Jeudi 25 octobre 2018
Entre l’odeur de la chkara et les parfums de l’Eden, il faut choisir !
Tahkout et Haddad, deux des oligarques du clan au pouvoir.
L’opinion médusée a assisté en spectatrice à une pièce de théâtre de boulevard jouée par des députés !!!… qui ont transformé l’APN en arène de cirque. Cet événement dit des choses sur la vision et la pratique politique qui se sont enraciné dans la société.
Pratique politique hélas devenue une habitude parce qu’on a détourné un processus historique (la guerre de libération) qui devait déboucher sur une Algérie tant rêvée et espérée. Ce détournement n’est pas le travail d’individualités, pas même de clans dont on nous rabâche les oreilles. Le coupable c’est un manque d’intelligence de l’histoire face aux nombreux conflits qui ont jalonné l’histoire récente du pays.
Depuis le congrès de la Soummam jusqu’à la prise du pouvoir à Alger à l’indépendance, les conflits étaient de nature essentiellement politiques mais les satanées valeurs féodales et l’attrait du pouvoir qui fait chavirer les cœurs et les esprits sont venus polluer cet intelligence de l’histoire qui sert de boussole pour résoudre des conflits pour éviter l’irrémédiable….
Voilà pourquoi, à petite dose, les rêves de tout un peuple se sont évaporés. La guerre de libération ne pouvant, par magie, briser toutes les chaînes de la colonisation, le pays se trouva devant des obstacles ‘’autochtones’’ coriaces, ceux du conservatisme politique et du charlatanisme religieux. Ces idéologies étaient incapables de mesurer et encore moins d’être à la hauteur des bouleversements engendrés par l’indépendance : économie, démographie galopante, l’urbanisation anarchique etc… La société se voyait alors livrer à l’ignorance, productrice de rumeurs et de mensonges. Ceux qui avaient échappé à cette malédiction finissent, comme dans le roman ‘’L’angoisse du gardien de but’’ de Peter Handke, par sombrer dans la solitude et n’eurent d’autres possibilités que le silence chez eux ou les chemins de l’exil où leur peine trouvait quelque soulagement dans la mélancolie des souvenirs des premières années de l’indépendance…
Ces rêveurs connaissaient les difficultés du pays mais avec le temps ils voyaient des murs qui se dressaient autour de la société. Et derrière ces murs les incompétents faisaient la loi et les petitesses d’une vision des choses s’enracinaient. Le vide idéologique ouvrit alors des autoroutes aux médiocrités politiques et au charlatanisme sous couvert de religiosité. Durant la guerre de libération, le courage, l’âpreté de la lutte, la qualité et l’envergure de la dimension des dirigeants constituaient la solidité des lignes de combat face à l’ennemi.
Religiosité et régionalisme
Mais hier ne ressemble pas à aujourd’hui hélas ! Le pays de nos jours est abreuvé de religiosité et de régionalisme et les événements sont déformés par l’utilisation abusive et imbécile des notions de complots de la main de l’étranger, de la puissance et l’omnipotence des clans. Cette façon de voir n’aide nullement à éclairer les situations. En surestimant le rôle du régionalisme et en sous-estimant le facteur politique, on alimente le poids d’une vision féodale au lieu de s’appuyer sur les facteurs de modernité qui tente de se frayer un chemin. Cette vision ‘’métaphysique’’ ressemble à la sociologie américaine qui ne jure que par les catégories ethniques ou religieuses.
On en voit le lamentable échec en Irak et en Syrie des Américains qui ont surfé sur l’histoire millénaire de la région. Ainsi ladite vision métaphysique empêche une lecture rationnelle de la dynamique qui rythme la vie de toute société. Et c’est cette dynamique qui explique l’émergence chez nous de nouvelles catégories sociales arrogantes dont le sentiment d’exister se mesure à l’accumulation de richesses symbolisées par la laideur de villas à x étages….
Prenons les émeutes d’octobre 88 (1) qui peuvent servir de repère à la dynamique sociale qui s’est mise en marche. Je prendrai un repère connu et contrôlable de tous. C’est le fameux, inattendu et violent discours du 19 septembre 88 du président de l’époque Chadli Bendjedid.
Dans ce discours fait devant les cadres de la nation, le chef de l’Etat a pris à partie les responsables des blocages à l’intérieur de l’appareil de l’Etat. Il faut dire que le pays était étranglé par la chute du prix de pétrole et il devenait urgent d’initier des réformes économiques. En clair et la suite des événements le confirmera, il fallait couper le cordon ombilical avec le socialisme ‘’spécifique’’ et s’ouvrir à l’infitah, le libéralisme économique triomphant à l’aube de la mondialisation. A l’évidence, les graves attaques du chef de l’Etat contre ceux qui mettaient des obstacles à une nouvelle politique étaient des responsables dans les sphères des décisions politiques. Et la décision politique à cette époque était partagée entre le FLN et l’Etat.
L’Etat sortit vainqueur de ce bras de fer. Cette victoire était somme toute logique car on se souvient que le président Boumediene était habité par la mystique de l’Etat en affirmant la nécessité de construire ‘’un Etat qui survit aux hommes’’(1). L’autre acteur de la confrontation, le FLN fut le perdant et le limogeage de Mohamed-Cherif Messaâdia symbolisa son affaiblissement.
