.ch/monsieur-le-president/

(14) Jean-Loup Izambert, journaliste d’investigation indépendant: « il faut briser le mur du silence imposé par les puissances occidentales », in https://reseauinternational.net/syrie-jean-loup-izambert-il-faut-briser-le-mur-du-silence-impose-par-les-puissances-occidentales/

 

Auteur
Kaddour Naïmi

 




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