18 mai 2024
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En Algérie, « l’Etat est tout, la société est rien » !

TRIBUNE

En Algérie, « l’Etat est tout, la société est rien » !

Dans une économie fondée sur les hydrocarbures, les membres de l’administration tendent à se transformer en une classe de rentiers. A chaque fois que l’on fait de l’Etat ou d’une petite élite, le principal acteur du développement, on suscite l’apathie générale du corps social et les citoyens se détournent des structures sociales et politiques organisées.

On se trouve devant une société éclatée, une classe dominante qui vivant de l’Etat n’a pas le sens de l’Etat mais de celui de ses intérêts. Cette classe a le goût de l’autorité et du prestige, elle ignore celui de l’austérité et de l’humilité. C’est parfois l’affrontement.

La rivalité politique prend la forme d’un affrontement violent. Or, il existe d’autres façons de gouverner qui n’accroissent pas la violence, ne produisent pas de désordre et n’hypothèquent pas l’émergence d’économie productives et d’un ordre social légitime. Il s’agit de savoir comment moduler et répartir la violence de telle façon que le résultat soit à la fois un accroissement de la productivité et aussi paradoxale que cela puisse paraître un surcroît de légitimité pour l’Etat et ceux qui le dirigent. Surcroît de légitimité qui au bout du compte accroîtra l’efficacité du pouvoir et diminuera les potentialités de révolte, de désordre et de chaos. La question de la violence est donc importante, parce qu’elle invite à un examen attentif des formations sociales et à une réflexion neuve sur l’économique dans son rapport avec le politique en Algérie.

De plus, la logique d’accession au pouvoir diffère d’une élite à une autre. La logique de classe des nouvelles élites s’oppose à la logique du réseau des élites néo-patrimoniales de l’immédiate post indépendance. On entre dans une classe ou on en sort en fonction des intérêts qu’on recherche ou qu’on défend ; par contre, on naît dans une famille, on s’intègre à un clan, on fait partie d’une tribu ou on est originaire d’une région.

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Les procédures d’inclusion ou d’exclusion dans les élites, produits d’une rationalité méritocratique piégée par le clanisme, le clientélisme, n’ont plus ni légitimité, ni fonctionnalité socio-économique. Cette contestation des nouvelles élites se déroule sous le signe d’un appel au à la souveraineté populaire à travers un processus constituant libre, transparent et démocratique.

Mais si le pouvoir néo-patrimonial est contesté « par en haut », il est également contesté par « par en bas », par les masses totalement exclues des bénéfices de la modernité tout en devant en payer la facture, toute la facture.

Cette contestation-là est beaucoup plus radicale et violente. Elle est dangereusement ouverte à toutes les aventures populistes notamment quand elles sont d’origines militaires. Rompre avec ces positions de facilité nous semble être un préalable à la promotion d’une économie productive et à l’instauration d’une légitimité d’actions. Pour se légitimer sur le plan interne, l’Etat tente de promouvoir le développement économique ; en réalité il étouffe la société civile.

Le déséquilibre dans les relations entre l’Etat et la société civile reflète beaucoup plus l’indigence de l’économie que la puissance de l’Etat. La société civile colle à l’Etat pour lui arracher, soit de la richesse à accumuler, soit de la subsistance pour survivre. Le contrôle de l’Etat et de son administration sont un enjeu capital sinon vital. L’enjeu réside dans une maîtrise de l’appareil de l’Etat par le biais d’une mainmise sur les centres principaux d’allocation des ressources.

L’aménagement de l’administration correspond à une véritable dialectique de l’autorité et de la liberté : structure d’autorité dont la finalité est d’assurer à tout instant et en tout lieu la soumission de l’administration au pouvoir politique. Et la prééminence du pouvoir central sur les pouvoirs démembrés de la puissance publique notamment au moyen d’institutions-relais (autorités déconcentrées, mécanismes de la tutelle, diverses procédures de contrôles). C’est pourquoi, la formule de l’Etat-nation satisfait avant tout le désir de mystification, de dissimilation en permettant de déployer un rideau opaque entre les populations et les dirigeants pour permettre à ces derniers de négocier librement les transactions avec l’étranger. Toute position du pouvoir est indissolublement une position d’enrichissement par les avantages personnels qu’elle procure.

