« L’impérialisme est un mauvais élève qui ne retient pas ses leçons » avait dit Ho Chi Min, il y a de cela plusieurs décennies. L’erreur se répète encore et encore. Comme en témoignent les guerres en Irak, en Afghanistan et aujourd’hui en Ukraine.
Aucune force ne peut résister à un peuple déterminé. L’histoire est pleine d’enseignements. En traitant les « autochtones » de « bougnols », des « moins que rien », (fainéants-nés, des voleurs-nés, des criminels-nés, des menteurs-nés), la France a fait de l’humiliation et de la soumission des techniques de maintien de l’ordre colonial.
Le régime politique algérien n’va-t-il pas institué le mépris et l’arrogance comme mode de gouvernance ? Sur un autre plan, la disproportion des moyens de répression mobilisés ne vise telle pas qu’à humilier et à soumettre une population de plus en plus rebelle à l’ordre établi. L’histoire se répète, les mêmes causes produisant toujours les mêmes effets. Avec la colonisation, l’Algérie s’est trouvée défigurée urbanisée au nord sans industrie créatrice d’emplois, concentrée sur la bande côtière sans agriculture vivrière, centralisée dans la décision, ignorant la population autochtone, et tournée vers la métropole par l’exportation des hydrocarbures et ouverte à l’importation de produits de subsistance.
Ce schéma d’aménagement du territoire initié par De Gaule dans sa politique de pacification sera poursuivi et amplifié par l’Algérie indépendante dans sa politique d’industrialisation et d’urbanisation à marche forcée. La reprise du plan de Constantine en est la preuve évidente.
Industrialiser la bande côtière cultivable relativement bien arrosée et se rapprocher de la métropole pour remplir son couffin. Le regroupement des populations dans les villes permettant de mieux les contrôler en est un autre exemple. Le transfert du pouvoir perpétuait indirectement le système de dépendance économique et culturelle vis-à-vis de la métropole. Il s’agissait pour la France d’imposer à l’Algérie indépendante un ordre politique et juridique qui garantisse la prééminence de ses intérêts stratégiques.
On peut dire qu’elle a réussi admirablement son pari. En imposant des institutions dont la logique de fonctionnement était radicalement opposée à celle de la société algérienne, le colonisateur préparait en fait la société postcoloniale à l’échec de la modernisation. Une modernisation menée par l’Etat post colonial sans mobilisation de la nation dans la création de richesses et sans sa participation dans la prise de décision. Le nationalisme s’est révélé qu’un acte illusoire de souveraineté.
L’indépendance politique n’avait pas suffi à elle seule à briser les liens de dépendance tissés à travers 132 ans de colonisation. L’Etat centraliste et ostentatoire dérivé du modèle colonial a suscité le régionalisme, les dérives de l’intégrisme de ceux qu’il enferme dans un nationalisme formel et dans un rituel religieux sans esprit novateur.
Si la recherche de l’indépendance fût un principe légitime, les pouvoirs mis en place n’ont pas toujours respecté les aspirations populaires qu’elles impliquaient. La construction d’un Etat national d’inspiration de la mystique soviétique a permis aux dirigeants algériens d’occulter au nom de l’idéologie socialiste ses apparences avec le modèle colonial français, c’est-à-dire un Etat national comme héritier de l’Etat colonial français.
L’Etat français dont les soubassements religieux et idéologiques sont passés sous silence. L’Etat français est le produit de l’histoire du moyen âge et de la religion catholique romaine. Un Etat qui ne fait qu’obéir à l’archétype du « Dieu chrétien » ; lequel, omnipotent, et omniprésent se tient hors du monde et dirige celui-ci par des lois et des décrets qu’il lui impose d’en haut.
L’Etat providence s’est mis en place. Cette logique centralisatrice s’oppose à la logique de la société algérienne laquelle est plurielle, obéissant à d’autres représentations, et à un autre modèle de souveraineté. Aujourd’hui, l’Etat providence en Algérie vit une crise de légitimité doublée d’une crise financière. D’un côté, il est contesté par une frange importante de la population et de l’autre il est bousculé par l’amenuisement de la rente pétrolière et gazière qui ne parvient pas à le maintenir en vie.
L’Algérie et la France vivent le passé au présent, elles en sont malades, d’une maladie qui semble incurable. Ni l’Algérie, ni la France ne veulent regarder ce passé ensemble. Ils se voilent la face : « Cachez moi ce sein que je ne saurai voir » disait un personnage de Molière. Il s’agit de sortir de la prison du passé et d’engager les relations sur la route de l’avenir. Un avenir hors de tous réseaux occultes dont les jeunes font les frais.
En fait, il s’agissait pour la France d’imposer à l’Algérie indépendante un ordre politique et juridique qui garantisse la prééminence de ses intérêts stratégiques. C’est pourquoi, le rapport entre contestation et répression, domination et émancipation est récurrent en Algérie.
Dans la tourmente qui enfante de nouvelles sociétés ou qui les étouffe dans l’œuf, les situations semblables créent des jugements semblables. Entre la France et l’Algérie, il y a une histoire qui les sépare et une mer qui les rapproche : la Méditerranée. « Je vais plus loin : je dis une patrie. Et je spécifie que pour les peuples de cette mer, il n’y a qu’une vraie patrie, cette mer elle-même, la Méditerranée ».
La Méditerranée ne connaît pas de frontières, elle est le prolongement des côtes européennes et maghrébines. Elle est un pont entre les Etats et un mur entre les peuples. Elle représente l’espoir des uns et le désespoir des autres. En surface des corps inanimés flottent, en profondeur des pipes line sont immergés. Au nord, des infrastructures touristiques, au sud des rivages vierges à défricher et une jeunesse en jachère à mobiliser.
Tandis que les uns se noient, les autres se prélassent. La Méditerranée a une couleur mais personne ne sait laquelle. Elle change en fonction du soleil. Elle n’a pas de ligne, elle se confond avec le ciel. Un ciel à trois étages (la trinité) pour les uns et un seul étage pour les autres (l’unicité). Entre ciel et terre, il n’y a pas d’intermédiaire.
Entre la mort et la vie, il n’y a pas de pont. Entre le vieux continent et la jeune Afrique, un cimetière à ciel ouvert. Les idéologies nous font croire à la magie des mots pour « masquer » la réalité des maux.
Dr A. Boumezrag