Les hauteurs d’Alger sont au festoiement. Une cérémonie officielle est donnée dans une villa rebaptisée Djnan Belaredj. Un couturier de Bab Azzoun (1) est réquisitionné pour façonner un mini costume demi-manches gris métallisé sur mesure pour Si Belaredj.
Avec une mini-casquette style scouts musulmans et un ruban rouge parant sa seule patte héréditaire, l’illustre revenant est maintenant prêt à recevoir sa médaille du mérite national, sous les coups de trempettes, les applaudissements de la caste et les youyous des Joyeuses (2).
La scène est diffusée en direct à la télévision officielle. Une bande d’alerte revient en permanence pour annoncer un discours imminent du Président.
Le visage grave et la posture digne d’un ancien baroudeur, le Raïs (3) prend la parole : « Après de long mois de sécheresse, revoilà les pluies abandontes, à couvrir des villes et des routes entières. Il faut croire que ce don de la nature et cette bénédiction du Seigneur sont étroitement liés au retour du Chahid El Hey (Le Martyr Vivant), Si Belaredj ».
Les roulements de bendir s’enchaînent, les hochements de têtes acquiescent et les mains grandes ouvertes se joignent pour rythmer le brouhaha joyeux qui s’élance dans la fastidieuse villa.
Pendant ce temps, l’air perdu, Si Belaredj ne bouge pas d’une plume. Les courtisans du palais trouvent aussitôt une explication à son air hébété et mettent cette sérénité supposée sur le compte de sa sagesse infinie. « Hada rah djayeb Khir w Baraka m3ah (Il va certainement attirer la Baraka sur notre pays) », lancent les uns les autres à voix haute, de sorte à se faire entendre par le Président.
Bientôt, c’est l’entourage présidentiel qui laisse entendre que celui qui n’aime pas Si Belaredj, n’aime pas le Raïs. Les plus zélés suggèrent que ceux-là peuvent même être déclarés ennemis de la nation. Pour débusquer les traîtres, les stratèges du Palais proposent d’organiser une tournée nationale avec des bains de foule en l’honneur de Si Belaredj. D’une pierre deux coups, la contre–khoutta (4) servira à débusquer les récalcitrants en même temps que répandre la baraka à travers le pays. Mais craignant quelque attentat commandité par les capitales les plus hostiles, les esprits finissent par se calmer. Tout le monde convient que, pour l’heure, l’important est de préserver cet acquis national.
A suivre…
Zohra Droul
1) Porte Azzoun, une célèbre ruelle de la mythique Casbah d’Alger, connue pour la haute couture.
2) Les Joyeuses est l’antonyme des El Bakayates, c’est-à-dire les pleureuses. Jusqu’à une certaine époque, même si cela existe encore dans certaines régions de l’ouest algérien, on faisait appel, lors des funérailles, à des femmes spécialistes du deuil, qui dirigent les pleurs et les invocations. La diva du Raï algérien, Cheikha Rimiti, évoquait dans l’une de ses chansons “Taxi Ta3 Lemraite, Yakhti W Djab El Bakayates (Ô ma soeur, le taxi a ramené les pleureuses ! ”. Dans le contexte de la chanson, des jeunes femmes s’étaient déguisées en Pleureuses, avec la complicité du chauffeur de taxi, pour franchir les barrages de contrôle de police et se rendre dans une soirée cabaret.
3) Le président.
4) Qui veut dire contre-stratégie, comme “Khoutta” signifie stratégie en arabe. Ce mot composé et bilingue a été rendu célèbre par le président algérien Abdelmadjid Tebboune, quand il répondait, le jour de son investiture, à la question d’un journaliste qui lui demandait comment il allait procéder pour concrétiser sa promesse de récupérer l’argent détourné et transféré illégalement à l’étranger, par des hommes d’affaires véreux. Il avait refusé de dévoiler sa stratégie, prétextant que les fraudeurs allaient opposer une contre-Khoutta à sa stratégie. L’expression avait suscité plaisanteries et dérisions chez les Algériens.
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