23 novembre 2024
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Élisabeth Borne et le RN, héritier de Pétain : quid de l’OAS ?

Ce dimanche 28 mai, la Première ministre Élisabeth Borne a déclaré que le RN/FN est héritier de Pétain. Et concernant Marine Le Pen, elle rappelle : « Je n’ai jamais entendu Marine Le Pen dénoncer ce qu’ont pu être les positions historiques de son parti et je pense qu’un changement de nom ne change pas les idées, les racines.»(1)

Les réactions du parti d’extrême droit n’étonnent pas. Marine Le Pen dénonce des propos « infâmes et indignes« , « pas acceptables à l’égard du premier parti d’opposition, de ses députés, de ses milliers d’élus et des millions de Français qu’il représente« . Le président du parti, Jordan Bardella, regrette, pour sa part, des « propos graves, mensongers et injurieux » qui « salissent les millions de Français qui votent pour le RN« .

Comme en écho, le président Emmanuel Macron recadre sa Première ministre en déclarant qu’il ne faut pas combattre l’extrême droite avec « des arguments moraux … vous n’arriverez pas à faire croire à des millions de Français qui ont voté pour l’extrême droite que ce sont des fascistes »(2).

Pourtant, la prise de position de Mme Borne n’est ni nouvelle ni originale. Elle est même banale et reflète, somme toute, une critique pour le moins partagée par nombre de politiques et d’intellectuels de tous bords en France.

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Cependant, cette critique pêche par une sorte de raisonnement « hémiplégique » s’agissant des fondements idéologiques et politiques de ce parti d’extrême droite. Mme Borne a raison de rappeler que le FN/RN est bien « héritier de Pétain » et dont des membres tirent gloire de la collaboration avec le gouvernement de Vichy ou ont été d’anciens Waffen-SS(3).

Mais pourquoi « oublier » l’autre fondement dont se revendique explicitement Jean-Marie Le Pen, fondateur du mouvement, partisan déclaré et fier du système colonial, opposant violent(4) à l’indépendance de l’Algérie en animant des formations politiques pro-« Algérie française » (Front national des combattants puis Front national pour l’Algérie française). Un marqueur essentiel au sein de cette mouvance qui s’affichera avec plus de force et d’arrogance en cet été 2022 qui a marqué le soixantième anniversaire de l’indépendance de l’Algérie.

Forte de sa représentation (89 députés), l’extrême droite va profiter de la séance inaugurale, qui échoit, hasard de la démographie et signe de temps mauvais, à José Gonzalès (79 ans), un ancien « pied-noir » d’Algérie et dont l’Algérie française est le thème fondateur de son engagement politique au sein du FN/RN en 1978. Et c’est ainsi que l’Assemblée nationale et surtout son perchoir vont être transformés en une nouvelle tribune pour les « nostalgériques » et José Gonzalès de déclarer être « un homme qui a vu son âme à jamais meurtrie […] arraché à sa terre natale […] une partie de [la] France», recevant les félicitations de Marine Le Pen, qui écarte toute espèce de dérapage. Elle avoua même avoir relu la veille le texte de ce discours inaugural. Même tonalité chez son père, Jean Marie Le Pen, qui s’est dit satisfait de la prestation de José Gonzalès et comptait l’appeler pour le féliciter et le rencontrer.

Le ton personnel et intime de ce discours se sont vite dissipés, car, sitôt descendu du perchoir, il est interpellé par quelques journalistes sur, notamment, le rôle joué par l’Organisation de l’armée secrète (OAS) dans les violences commises en Algérie et en France en 1961-1962. Il affirme alors « n’être ni au courant des crimes de l’armée française en Algérie ni être là pour juger si l’OAS a commis des crimes ».

Comme s’il pouvait ignorer que l’OAS, organisation jugée terroriste et dont plusieurs membres ont été condamnés par la justice française, est responsable de l’assassinat de plus de 2000 personnes et plus de 5000 blessées, majoritairement algériennes. L’OAS a aussi tenté plusieurs fois d’assassiner le général de Gaulle dont la plus spectaculaire et qui a failli aboutir fut celle de l’attentat du Petit-Clamart en région parisienne le 22 août 1962.

