27 novembre 2024
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Du 5 octobre 1988 au Hirak : les mêmes interrogations lancinantes 

TRIBUNE

Du 5 octobre 1988 au Hirak : les mêmes interrogations lancinantes 

Tout a été dit sur la colère du 05 Octobre 1988 et il reste cependant que personne n’avait prévu ni l’ampleur des manifestations de cette période ni leur influence durable sur tout le système politique. 

Les marches historiques qui ont débuté le 22 Février 2019 en sont peut-être une réplique heureuse, malheureusement retardée par la décennie noire qui a servi, on le voit mieux aujourd’hui avec la déconfiture de nos oligarques, à redistribuer les cartes et les avantages sur le dos d’une économie publique progressivement mise à mal depuis l’épisode Brahimi dit « Moh la Science ».

Qu’un courant libéral ait voulu déverrouiller la gangue épaisse qui protégeait le régime tout en l’étouffant ou que des apprentis-sorciers aient voulu montrer la capacité de réaction des forces de sécurité, l’essentiel des interrogations sur cette brusque accélération de la vie politique en Octobre 1988, se résume dans l’étrange irruption des islamistes.

Etrange car rien ne pouvait prédire, pour l’Algérie de la fin des années 80, que les islamistes allaient émerger au point de menacer jusqu’à l’existence de la nation algérienne que l’on projetait de fondre dans une virtuelle Oumma islamique. Qui pouvait imaginer que les autorités du pays allaient recevoir Ali Belhadj en treillis au moment de la première Guerre du Golfe ? Qui pouvait imaginer qu’Abbassi Madani allait accuser publiquement le Croissant Rouge d’avoir détourné vers la France le sang algérien destiné à l’Irak ?

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Mis à part les traditionnels rassemblements du vendredi autour de certaines mosquées d’Alger (bien surveillées et infiltrées) ou la mésaventure du groupe de Bouyali, les islamistes ne constituaient pas une force politique organisée même s’ils commençaient à imposer de nouvelles normes sociales avec l’assentiment bienveillant des plus hauts responsables du pays.

Rien ne pouvait laisser prévoir que le système de sécurité allait être débordé et aucun secteur de l’opposition n’échappait aux griffes de la Sécurité Militaire. Je me rappellerai toujours de ce magistrat de la Cour des comptes, benbelliste connu, qui disparaissait quelques jours  chaque année à la même période pour répondre à un interrogatoire.

Au lendemain des évènements d’Octobre 1988, que ce soit dans les universités ou dans les complexes industriels, rien ne pouvait laisser pressentir une montée en puissance des islamistes aussi bien sur le plan politique que sur le plan militaire.

Comment alors expliquer qu’en quelques semaines ou quelques mois l’insécurité se soit  installée dans le pays ? Comment expliquer qu’en quelques semaines, nous ne pouvions plus nous rendre en weekend juste au-dessus du barrage du Hamiz alors que pendant plusieurs années nous nous y rendions sans crainte ni méfiance ?

Comment expliquer rationnellement que les montagnes de l’Ouarsenis où étaient organisées en toute sécurité des randonnées depuis plusieurs années, soient devenues brusquement le fief de la « Djama’a Houmet El Da’wa El Salafiya » avec à sa disposition un armement significatif ? 

Certaines études expliquent la montée en puissance du mouvement islamiste par la précarité de couches importantes de la population durant les années 80, résultat de la baisse considérable du prix du baril de pétrole mais aussi des politiques libérales qui commençaient à repousser ou étouffer les politiques sociales de l’Etat.

Même si cet argument est pertinent, il n’en demeure pas moins insuffisant car dans de très nombreux pays de la planète, la paupérisation massive des populations n’a pas généré la création de maquis armés.

Comment expliquer qu’à El Affroun, (et ailleurs) policiers et gendarmes se muraient dans leurs locaux à partir de 15 h 30, abandonnant les hauteurs de la ville à des bandes « afghanisées » qui descendaient des montagnes toutes proches, armes à la main ?

Comment ne pas s’interroger aujourd’hui sur les véritables motivations des autorités qui ont jugé opportun de saisir préalablement  toutes les armes détenues par les familles algériennes ? Avaient-elles pressenti que leur « guerre contre les civils » ne pouvait pas se dérouler comme elles le souhaitaient si les citoyens pouvaient se défendre avec  leurs armes ?

Un jour où les langues se délieront, nous apprendrons peut-être  que des tractations et des négociations ont été menées en haut lieu afin de  desserrer l’étau autour de la nébuleuse islamiste pour lui faire jouer le rôle du bourourou et ainsi terroriser la société en agitant le spectre de l’intolérance et du retour à la charia.

Un jour, nous saurons peut-être que même si beaucoup de groupes armés avaient des fils à la patte, d’autres ont certainement échappé à leurs commanditaires.

M. Abdelhak Benhamouda, le secrétaire général de l’UGTA, n’avait-il pas déclaré, quelques jours avant son assassinat, qu’il connaissait le nom de quelques généraux impliqués dans le terrorisme ? Je dis cela sous réserve dans l’attente d’en retrouver la preuve.

A Boufarik, en 1991, une vieille dame m’interpelle devant la prison de Boufarik et me demande si, en ma qualité d’avocat, je pouvais lui confirmer si son fils se trouvait encore là. Dans le parloir, j’ai posé la question à plusieurs de mes clients qui m’ont confirmé de façon certaine que lui et son groupe avaient été libérés deux mois auparavant.

S’ils avaient été libérés dans des conditions normales ou légales, pourquoi donc cette vieille dame n’avait-elle pas revu son fils ?

