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Esprit de Novembre, es-tu toujours là ?

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La nuit de la Toussaint. Une poignée d’Algériens ont sollicité le destin et ont bravé le danger pour lancer une révolution nationale. Pour libérer le pays de la longue nuit coloniale. Ici, récit d’une épopée révolue. Souvenirs de parents et de voisins. 

De brefs souvenirs parviennent du passé de la prime enfance. Quelques bribes. L’intrusion de soldats en armes dans la hara de Langare. Cris. Peur. Panique. Menaces. Bruits de bottes. Armes bien en vue. Mères éplorées. Pères hagards. Enfants hébétés. Peur ce jour-là. Terroriser et installer la peur dans les esprits. Le tragique de la situation était accentué par la misère que vivaient les parents. Leur malchance était liée aux pénibles métiers du bâtiment. A leur inculture également. Ils ne s’expliquaient pas leurs tribulations dans un pays qui était le leur. Rares étaient ceux qui pouvaient comprendre les aberrations du système colonial…

Quartier de Langare. Des maisons sommairement construites et réparties à l’intérieur en chambrées où s’entassaient moult familles. Les briques en toub, en terre, étaient visibles à l’œil nu. Une architecture sommaire. L’urbanisme ? Un luxe. Autour, la désolation. Des terrains vagues baptisés Châaba. Littéralement lieux déserts où souvent gisaient les immondices et où erraient les chiens sans maîtres. Et où les enfants allaient jouer au ballon, faute de terrains adéquats. C’était là qu’ils vidaient leurs querelles en bagarres sous la houlette d’un arbitre improvisé.

Gare au perdant car s’il rentrait le nez en sang ou l’œil tuméfié et les vêtements déchiquetés ou simplement en poussière boueuse, il avait affaire à son paternel qui ne manquait pas là l’occasion de lui administrer la raclée de sa vie…

Le vie avait cours à la périphérie de la ville. Mais pas seulement, à l’ombre des sombres heures de la guerre de Libération. Surtout pour les parents, le jour exploités dans les chantiers et la nuit suspects de rébellion dans leur propre pays. Par moments, il leur arrivait d’en faire amèrement les frais car ils étaient conduits, manu militari, à la sortie de la ville, dans un stade pour y rester la journée exposés en masse sans nourriture ni eau… De pareils souvenirs dormaient agités dans les mémoires des gamins de l’époque qui méritaient mieux… 


Des bruits de bottes insistants dans la courette. Des torches allumées dans l’obscurité régnante qui ajoutait à la terreur des femmes déjà au paroxysme de la peur. La soldatesque franchissait brutalement et sans crier gare les
portes de ces maisons. Avec force cris et gesticulations pour effrayer encore plus les paisibles occupants dont certains dormaient déjà. Comme à la campagne. Figés comme des statues devant leurs seuils, les parents étaient
souvent rudoyés et, sans retenue, copieusement insultés et roués de coups. Il fallait avouer quelques délits et crimes, forcément commis à l’endroit des gaouris. Ils devaient coopérer avec l’administration coloniale appuyée par la force des baïonnettes en vue de dénoncer quelques fellagas, ces coupeurs de routes, embusqués quelque part dans les recoins de ces quartiers malfamés où la population européenne bien née ne rêvait mettre le pied.


Ces descentes policières effectuées par des militaires laissaient les uns et les autres, femmes, enfants et hommes, dans un état d’immense détresse psychologique à telle enseigne que les langues se déliaient durant de nombreux jours après pour les évoquer à la seule fin de conjuration. Ce qui explique sans doute que les enfants en éprouvaient alors une sainte répulsion. On installa en eux une peur que seul le temps réussit à les en débarrasser. Par moments, nos princes s’en inspirèrent hélas après l’indépendance.