Même les hommes d’affaires privés, qui n’appartiennent pas au secteur public en dépendent étroitement, ne serait-ce que parce que leurs moyens d’enrichissement reposent largement sur les dérogations de la loi ou sur les autorisations administratives, licences d’importations entre autres. Hantés par la fragilité de leur position, les dirigeants répugnent à déléguer l’autorité ou la responsabilité qui restent concentrées entre les mains de quelques personnes voire d’une seule.

L’attribution d’un poste de responsabilité dans l’administration ou dans l’entreprise est conçue par les hommes politiques comme le moyen de rétribuer les services rendus. Ce clientélisme débouche sur une privatisation des fonctions, cette privatisation des fonctions fait que les rapports publics deviennent personnalisés, particularistes plutôt qu’universalistes.

L’intensité des relations interpersonnelles (famille, clan, ami, client, autorité reconnue) pèse sur l’exercice de certaines fonctions tel le pouvoir hiérarchique, le pouvoir de sanction, la fonction de contrôle, la justice etc. La différence fondamentale entre les différents régimes politiques dans leurs relations avec l’administration réside dans l’identité entre le groupe social qui exerce le pouvoir politique et celui qui administre professionnellement. Dans les régimes autoritaires, la séparation du pouvoir est inexistante.

Par différents moyens, l’Etat essaie d’absorber la société. « L’Etat est tout, la société est rien ». Dans ce contexte, pour l’administration, c’est la fin de la neutralité et du professionnalisme. On exige des fonctionnaires de la fidélité et de la loyauté au régime. C’est ainsi que l’administration pénètre profondément la société en y intervenant au maximum dans tous les domaines et dans tous les secteurs. Il n’existe plus de différence entre le groupe qui décide et l’administration qui exécute. Les deux se retrouvent sur le même bateau. Sous un régime autoritaire, on constate une politisation de l’administration. Chemin faisant, elle perd sa neutralité et prend goût au pouvoir et s’investit dans la bureaucratie. C’est la mort de toute initiative et la porte ouverte à la corruption.

Autrement dit, la mort tout court. Et la mort n’a jamais enfanté la vie. Par contre un régime démocratique admet une administration professionnellement compétente et moralement intègre comme un élément de stabilité de la société et de pérennité de l’Etat.

Les fonctionnaires cohabitent avec les différents courants idéologiques. Un régime démocratique admet la neutralité de l’administration publique. Le problème qui se pose est le mode employé par le Président pour s’assurer que son pouvoir soit effectif dans la pratique. Pour qu’un Etat puisse exister concrètement sur le terrain, il faut le doter d’un bras c’est-à-dire d’une administration.

Une administration protégée par un droit spécifique et animée par des agents recrutés sur des critères méritocratiques, formés dans des écoles spécifiques où ils intériorisent les valeurs de l’Etat à savoir l’idéologie de l’intérêt général. C’est dans et par l’idéologie de l’intérêt général que se réalise le consensus nécessaire au maintien du tissu social dans le monde occidental. Cela remonte loin dans l’histoire du nationalisme algérien au moment où la société de l’époque était organisée de telle façon que seules les élites étaient aptes à faire de la politique le peuple était maintenue à l’écart. Il était là pour servir de caution aux choix et décisions prises par l’élite. Quand la liberté de voix a été accordée au peuple, il s’est jeté à corps perdus dans la religion, une religion tronquée par des enjeux de pouvoir.

 L’échec politique des acteurs de la modernisation va pousser une partie de la population algérienne vers un retour à l’intégrisme religieux et à la revendication ethnique. Il est loisible de constater que cette élite dirigeante issue du mouvement de libération nationale au pouvoir depuis cinquante ans n’a pas apporté le bien être pour tous, ni fourni les éléments constitutifs de l’identité algérienne. 

 

Auteur
Dr A. Boumezrag

 




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