24 avril 2024
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Fatma n Sumer ou comment séquestrer et voler des scénarios

Tribune

Fatma n Sumer ou comment séquestrer et voler des scénarios

Younes Adli.

Le 19 janvier 2019 le ministre de la Culture Azzedine Mihoubi était en visite d’inspection à Tizi Ouzou pour la supervision de projets de réalisation d’infrastructures du secteur de la culture.

Il s’est rendu à Lǧemɛa-n-sariǧ (20 kms à l’est de Tizi Wezzu) pour donner le premier coup de manivelle d’un long-métrage du réalisateur Ali Mouzaoui retraçant le parcours du troubadour Si Muh Umhand (1840/45 – 1905), l’une des grandes figures de la poésie kabyle.

A travers les deux personnages cités que sont le ministre Azzedine Mihoubi et le réalisateur Ali Mouzaoui, j’aimerais aborder un problème qui a fait souffrir en silence deux scénaristes kabyles, et à travers eux probablement plusieurs autres. Il s’agit de la détention arbitraire et du vol de deux scénarios de films sur le parcours de Fatma N Sumer (1830 – 1863), l’une des figures de proue de la résistance kabyle qui s’est rebellé contre l’occupant français.

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Le premier cas concerne la détention de scénario. Il s’agit de celui co-écrit par l’historien Dr. Younes Adli et le réalisateur Ali Mouzaoui suite à la sollicitation de ce dernier envers le premier.

Pour l’histoire, c’est Ali Mouzaoui, à titre de cinéaste, qui a déposé un dossier pour avoir auprès du ministère de la Culture une subvention du programme FDATIC (Fonds de développement de l’art, de la technique et de l’industrie cinématographiques).

La commission nationale de lecture et de l’aide aux projets audiovisuels a donné son acceptation et le ministre de la Culture de l’époque répond en s’engageant à financer entièrement le film. Le temps passe, rien ne se concrétise. L’écrivain-historien Dr. Younes Adli relance le cinéaste Ali Mouzaoui mais en vain.

Deux années plus tard, le cinéaste essaye de convaincre Dr. Younes Adli que la commission de lecture a émis un avis défavorable pour le scénario. Ce dernier décide de s’enquérir auprès de ladite commission de lecture. Deux de ses membres, MM. Mouloud Achour et Abrous Outoudert, lui expliquent que le scénario n’est pas refusé mais il lui est demandé quelques aménagements seulement.

Dr. Younes Adli informe Ali Mouzaoui de sa démarche fructueuse, puisqu’il s’agit seulement de quelques correctifs à apporter.

À partir de ce jour, le cinéaste crée un conflit de toutes pièces avec l’écrivain-historien qu’il écarte du projet. Le scénario co-écrit étant déposé auprès de l’ONDA (Office National des Droits d’auteur), aucun des deux auteurs ne peut le réaliser sans l’aval de l’autre. C’est ce qu’on appelle la séquestration en règles du scénario.

Du temps passe encore, et subitement vers fin 2004 un feuilleton en arabe sur Fatma N Sumer est diffusé à la TV algérienne et intitulé Adraa El Jabal “La vierge de la montagne”. C’est une coproduction algéro-syrienne avec comme réalisateur le Syrien Sami El Djenadi et le scénario écrit par Azeddine Mihoubi, l’actuel ministre de la Culture.

Il est important d’avoir une idée sur le parcours politique et idéologique de ce dernier pour pouvoir démêler les dessous de divers scénarios faits sur Fatma N Sumer.

Azeddine Mihoubi, né en 1959, a un parcours atypique en occupant plusieurs postes et fonctions. Il était chef de l’information pour la TV algérienne (1996-1998), député RND de 1997 à 2002, président de l’Union des écrivains élgériens (1998-2005), président de l’Union Générale des Hommes de lettres arabes (2003-2006), DG de la Radio Algérienne (2006-2008), directeur de la Bibliothèque nationale (2010-2013), secrétaire d’État chargé de la communication (2008-2010), et enfin depuis 2015 jusqu’à date, il occupe le portefeuille du ministère algérien de la Culture.

Le film en arabe sur Fatma N Sumer, donné aux Syriens pour sa réalisation à coup de milliards, a scandalisé tous les Kabyles en voyant les décors et les tenues vestimentaires des Kabyles, femmes et hommes.

