23 avril 2024
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Emblème amazigh : la Cour suprême a tranché

Le drapeau amazigh a été décrété ennemi de la nation par Gaïd Salah en 2019.0

L’emblème amazigh ne constitue pas une atteinte à l’unité nationale, estime la Cour suprême.

Témoignage. La Cour suprême a rejeté le 13 octobre 2022 le recours interjecté par le parquet et confirmé par conséquent la relaxe et la restitution de drapeau, verdict prononcé par la cour d’Alger en faveur, à ce qu’on a appelé les détenus de l’emblème Amazigh, en l’occurrence Messaoud Leftissi, Bilal Bacha, Meharzi Hamza, Aibeche Djaber, Oudihat Khaled et Tahar Safi.

Ils ont été arrêtés, vendredi 21 juin 2019, à Alger et libérés le 23 décembre 2019 après avoir purgé leurs peines de 6 mois de prison ferme. Ce verdict avait été rendu par le tribunal de Sidi M’Hamed, à Alger.

La bataille de l’emblème amazigh : retour sur un procès de rupture 

Mardi, le 22 octobre 2019 a eu lieu l’ouverture du procès des détenus de l’emblème amazigh et  d’opinion,  après une détention provisoire de 04 mois prolongée pour la même durée. Ils ont été entendus au cours de leur détention deux fois par le juge d’instruction près le tribunal de Sidi M’hamed, Alger, qui n’a pas gaspillé son encre pendant les deux auditions pour dresser un procès verbal ne dépassant pas une page. Il n’a pas omis de titrer son instruction : « L’affaire de l’emblème Amazigh قضية الراية الامازيغية ». C’est dire…

Les six détenus font leur rentrée sous les applaudissements dans une salle d’audience archi-comble et une défense composée de plus de 50 avocats bénévoles venus  de quatre coins du pays.

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La prison, « cette école de la révolution »

Me Abdellah Haboul ouvre le bal sur les questions procédurales et il engage le débat sur la recevabilité des poursuites. « En présence d’irrégularités procédurales, les détenus ne bénéficient pas d’un procès équitable », lance-t-il avant de céder à l’insistance de présidente du tribunal de passer au débat sur le fond et d’appeler les prévenus à la barre.

Le premier à être appelé est Messaoud Leftissi, originaire de Skikda, à l’est du pays. Il affiche un large sourire en saluant l’assistance : Azul !

« L’emblème amazigh est mon identité, je l’ai brandi et je le brandirai une fois sorti. Mes idées sont à débattre mais personne n’a le droit de juger mes convictions », répond-il à la juge qui l’interroge sur le sens de porter l’emblème Amazigh.

Il ne regrette pas et la prison n’a pas eu raison sur ses convictions. Bien au contraire : « Je ne suis pas dans une prison, je suis dans une école de la révolution ». Il a tenu à l’affirmer très haut.

Billal Bacha, originaire de Bordj Menaiel, le relaye à la barre : « Je n’ai rien fait d’interdit où contre la loi, tamazight est reconnue dans la constitution et je suis militant d’un parti politique agréé ».

Djaber Abeche, d’Alger, déclare à son tour qu’il est « sorti pour remettre à son père ses affaires et il se retrouve en prison ». Le 4eme prévenu à se présenter à la barre est Khaled Oudihat, auquel la juge demande de parler en arabe ou en français. Il poursuit cependant sa déclaration en tamazight et rétorque à la juge : « Je suis Amazigh et je ne sais parler qu’en tamazight. Tamazight coule dans mes veines et elle est présente dans notre foyer, dans mon  éducation qui  s’est faite en Tamazight et pour Tamazight, nul personne n’a le droit de porter atteinte à mon amazighité. Je suis issu d’Ighezar Amokrane, qui a donné un grand nombre de martyrs pendant la guerre de libération ».

« Pourquoi je demande la relaxe ? », s’interroge-t-il. Puis de clamer : «Je n’ai rien fait pour demander relaxe mais je demande par contre la restitution de mon drapeau ».