Terroriser un peuple pour le dominer faisait alors partie de la panoplie des occupants indus du pouvoir. Comment devait-on alors espérer fraterniser avec la population tout occupée à digérer ses peurs et qui, vaquant à ses affaires, flirtait avec l’indigence quotidiennement renouvelée ? C’était pure illusion. Pourtant, le Viêtnam a été l’occasion de mesurer les limites de pareille politique. Avec Dien Bien Phu. Il est vrai que le général Giap a pu dire depuis que le colonialisme est un mauvais élève…

Douloureux et vague souvenir. Avec dépit. Seules traces échappées au temps, quelques rares photos de maisons en toub. A l’entour ? Oualou, nada, niente, rien, nothing. Autant dire le néant. Le vide sidéral. C’étaient les banlieues d’alors où la population était recalée tels des cancres. Les mères n’en sortaient quasiment jamais. Les pères si, pour aller dans les chantiers vendre leur force de travail. Pour un salaire de misère, payé à la quinzaine. De quoi reconduire le quotidien vécu à la force du poignet…

El Combatta (Les Combattants), quartier inséré dans la ville en une suite de villas qui appartenaient alors aux Roumis. Le must en matière d’habitat. Quant aux autochtones et indigènes, ils étaient logés à la même enseigne, c’est-à-dire de façon sommaire. Vu les revenus d’alors, ils avaient droit à une chambrée dans de grandes maisons dites Hara. La vie y était réglée de la façon la plus traditionnelle, les femmes à la maison et les hommes vaquant aux affaires du dehors. Nombreux qui échouèrent alors dans ces hara datant de l’ère coloniale. Composée de petites chambrées, elles firent à l’époque le bonheur de bailleurs peu scrupuleux qui les louaient à des familles dont le dénuement se mesurait à l’œil nu. Guère d’espace. A l’entrée, plusieurs petites pièces sur une rangée bordée par un couloir d’à peine un mètre. Hygiène exécrable. Pour des dizaines de familles, parents et enfants.

Certaines chambres avaient des murs aveugles, l’aération étant un luxe. Quatre murs et un sol en ciment. C’est à peine exagéré de qualifier ces chambres de cellules. Juste de quoi loger la plèbe.

Au bout de ce couloir, sorte de tunnel non éclairé, des courettes avec d’autres chambres en carré. Identiques dans leur conception que celles du couloir. En l’absence des maris, la petite cour servait aux femmes de lieu de rendez-vous où certaines d’entre elles se retrouvaient pour deviser. Claustrées comme dans un harem. A même les cours, souvent un semblant d’escalier menait à l’unique étage où les bailleurs d’alors dressaient parfois leurs quartiers pour tancer leurs locataires pour cause de loyers impayés…

Durant la guerre de Libération nationale, tel fut espace qui a servi d’univers à toute une flopée de familles qui espéraient exister. Survivre fut le credo quotidien de ces familles. Bien des querelles ont jonché cette promiscuité. Souvent pour des broutilles. C’était une manière de penser son existence. De panser cette blessure sociale vécue d’emblée dès l’indépendance. Occupés à vaquer à leur profession, les hommes échappaient à ces rixes anodines mais riches de quelques vocables dont les enfants auraient souhaité se passer.

Plus tard, après la cruelle guerre de sept ans, en de ces haras, quelques familles avaient pu prendre possession de maisons. Des biens vacants comme elles furent désignées officiellement. 

Perpendiculairement à ces hara, un quartier tout en villas, les unes contiguës aux autres. Elles étaient occupées précédemment par des Gaouris qui devaient être fonctionnaires, enseignants… La classe moyenne sans doute qui, les fins de semaine d’été, ouvraient toutes grandes leurs fenêtres d’où s’échappaient musique et rires. Joie de vivre dont les voisins indigènes étaient sevrés. Bannis. Handicapante situation dont ni les tenants ni les aboutissants n’étaient compréhensibles pour les enfants. Et pour cause, ils guettaient attristés leurs géniteurs patentés tous les soirs au retour de leur harassant travail. Ils espéraient la clé qui leur ouvrirait les joies de l’enfance, la leur étant maudite. Quasiment, aucun de leurs parents n’échappait un tant soit peu à la dure condition de forçats des chantiers. Beaucoup de familles végétaient ainsi…

Il est vrai cependant que la colonisation est une page sombre dans l’histoire mondiale. Singulièrement celle de l’Europe. Comment pratiquer l’amnésie ?