En 2007 on retrouve le cinéaste kabyle Ali Mouzaoui réalisant un long métrage intitulé « Mmi Mezran » (La fille aux tresses) et un documentaire sur l’écrivain kabyle Mouloud Feraoun (2009).

Pourtant Ali Mouzaoui était supposé réaliser un long métrage sur Fatma N Sumer sur la base d’un scénario co-écrit avec Dr. Younes Adli. A ce sujet il a déclaré au journal El Watan ceci : «Le film sur Fatma N’soumer est une œuvre de fiction qu’on va tourner en Algérie. Quelque 15 milliards de centimes sont nécessaires pour sa réalisation. Les responsables du ministère de la Culture ont retenu l’importance de ce projet».

Pourquoi les plans du ministère de la Culture algérienne ont changé en confiant le film aux Syriens et non pas aux Kabyles plus aptes à raconter l’histoire de Fatma N Sumer. De ce fait ces questions s’imposent :

  • Le scénario écrit par l’écrivain-politicien Azeddine Mihoubi, né à Ain Khadra (Msila) est-il plus plausible que celui de l’écrivain-historien kabyle Dr. Younes Adli, né à Lǧemɛa-n-Sariǧ en plein cœur de la Kabylie?

  • Le cinéaste arabe de la Syrie Sami El Djenadi est-il plus connaisseur des décors et tenues kabyles que le cinéaste kabyle Ali Mouzaoui?

  • Pourquoi le tournage s’est déroulé en Syrie et en langue arabe classique, et non pas en Kabylie et en langue kabyle?

  • Pourquoi ne pas faire profiter les producteurs, scénaristes et réalisateurs kabyles de la manne financière de l’époque au lieu de rémunérer excessivement des acteurs syriens? Le réalisateur Sami El Djanadi a dû les choisir en justifiant que la langue arabe classique n’est pas très bien maîtrisée par les acteurs algériens.

  • En arabisant l’héroïne kabyle Fatma N Sumer, Azeddine Mihoubi à l’époque président de l’Union des Écrivains Algériens et l’Union Générale des Hommes de Lettres arabes cherchait-il pas à justifier auprès de ses « maitres » arabes, qu’il mérite bien son poste de serviteur de la cause arabe?

  • Azeddine Mihoubi ne cherchait-il pas à humilier les Kabyles? Je me souviens à l’époque que la famille de Fatma N Sumer, la plupart des associations culturelles et tous les militants kabyles ont fortement réagi en dénonçant le non-respect des faits historiques et coutumes kabyles dans le film algéro-syrien.

Au grand malheur d’Azeddine Mihoubi, un autre problème ait surgi. Cette fois il s’agit d’un vol de scenario et non pas de séquestration.  Un autre scénariste kabyle, le regretté Ali Djenadi, jurait sur tous les toits, à qui voulait l’entendre, que le scénario d’Azeddine Mihoubi sur Fatma N Sumer était le sien. Seulement le ministre avait procédé à quelques modifications en ajoutant des ingrédients qui lui donnerait une touche arabe avec la non-conformité des costumes et des paysages. Ceux-ci ne reflétant nullement le pays kabyle sans parler de l’utilisation de la langue arabe dans la bouche de la résistante kabyle.

De quoi il s’agit exactement ?

D’abord il est important de présenter Ali Djenadi, un ancien responsable de la Fédération de France, qui est né en 1927 à Gendul (Friha, Tizi Wezzu) et originaire de Tamezgida (Tizi-Rached, Tizi-Wezzu). Il fut arrêté à Paris en 1960 pour être libéré peu avant le cessez-le-feu. En 1962, il rentre au pays et s’engage dans l’enseignement comme un des premiers instituteurs post-indépendance. Il a pris sa retraite en 1987 pour se consacrer à l’écriture de livres et de scénarios de films. Parmi les romans qu’il a écrits, il convient de citer, « La dignité retrouvée » qui raconte la misère du peuple durant la période 1932-1952. Un scénario pour un feuilleton TV, tiré de ce roman, lui a valu le 3e Prix du concours du meilleur feuilleton TV organisé par les journaux Horizons/El Massa en 1985.