Il est vrai, à la « décharge » de José Gonzalès, que de nombreux membres de cette organisation n’ont jamais été inquiétés par la justice, et certains ont même pu accéder à des fonctions électives, à l’instar de Pierre Sergent, amnistié en 1968 après une condamnation, et élu député FN pour les Pyrénées Orientales en 1986. Il sera même célébré, en 2022, par Louis Aliot, maire FN/RN de Perpignan, qui inaugure une esplanade de la ville en son honneur. Et, comble de la provocation, la ville de Perpignan est célébrée capitale de l’«Algérie française » en mettant à l’honneur l’œuvre coloniale « civilisatrice » de la France en Algérie et dans les colonies françaises, et que l’inique loi de 2005 (jamais abrogée à ce jour) a voulu consacrer, ouvrant ainsi la voie à une entreprise de réhabilitation de la colonisation.

Au-delà de l’extrême droite, il faut relever que, sur des sujets aussi graves que l’esclavage ou l’antisémitisme, il y a en France comme une sorte de consensus partagé pour les condamner au sein de la société et de l’État. Il y a bien quelques nuances d’appréciation entre les différents courants politiques et intellectuels mais la condamnation est quasi unanime.

L’esclavage a fait l’objet d’une loi dite Taubira en 20015, et l’antisémitisme, une déclaration et une condamnation solennelles de l’État français, par la voix de son président Jacques Chirac, lequel est allé jusqu’à reconnaître, le 16 juillet 1995, la responsabilité de la France dans la déportation de juifs vers les camps nazis.

Mais s’agissant de la question coloniale, en particulier sur l’Algérie, pourtant largement documentée aujourd’hui, il n’y a jamais eu de consensus pour condamner la colonisation qui « n’a rien d’une histoire d’amour. Elle est une histoire de prédation, de violence et d’asservissement »(6).

Alors l’ «oubli » de Mme Borne pour ce qui concerne le FN/RN avec le système colonial n’en est malheureusement pas un en effet. Il reflète l’état d’une société et surtout d’un État qui ne s’est pas émancipé du monde colonial. Le veut-il ? On peut en douter quand on observe le précédent quinquennat où « la colonisation sera passée, dans le verbe présidentiel, d’un « crime contre l’humanité » (2017) à « une histoire d’amour qui a sa part de tragique » (2022)(7).

Ahmed Dahmani est économiste, enseignant-chercheur à la retraite. Il a enseigné, en Algérie, à l’université de Tizi Ouzou puis à l’Université Paris-Sud, en France. Auteur de L’Algérie à l’épreuve. Économie politique des réformes. 1980-1997 (Paris, L’Harmattan ; Alger, Casbah, 1999).

Notes

1 https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/05/28/elisabeth-borne-attaque-le-rn-heritier-de-petain-et-lfi-qui-ne-joue- pas-le-jeu-du-debat-democratique-a-l-assemblee-nationale_6175183_823448.html

2 https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/05/30/pour-emmanuel-macron-le-combat-contre-le-rn-ne-passe-plus-par- des-arguments-moraux_6175443_823448.html

3 Nicolas Lebourg, https://www.mediapart.fr/journal/politique/051022/50-ans-du-fn-rn-plongee-dans-les-manoeuvres-qui- menerent-la-naissance-du-front

4 Il a lui-même pratiqué la torture en Algérie malgré les récentes déclarations douteuses de Benjamin Stora, https://histoirecoloniale.net/Les-declarations-inexactes-de-l-historien-Benjamin-Stora-sur-France-inter-a.html

5 Loi n° 2001-434 du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité.

6 Paul Max Morin, https://histoirecoloniale.net/Entre-la-France-et-l-Algerie-une-histoire-d-amour-qui-a-sa-part-de- tragique.html

7 Id.

Site personnel : http://www.ahmeddahmani.net/

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