Comment la mémoire collective algérienne pourrait-elle effacer cette page ? Comme on a coutume de le dire : l’amnistie n’est pas l’amnésie. Le devoir de mémoire subsiste dans les consciences de générations entières nées avant comme après l’indépendance. Si le Président Mitterrand a pu estimer que l’Etat français et la République française ne sont pas responsables de Vichy et n’avait pas à faire d’excuses, son successeur, le Président Chirac, l’a fait. Mais ni ce dernier, ni ses successeurs n’ont voulu présenter aux Algériens la moindre excuse au nom de la France officielle. Encore moins une juste réparation. Ce que le Canada et l’Australie officiels ont fait.

Il est en effet loin le temps où la France découvrait l’or dans les caves de la Casbah d’Alger où était entassé un butin estimé, en toute vraisemblance, à quelques milliards d’euros. D’aucuns pensent que le trésor de la Régence d’Alger devait servir à Charles X pour corrompre le corps électoral. Déjà Alger était à l’origine de bouleversements politiques en France. Semblerait-il, ce trésor a profité à des militaires, des banquiers et des industriels, les Seillière et les Schneider, outre à Louis Philippe. Mais l’or d’Alger servit également au développement de la sidérurgie française. Quels résultats et quels produits pour les indigènes ?…

Ainsi, pour les parents, véritables damnés des chantiers, payés à la quinzaine. Souvent endettés auprès de leurs épiciers attitrés où les mères envoyaient leurs enfants pour moult courses : dix douros de sucre, dix douros de café, quinze douros d’huile… C’était la chanson des enfants. Répéter la quantité et le nom des denrées voulues par leurs mères le long du trajet. Les épiciers ne manquaient jamais l’occasion de sortir leurs stylos pour leurs additions en insistant pour demander à leurs pères pour passer régler, sinon plus de crédits. Il était difficile de boucler les fins de mois au vu des maigres salaires des parents. Surtout que, les mères vaquant aux affaires domestiques, les pères échappaient aux draconiennes contraintes des chantiers… 

Ainsi, durant la guerre de Libération nationale, la vie des parents fut des plus laborieuses. Après l’indépendance, elle le fut hélas tout autant. Leur indigence était de plus adossée à un analphabétisme alors endémique. A cela, s’ajoutaient les tracasseries coloniales. Des gens continuellement écrasés par leur destin. Un quotidien implacable. Beaucoup de voisins, d’amis et de parents vivaient ainsi, il est vrai. D’où leur propension à tout miser sur leur progéniture. Chacun d’eux rêvait d’un destin exceptionnel pour ses enfants. A tort ou à raison, l’école fut alors considérée comme l’idéal tremplin pour éliminer tous obstacles afin d’arriver à se construire une place dans la société. Une sorte de revanche sur le sort qui a été le leur.

L’école fut sans doute la planche de salut. Les pères espéraient énormément voir grandir leurs enfants dans un milieu plus prospère que le leur. Il est vrai aussi que moult familles, voisins immédiats, comptaient nombre d’enfants. Familles nombreuses dont les enfants de certaines d’entre elles ne dépassèrent hélas pas le niveau d’études primaires. Confiés souvent à la rue, l’éducation en pâtit. Du moins pour certains d’entre eux. 

Libération nationale. Libération sociale, culturelle, économique, politique. Cette révolution tarde encore après celle nationale. Que de défis encore pour s’affranchir du sous-développement. Esprit de Novembre es-tu toujours là ?

       Ammar Koroghli 

Avocat ; poète (« L’Abc et l’Alif »; « Sous l’exil l’espoir »), nouvelliste (« Les menottes au quotidien » ; « Mémoires d’immigré ») ; essayiste (« Institutions politiques et développement en Algérie »).

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