En 1999, Ali Djenadi a écrit le scénario du 4ème film kabyle de l’histoire. Il s’agit de « Mariage par annonce » réalisé par Amrouche Mehmel, et dans lequel le scénariste a campé le rôle principal.

Au début des années 2000 et suite à une promesse d’un intermédiaire du Général Larbi Belkheir pour financer un film sur Fatma N Sumer, l’écrivain-scénariste Ali Djenadi a entamé de profondes recherches au village Sumer, où est située la maison de l’héroïne kabyle. Il est allé jusqu’à chercher ses proches dont une femme de 75 ans qui lui a donné énormément d’informations sur son aïeule Fatma n Sumer.

Une fois le scénario terminé, Ali Djenadi l’a remis au ministère de la Culture pour passer en commission de lecture. Depuis il attendait le voir réaliser mais en vain. Quand il a vu le feuilleton arabe sur Fatma N Sumer, il a tout de suite compris que Azeddine Mihoubi, influent au ministère de la Culture, lui a volé le scénario en le modifiant légèrement. Une façon d’induire en erreur comme quoi c’est lui qui a mené les recherches sur la vie de Fatma N Sumer. Ali Djenadi a crié haut et fort et partout pour dénoncer ce vol caractérisé. Personne ne l’avait écouté sauf Ali Hedjaz qui lui a réalisé une interview en 2005.

L’écrivain-scénariste Ali Djenadi, très touché au plus profond de son âme, il n’a jamais admis un tel vol jusqu’à son décès le 13 février 2015 à l’âge de 88 ans.

Etant donné son parcours de militant depuis son jeune âge au service de la révolution anticolonialiste, son amour pour le pays en le servant avec amour après l’indépendance dans le domaine de l’enseignement et sa retraite consacrée entièrement pour la culture, la littérature et le cinéma qui peut démentir le regretté Ali Djenadi, à qui on a volé un scénario sur l’héroïne kabyle.

Volé par un cacique du système qui a occupé plusieurs postes de responsabilités en son sein. D’ailleurs à se demander d’où est ce qu’il a pu trouver le temps nécessaire pour mener ses recherches sur Fatma N Sumer, ne serait que se déplacer dans son propre village et interroger ses proches comme l’a fait le regretté Ali Djenadi.

Le chevauchement des faits entre le scénario de Fatma N Sumer co-écrit par Dr. Younes Adli et Ali Mouzaoui mais bloqué sans suite, le scénario d’un feuilleton algéro-syrien en langue arabe du ministre Azeddine Mihoubi qui surgit subitement et enfin le scénario du regretté Ali Djenadi laissé sans suite au ministère de la Culture, donne à réfléchir à plus d’un titre.  

Comme dit au début de cet article, en ce début de l’année 2019, le cinéaste Ali Mouzaoui, avec les encouragements des pouvoirs publics, s’apprête à réaliser un long métrage sur le poète kabyle Si Muh Umhand.

Bizarrement pour un simple coup de manivelle, c’est le même ministre de la culture, Azeddine Mihoubi qui vient en personne y assister, accompagné par le wali de Tizi Wezzu.

Comme par hasard cela se passe à Lǧemɛa-n-sariǧ, le village de Dr. Younes Adli, et non pas à Larbaa N At Yiraten, la région de Si Muh Umhand.

Le comble est qu’au micro de Radio Tizi Wezzu, le cinéaste Ali Mouzaoui a qualifié Azeddine Mihoubi de « Grand Homme ». Ce ministre qui a manqué de respect à toute la Kabylie en s’attaquant à ce repère historique qu’est Fatma N Sumer.

Cet échange de serviabilité entre Ali Mouzaoui et Azeddine Mihoubi ne cache-t-elle pas une coalition pour enlever toutes les traces de ce qui s’est tramé comme coups envers les deux victimes que sont Dr. Younes Adli et le regretté Ali Djanadi ?

En tous les cas, les choses ne peuvent être que plus claires avec d’un côté le clan de ceux qui s’attaquent à nos symboles qui se consolide. Et de l’autre ceux qui veulent porter haut les mêmes symboles kabyles et amazighs en général.  

Auteur
Racid At Ali uQasi

 




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