Samedi 6 février 2021
Ferhat Abbas, 1er président du Gouvernement provisoire algérien (GPRA)
Ferhat Abbas n’était pas un assimilationniste, comme voulait bien le qualifier ou le décrire ceux-là mêmes, par leurs opportunismes et leurs cynismes avaient confisqué l’indépendance, en 1962. La mainmise d’une caste sur l’indépendance chèrement acquise est une violation de la mémoire d’un million et demi de chahid tombés au champ d’honneur.
Ce clan, loin des préoccupations de tout un peuple libéré de la soumission et des entraves du colonialisme inhumain, priva le peuple algérien, à la veille de l’indépendance, de jouir du pouvoir, lui revenant de droit, de choisir en toute liberté ses responsables et ses gouvernants afin de construire et vivre dans une nation libre et qui lui ressemble.
L’histoire a été pervertie et tronquée, la personnalité bafouée, un système éducatif mis en place, sciemment entravé pour mieux réprimer la pensée et instaurer la médiocrité à tous les niveaux.
Aucune révolution n’a jamais perdu la main à la veille de son aboutissement. La révolution algérienne, oui ! Les hommes révolutionnaires authentiques, ceux qui qui arrivèrent à s’échapper aux assassinats, leurs images étaient jetées aux chiens, salis par des slogans mensongers, muselés ou forcer de vivre en exil pour avoir protesté contre les dérives sur les promesses de liberté et la sauvegarde des intérêts personnels au détriment de l’intérêt général du pays.
Effacer de l’histoire les parcours des chahids, véritables héros de la révolution, pour braquer toutes les lumières sur les hommes de second rang du clan. Le népotisme, la corruption, l’intimidation et j’en passe, sont devenus une marque avec laquelle est dépeint notre pays de l’intérieur comme de l’extérieur.
Notre propos aujourd’hui se fixe sur le grand combattant, qu’était Ferhat Abbas, on aurait aimé évoquer d’autres et il y en a beaucoup. J’espère que d’autres Algériens, relèveront le défi pour rétablir, chacun en usant de sa mémoire, la vérité historique pour mettre la lumière sur les véritables enfants de l’Algérie. Didouche Mourad, ne disait-il pas ; signe prémonitoire d’un oubli : « Et si nous venons à mourir, défendez nos mémoires ». Alors, le moment est idoine, à l’occasion de cet éveil national inespéré, engrangé par le Hirak, de prendre nos plumes pour leur rendre hommage et parler librement en haussant, au sommet leur parcours, au centre de l’histoire de l’Algérie. Restituer, enfin, la vérité sur notre lointaine culture berbère écrabouillée et sur la vérité de notre patrimoine historique national.
Le terme assimilationniste, attribué à Ferhat Abbas, fait partie du langage de ceux qui s’opposent, à visages découverts, à la modernité héritée de notre lutte de libération. Ces hommes, passéistes partisans d’une culture sociétale archaïque, infiltrés parmi ceux qui nous gouvernent, noircissent l’image des hommes de l’envergure de Ferhat Abbas et de tous les héros de la révolution, afin de tromper le peuple fragilisé par une éducation généralisée par une vision obsolète. Cette vision qui a un lien direct avec le wahhabisme, a déjà, était à l’origine directe de la tragédie de la décennie noire. Nos gouvernants, le peuple ont-ils perdu, à ce point, la mémoire pour céder l’Algérie et ses enfants aux mains de l’ogre ?
Ferhat Abbas, né le 24 août 1899 dans la Dachra de Chahna dans la daïra de Taher (Kabaïl Hadra) Wilaya de Jijel. Il meurt le 24 décembre 1985 à Alger. Sa famille paternelle a été victime par l’injustice coloniale, chassée de ses terres par les autorités Françaises pour les réduire à de simples ouvriers journaliers agricoles. Certes, son père, Saïd Ben Ahmed Ben Abbas, fut, un temps, Caïd (Adjoint indigène), son rôle se limitait à faciliter les tâches administratives des autochtones.
La rancœur et la haine, envers le système colonial, de l’enfant Ferhat Abbas, dataient de cette époque. Ils se transformèrent, avec le temps, au fur et à mesure de sa construction intellectuelle en sentiments nationalistes. Ferhat Abbas était, donc, un nationaliste de première heure. Je ne vais pas me lancer à décrire avec précision les détails des hauts et des bas de son parcours politique. Cela prendra beaucoup de temps, car l’histoire du personnage est immense. Elle se résume, certainement, sur plusieurs livres. Je me contente, donc, de passer en revue les grandes lignes qui ont jalonné sa vie, mettre en avant en survolant ses actes, ses faits et ses engagements.