C’est la couleur du même drapeau qui a été retrouvé dans le sac à dos de Tahar Safi, d’Ath Ouartilane, wilaya de Sétif, après l’avoir soumis à une fouille.

Le dernier à intervenir est Hamza Meharzi, également d’Ath Ouartilane, arrêté pour la simple raison qu’il était assis dans le bus à côté de Safi, le porteur du drapeau Amazigh.

 Les plaidoiries : « L’appel du drapeau »

Pour ma part, j’ai plaidé l’inexistence de l’infraction au regard du code pénal. « Les faits ne constituent aucunement une infraction », ai-je martelé dans ma plaidoirie. On a avec d’autres confrères et consœurs dénié à la juridiction toute légitimité de juger ces six jeunes.

Et j’ai centré ma plaidoirie sur le terrain de la rupture en convoquant l’histoire.

« Je ne sais si je dois être honorée de plaider dans le tribunal d’Abane Ramdane où au contraire…, nous avons l’impression de revivre la révolution et les  procès des condamnés à mort qui l’ont émaillé et des tribunaux érigés par l’armée coloniale pour juger les algériens engagés pour l’indépendance. L’armée française a obtenu grâce aux pouvoirs spéciaux un transfert sans précèdent de la justice civile vers la justice militaire. Les « indigènes » que nous étions, nous avons refusé tout compromis avec le système colonial, que ce soit sous le couvert de l’assimilation ou de l’accession à la citoyenneté  française, hypothéquant notre aspiration à la liberté.

Nous avons combattu et vaincu la grande puissance coloniale en étant nous-mêmes, avec notre savoir-faire et nos valeurs ancestrales, à savoir avec notre amazighité, et nous avons arraché notre indépendance, sans recourir à des artifices en inventant une autre identité, une autre personnalité, où en changeant de peau. Nous étions nous-mêmes, comme ces jeunes aujourd’hui, cela est le secret de notre victoire ».

C’est le début de ma plaidoirie avant d’enchaîner :

« Nous avons assisté aujourd’hui à l’incarcération des jeunes à la prison d’El Harrach pour le port de l’emblème amazigh et ce qu’il constitue un acte abominable qui ne peut être admissible. Il constitue une grave atteinte à la patrie et à la dignité humaine ».

Je ne pouvais terminer ma plaidoirie sans citer François-Jules Simon et faire référence à cette expression dans « Le devoir (1854 ) » : «Tous les bons sentiments s’allument au même foyer, l’amour de la patrie est une extension de l’amour de la famille et l’amour de l’humanité est une extension de l’amour de la patrie. Notre cœur, comme notre esprit étend peu à peu ses rayons ».

Comment peut-on oser priver des personnes de liberté et les emprisonner pour des raisons de naissance, né Amazigh sur la terre Amazighe. Ces jeunes défendent leur origine par respect à leur mère et par dévouement pour leur patrie. »

Les plaidoiries s’achèvent aux environs de 23 heures 10 et le verdict est renvoyé pour le 29 octobre 2019.

Le jour J de l’annonce du verdict, des gendarmes encerclent très tôt le matin le tribunal, alors que ce corps est chargé de la sécurité uniquement dans les zones rurales et les zones périurbaines. Nous étions perplexes et le temps passe, en présence des familles et des militants ainsi que les prévenus qui ont été extraits de la prison, mais nous ne voyons rien venir.

L’audience a été ajournée tout simplement.

Le 05 novembre 2019, le verdict est encore renvoyé pour le 12 du même mois.  Et entre-temps, d’autres procès en raison du port de drapeau sont programmés  pour le 11 novembre 2019.

Enfin le verdict est tombé le 12 novembre 2019, après 20 jours d’attente. Les six détenus sont reconnus coupables et condamnés à 06 mois de prison ferme et à une amende.

Ils seront relaxés en appel le 18 mars 2020 et voir leurs drapeaux restitués.

 Me Nacera Hadouche, avocate du barreau de Tizi-Ouzou et défenseur des Droits Humains

 

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