Mais plus grave encore reste la spectaculaire et énigmatique évasion des 1200 islamistes de la prison-forteresse de Tazoult dont 39 seulement furent retrouvés.

Je reste persuadé que nos montagnes ne sont pas devenues brusquement des nids de djihadistes sans que des forces occultes, au plus haut niveau de la hiérarchie militaire et civile, n’y aient contribué par un moyen ou par un autre. 

La rapacité des clans dominants, leur volonté manifeste de redistribuer les cartes en privatisant un certain nombre de rentes publiques, expliquant en partie l’irruption de nos « oligarques », rendent possible et plausible, qu’au début des années 90, il y ait eu une alliance tactique avec quelques ténors du terrorisme islamiste à qui des territoires entiers sont pratiquement abandonnés. 

Il n’a échappé à personne que nombre de chefs du GIA ou du MIA, pour ne citer que ceux-là, étaient d’anciens militaires.

Tous ceux qui ont vu l’accolade très affectueuse, lors d’un enterrement, entre Ali Haddad et Abdelhak  Layada, ont compris à postériori la logique de cette alliance. Ceux qui en doutaient encore ont pu également s’interroger quant à l’invitation officielle par Ahmed Ouyahia du chef terroriste Madani Mezrag, chef de l’Armée Islamique du Salut, reçu comme personnalité politique nationale. 

Encore une question restée sans réponse : pouvait-on imaginer que des militants islamistes, piètres caïds de quartiers ou de villages, pouvaient seuls, sans être commandités et renseignés par ceux dont c’est le métier, connaître les emplois du temps précis ainsi que les adresses de Liabes, Boukhobza, Mekbel, Boucebci, Yefsah ,Senhadri, Djaout, Sari et des centaines d’autres victimes ? Seules des autorités bien renseignées pouvaient savoir que Djiliali Belkhenchir était à son service au moment où il fut assassiné le 10 Octobre 1993, il venait de rentrer d’un colloque médical tenu à Marseille.

Si toutes ces supputations de crimes commandités et  de terrorisme régulé sont plausibles c’est parce que le pouvoir (pas seulement militaire) de l’époque n’a pas hésité à assassiner en direct Mohamed Boudiaf, celui-ci devait annoncer le 5 Juillet 1992 son intention d’organiser des présidentielles pluralistes et démocratiques, ruinant définitivement le projet criminel contre l’Algérie fomenté, planifié et exécuté par des officines non encore totalement identifiées mais dont on sait maintenant qu’elles ont largement instrumentalisé le terrorisme islamiste avec la complicité des  chefs militaires du mouvement.

Certains témoins se rappellent avoir vu près de Ain Romana, sur les hauteurs de Mouzaïa,  des engins militaires qui creusaient des casemates. D’autres rappellent que les assassins de Kamel Amzal, pourtant recherchés par les autorités de police et de gendarmerie, ont accompli leur service militaire comme n’importe quel autre citoyen.

Tout cela n’est que l’amorce d’un réquisitoire sur une période où des responsables de haut niveau, tous secteurs confondus, ont joué l’avenir de l’Algérie comme d’autres jouent dans un casino, leur résultat commun étant  la volonté irrépressible de vider les caisses du pays, de ruiner ses capacités productives et l’arrimer aux juteuses opérations d’importation.

La gravité extrême des faits liés à cette période, le peu de scrupule à tuer des citoyens, à éliminer les islamistes utilisés pour les sales besognes nous incitent à bien réfléchir avant d’accepter quelque deal que ce soit avec le pouvoir d’aujourd’hui, en grande partie complice conscient ou inconscient , actif ou passif de tous les crimes humains , de tous les détournements monstrueux du foncier et de toutes les fuites de capitaux vers l’étranger. 

Si l’objectif du hirak est de changer de planète politique sur la forme et sur le fond, le merveilleux slogan « Yetnehaw Gaa » semble être le viatique le plus fiable parce qu’il implique que le pays se débarrasse politiquement de tous les résidus d’un gouvernement nuisible qui multiplie les provocations alors qu’il ne relève d’aucune légitimité.

C’est à la lumière de ce que ce pouvoir a été capable de faire pour prospérer et faire prospérer ses alliés, au détriment du pays, que nous devons exiger son départ et surtout n’accepter aucune médiation  dont le seul but est de rendre possible une solution « maison ». 

Nous sommes aujourd’hui face à des interrogations qui nous rappellent celles d’Octobre 1988 et les officiels de l’ombre sont peut-être capables d’échafauder des plans aussi diaboliques que ceux des années 90.

Dans n’importe quel pays du monde, une armée qui observe une mobilisation politique du peuple à un tel niveau qualitatif et quantitatif, ferait tout pour l’accompagner au lieu de tenter en vain de le diviser, de le stigmatiser et de le réprimer.

Les quelques zélateurs qui entourent le Chef d’Etat-major devraient comprendre que la société algérienne de 2019 n’est pas celle de 1992 et que toutes les manœuvres dilatoires ne font qu’augmenter le risque de l’impasse et du chaos pour tout le pays , l’armée y compris.

Depuis plusieurs années, les autorités politiques du pays, armée et gouvernements successifs  ont laissé s’exprimer en toute liberté, toutes sortes de charlatans et de prédicateurs salafistes  sur de nombreuses chaînes de télévision privées ou publiques tout en verrouillant l’expression des courants démocratiques présents sur le terrain syndical, culturel ou politique.

Ces mêmes autorités peuvent tout à fait vouloir passer au degré supérieur de la manipulation et de l’opprobre comme l’avaient fait celles de 1992, avec la grande différence qu’aujourd’hui la société algérienne est aussi saine et intelligente que le pouvoir est languissant et sénile.

 

Auteur
Bachir Dahak

 




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