En effet, Ferhat Abbas avait été frappé, au plus profond de lui-même, par les événements du 8 mai 1945. Pharmacien de profession et intellectuel avisé sur les rouages politiques de l’époque et notamment le mouvement national Algérien. Il créa l’UDMA (Union démocratique du manifeste Algérien). Auteur de plusieurs publications et livres. Je me limite à citer que quelques titres de livres : « Le jeune Algérien en 1931 », « J’accuse l’Europe en avril 1944 », « Guerre et révolution en 1962 », « Autopsie d’une guerre en 1980 », « L’indépendance confisquée » en 1984 et enfin, « Demain se lèvera le jour » en 2010 en post-mortem.
Dans son livre cité ci-dessus, « Le jeune Algérien », il dénonçait : « Les 100 ans de colonisation » et expliqua l’algérianité en concluant avec la phrase célèbre, qui avait heurtée, à l’époque, la majorité des colons, les plus résolus à maintenir le statu quo sur la politique coloniale :
« Nous sommes chez nous. Nous ne pouvons aller ailleurs. C’est cette terre qui a nourri nos ancêtres, c’est cette terre qui nourrira nos enfants. Libres ou esclaves, elle nous appartient, nous lui appartenons et elle ne voudra pas nous laisser périr. L’Algérie ne peut vivre sans nous. Nous ne pouvons vivre sans elle. Celui qui rêve à notre avenir comme à celui des Peaux-Rouges d’Amérique se trompe. Ce sont les Berbères qui ont fixé, il y a déjà plusieurs siècles, le destin de l’Algérie. Ce destin ne pourra pas demain s’accomplir sans eux. »
Il s’établit, dans les années 30, à Sétif comme pharmacien. Et devint une figure politique importante, éveilleur de conscience algérienne, insistant sur la vulgarisation et l’intégration des principes nationalistes et patriotiques, dans l’esprit de l’homme algérien de demain.
Cependant en 1936, il opta pour l’entente Franco-musulmane et publia un article, intitulé « La France, c’est moi » dans lequel il déclara son amour pour la France dans une communauté de destin basée sur le respect des indigènes :
« Si j’avais découvert la nation algérienne, je serais nationaliste et je n’en rougirais pas comme d’un crime. Mais je ne mourrai pas pour la patrie algérienne parce que cette patrie n’existe pas. J’ai interrogé l’histoire, j’ai interrogé les vivants et les morts, j’ai visité les cimetières, personne ne m’en a parlé. Sans doute, ai-je trouvé l’Empire arabe, l’Empire musulman qui honorent l’islam et notre race, mais les Empires se sont éteints. On ne bâtit pas sur du vent. Nous avons donc écarté une fois pour toutes les nuées et les chimères pour lier définitivement notre avenir à celui de l’œuvre française dans ce pays. »
Cette déclaration reste encore une énigme, comme un os au travers de la gorge pour la plupart qui n’avaient pas compris le sens du message. Mise en lumière suivant le contexte politique et les rapports de forces de l’époque, on se surprend à penser qu’elle révélait une analyse politique d’une subtilité stratégique plein de bon sens.
Le réalisme politique, incitait à rassurer les Français, à se mettre à la table de négociation pour un nouveau statut en Algérie pour intégrer les indigènes à la gestion de la cité. Négocier en toute confiance et faire sauter le premier verrou qui bloquait toute évolution, tout le reste, par la suite ; l’indépendance viendra par elle-même comme une évidence. La diplomatie est un art qui s’articule autour des étapes.
Certes, Ferhat Abbas donnait l’impression d’abandonner la rupture et la violence. Mais, ses objectifs fondés sur l’indépendance restaient les mêmes. Le changement de tactique, en contournant les problèmes qui figeaient l’autre partie, aboutissent au même résultat : L’indépendance par étape. Le basculement était, donc, manifeste. Sa démarche pouvait, en effet, prêter à confusion, paradoxale et incongrue. Mais la méthode relevait plutôt d’un calcul politique stratégique, vu le contexte. On ne pouvait pas faire le fanfaron quand on avait le fusil braqué sur vous. Il faut trouver un moyen subtil pour sauver sa vie. Sauver sa vie ; c’était arriver à l’indépendance, de toute façon, dans sa compréhension.
La politique des étapes prit forme dans son esprit, car il suggérait dans cet article ; l’égalité des droits sous la souveraineté Française. Une fois l’égalité acquise, l’état libre réalisé, auquel la participation au pouvoir des indigènes serait effective, le temps, à partir de ce moment, jouera, incontestablement, en faveur des Algériens, mais de tous les Algériens. On peut, en effet, accepter ce calcul politique par des moyens pacifiques et faire le gain d’une confrontation violente.