La nomination de Mouloud Hamrouche au poste de premier ministre pour appliquer les réformes économiques, amender la constitution pour légaliser le multipartisme, annonçait un nouveau cycle politique. C’est à cette époque que l’on a vu un privé décomplexé dans la sphère économique aux côtés des entreprises publiques. Le tremblement de terre d’octobre 88 n’était donc pas un simple replâtrage ou rééquilibre des pouvoirs à l’intérieur de l’Etat.
L’irruption de l’islamisme politique et sa marche vers le pouvoir est la preuve que des forces sociales ne se contentaient pas de grignoter une place dans le supposé champ du régionalisme ou dans le précarré des clans mais jouaient la carte de la religion pour appliquer un projet ambitieux et totalitaire sur tout le territoire.
En dépit de l’exemple d’octobre 88 qui annonçait l’émergence de ce qu’on appelle aujourd’hui ‘’les privés de la chkara’’, les théories du complot, des clans adossés à l’armée, au régionalisme restent vivaces… Ce sont des écrans de fumée permettant à tous les ‘’chkarates’’ résidants dans les quatre points cardinaux du pays de s’adonner tranquillement à leur bizness. Bien sûr, comme partout dans le monde, ces nouveaux ‘’chefs’’ d’entreprises s’associent entre eux en fonction de leur apport dans la corbeille du marié ou de la mariée, un minimum de compétences techniques acquises ou achetées, carnet d’adresses des politiques, mariage entre ben et bent familia, bref une association qui repose sur des intérêts mesurés en monnaie sonnante et trébuchante et non sur les mirages ou chimères de liens familiaux ou tribaux qui devenaient anachroniques de jour en jour….
C’est pourquoi la mise à la retraite en 2015 du chef du DRS, bras armé de l’Etat, étonna sans que personne à ma connaissance, ne signale que l’événement renfermait en son sein un potentiel et futur tremblement de terre politique. Trois ans plus tard la mise à la retraite puis l’arrestation de chefs militaires au plus haut niveau de l’appareil militaire sidéra le pays mais personne ne revint sur les étonnements lors de l’épisode du départ du chef du DRS. Ah la politique des rumeurs et des clans et qui explique et passe à côté de l’essence des événements…
Cependant avec les événements incongrus et insolites qui se sont déroulé dans l’APN, des voix mesurent le danger potentiel quand on touche à une institution en méprisant un autre temple censé être le gardien des lois du pays, le conseil constitutionnel. Pendant ce temps, les habituels adeptes de la cuisine politicienne s’intéressaient plus à l’appartenance géographique du futur président de l’APN au lieu de s’interroger sur la gravité de la situation et ses possibles développements. Par leurs attitudes et leur forme de pensée, ces adeptes s’imaginent que les lois de la philosophie politique du Prince de Machiavel fonctionnent uniquement ailleurs mais pas en Algérie.
Ils ont évidemment oublié que les événements d’octobre 88 ont quelque peu débroussaillé le terrain (neutralisation du FLN devenu une simple machine électorale et légalisation du multipartisme) (2), les services secrets remaniés, des chefs importants de l’armée mis à la retraite.
Quant aux événements actuels de l’APN, ils ne se rendent pas compte que l’on joue à quitte ou double quand on voit l’assemblée nationale censée représenter la souveraineté populaire cadenassée comme un vulgaire lieu du crime le temps de vider des gêneurs et effacer les traces du crime en question.
Octobre 88 avait dessiné le périmètre de l’activité du parti FLN. Octobre 2018, l’armée comme bastion reste intouchable mais pas les individus à son service comme soldat deviennent des justifiables. Le pays va-t-il connaître un nouveau cycle libéré du charlatanisme politique et religieux ? Si cela advenait réellement, les rêveurs qui ressemblent aux personnages du roman de Peter Handke déjà cité, assisteront avant de quitter ce monde à l’entrée du pays dans une époque ‘’normale’’.
Rêvons cependant avec lucidité car l’avenir n’est jamais inscrit à l’avance. Ayons en tête que d’éventuelles tempêtes sont possibles et risquent de faire tanguer le navire Algérie et donner le mal de mer à la société.
A. A.
Notes
(1) j’ai pris le repère d’octobre 88 parce les contradictions politiques avaient éclaté au grand jour au sein de l’appareil d’Etat. En l’absence d’archives, il est difficile d’être crédible sur la totalité des événements de 88 aussi bien du côté des émeutes populaires que de celui de l’appareil d’Eat. Certains essais et certains contributeurs avaient leur ‘’préféré’’ parmi leurs comploteurs en dépit de la faiblesse de leurs arguments.
(2) ‘’un Etat qui survit aux hommes’’ était la devise chère au président Boumediene, On connaît sa mystique de l’Etat fort à l’image de l’armée qu’il dirigea à l’Etat-major à Gardhimaou (en Tunisie) pendant la guerre de libération. Lecteur parait-il de grands théoriciens de la philosophie politique comme Machiavel, il investissait toute son autorité et dépensait tout son temps à consolider et l’armée et l’Etat. Il n’a jamais dirigé le Bureau politique du FLN et a présidé rarement le conseil de la révolution, instance créé lors du coup d’Etat du 19 juin 65.
(3) La valse des secrétaires généraux du FLN en sont les symboles.