Mais, Farhat Abbas déchanta très vite, vu la position cinglante et sans détour d’une minorité négligeable de colons, mais des colons puissants, qui ne voulaient en aucun cas entendre parler d’une quelconque égalité et surtout pas d’un état libre entre les indigènes et les colons. Un indigène restera un indigène point final !
Ferhat Abbas avait sous-estimé le poids politique des colons d’Algérie menés par Georges Blanchette détenant le monopole exclusif de l’Alfa en Algérie, de Borgeaud Henri régnant en maître sur tous les vins d’Algérie et enfin de Schiaffino Laurent maître incontesté de toute la marine en Algérie. Des hommes puissants, représentant et défendant, vent debout, sans vouloir céder la moindre concession aux indigènes musulmans, les intérêts des colons, qui se plaisaient dans un racisme affiché et sans complaisance envers ces derniers. Il découvrit, finalement, l’énorme fossé qui le séparait de la politique intransigeante et immuable des colons.
Pire encore, les colons dévoilèrent l’étendue de leur influence à tous les niveaux du pouvoir en France et particulièrement une forte majorité de parlementaires en phase avec la politique coloniale de cette minorité de colons.
Les efforts de Ferhat Abbas se révélèrent vains et sans perspective d’avenir. L’impasse était totale et ses soupçons se fondèrent sur l’incapacité des socialistes menés par Mendès France, avec qui il avait, déjà, engagé un dialogue ouvert et chez qui il trouva une oreille attentive. La nouvelle politique algérienne de Soustelle, serait inefficace face au puissant lobby des colons. Et pourtant Farhat Abbes persista dans sa logique d’obtenir l’égalité des indigènes musulmans en Algérie.
Il créa, alors, une association AML (Amis du manifeste) et obtint le ralliement de Messali Hadj et un autre ralliement de façade avec les Oulémas de Ibrahimi dévoué, corps et âme, pour une Algérie Française. Il enchaîna par la création d’un hebdomadaire l’égalité. Ferhat Abbas convaincu d’obtenir gain de cause avec le dialogue. Mais c’était méconnaître la puissance des colons en Algérie. En 1945, ces derniers le désignèrent comme étant l’instigateur des événements du 8 mai 1945 et l’emprisonnèrent. A sa sortie de prison, il créa l’UDMA et intégra définitivement le concept d’Algérie-Algérienne en optant pour l’indépendance, par étape. Il changea le titre de son hebdomadaire « Egalité » en « République algérienne ».
Le contexte politique des nationalistes algériens était loin de présenter un climat serein et euphorique. Le parti nationaliste MDLD de Messali Hadj était miné par des déchirures entre plusieurs factions. Les Messalistes combattaient les centralistes, les centralistes exprimaient leurs mésententes face à la politique arabo-islamiste des messalistes. L’UDMA désavoué pour sa démarche d’égalité. Tous ces partis tournaient en rond, sous l’œil bienveillant des services de sécurité des Français et des colons.
C’est alors, en 1953, Ferhat Abbes acculé de toute part et sans solution en perspective dans l’immédiat, annonça la rupture totale et définitive avec sa politique d’égalité sous la souveraineté française. Les activistes, lancèrent l’insurrection armée le 1er novembre 1954 sous le sigle du FLN et ALN. Abane Ramdane, en fin politique, prit contact avec Ferhat Abbas en mai 1955 pour tenter de le rallier avec les membres de son parti à la cause de la lutte armée engagée par le FLN/ALN.
Le soulèvement du FLN/ALN n’avait pas donné de résultats escomptés, en dehors de l’effet psychologique. Le FLN se heurta à des attaques qui se traduisaient par des pertes significatives. Didouche Mourad était tombé en martyr, en début janvier 1955, avec une partie importante de ses effectifs.
L’Oranais restait silencieux, sans aucune attaque significative. La lutte armée tardait à prendre de l’ampleur et manquait de moyens en hommes, en logistique et en armes et surtout en hommes compétents pour assurer une bonne organisation.
Ce fut, le coup de tonnerre quand Ferhat Abbas se rallia au FLN/ALN et dissout son parti en mettant toutes les ressources financières et intellectuelles, de son parti, à la disposition de la cause nationale défendue par le FLN/ALN en 1955. Les membres du parti UDMA se mettaient en place dans les postes importants et comblèrent les lacunes et les insuffisances organisationnelles des structures du FLN. Ferhat Abbas rejoignit la délégation extérieure du FLN au Caire le 25 avril 1956. Pour finir, jusqu’à l’indépendance en 1962, comme premier président du gouvernement provisoire algérien (GPRA)