Mercredi 17 avril 2019
France : Suppression de l’ENA, un populisme insoutenable
Des indiscrétions ont porté à notre connaissance l’une des propositions du Président Emmanuel Macron suite au grand débat, soit la suppression de l’ENA. Jamais une décision ne serait aussi critiquable car elle est basée sur un argument éculé des populistes. Elle est si marginale, insignifiante même, dans ses effets qu’on ne peut s’empêcher de dénoncer une mesure qui n’a d’objectif que celui de calmer des jalousies et des fantasmes.
Inutile de rappeler que l’ENA, l’École Nationale d’Administration, crée par Michel Debré au lendemain de la seconde guerre mondiale, en 1945, avait pour but de former les hauts fonctionnaires de l’État en vue d’une reconstruction de la France. D’autres formes d’écoles préparatoires aux fonctions de haut fonctionnaire existaient mais l’ENA fut la promesse d’une aventure plus avancée.
Ils sont une partie de l’élite française, je peux témoigner de leur niveau et, surtout, de l’extraordinaire abnégation et des efforts pour arriver à réussir ce concours. Certains de mes anciens camarades de promotion de Sc Po Paris y ont accédé, ils étaient les meilleurs, à un niveau dont on ne peut s’imaginer tant l’éloquence à l’oral aussi bien que la perfection à l’écrit étaient leur marque naturelle.
Cette haine de l’élite française est une vieille histoire, alimentée par tous les fantasmes. Bureaucratie de « l’entre soi », « technocratie », cerveaux formés dans un moule identique et étriqué, esprit de corps et de copinage, déconnexion de la réalité de ce que vivent les citoyens et de bien d’autres clichés. Même les chansonniers et les humoristes s’y sont mis pour les accabler de tous les malheurs de la France.
Le doigt accusateur de l’élite, la détestation de tous ceux qui accèdent aux hautes sphères en tous domaines, c’est exactement la signature des populistes de tous les pays. Lorsqu’on s’attaque à eux c’est qu’il y a un sentiment haineux envers tous ceux qui réussissent et qui ont du mérite.
Ces jeunes gens sérieux et brillants, remplaçons-les par des abrutis et on sera sûr que l’élite aura disparue, qu’elle ne fera plus de mal au pays et, qu’enfin, le bon sens sera de retour dans l’intelligence de ce pays. Le même phénomène s’était produit, du temps du Président Sarkozy, pour dénoncer les classes préparatoires en toutes disciplines avant qu’un sursaut d’intelligence et de raison ne vienne arrêter le drame.
Emmanuel Macron, lui-même énarque, s’est laissé emporter par les sirènes d’un populisme ambiant et ancien, du type des gilets jaunes. Le professeur que je suis est absolument outré que la prime à la médiocrité soit encouragée avec une telle détermination.
Bien entendu que l’école de la république doit construire les mêmes chances de départ pour tous. C’est une évidence et un acharnement qui nous est quotidien, pendant des décennies, tout au long de notre carrière.
Mais faire la chasse à l’élite c’est insulter la république et ses meilleurs éléments qui ne sont que l’émanation d’un puissant système d’instruction. Certes, la critique qui consiste à dire que l’élite fabrique l’élite, par déterminisme social, car l’ascenseur social est en panne est quelque chose de tout à fait juste.
Mais il faut réparer cet ascenseur au lieu de vilipender ceux qui ont accédé aux plus hautes sphères des concours. Et puis, qui a fréquenté un étudiant qui passe le concours de l’ENA ou tout autre concours prestigieux sait le mérite et l’effort qu’il en coûte.
Ce sont des décennies de travail sérieux, depuis l’enfance, qui se terminent par des nuits et des nuits d’acharnement au travail. Je veux bien croire que l’ascenseur social soit en panne mais j’en ai vu des étudiants qui passent leur temps à être absentéistes, à dormir le matin et être en retard, et ne pas plus travailler le soir, encore moins le week-end.
Jeter en pâture et à la vindicte populaire les élites qui ont accédé à la réussite des concours prestigieux et peuvent donner le meilleur d’eux-mêmes à la nation, c’est purement scandaleux. Mao Tsé Toung ne s’y est pas pris autrement pour en arriver à un nombre colossal de victimes en poussant le peuple à les pourchasser, à les humilier et à les assassiner.
Nous vendre la fermeture de l’ENA comme un tribut exigé par les gilets jaunes, dans leur très grande intelligence intellectuelle, c’est proprement scandaleux car c’est une démarche stupide.
Non, je n’ai pas passé le concours car, à cette époque, je n’étais pas naturalisé, ce qui est une obligation légale pour le passer. Nous disions « traverser le jardin » lorsqu’un camarade voulait y aller car à cette époque, Sc Po et l’ENA étaient deux bâtisses parisiennes séparées par un jardinet intérieur. L’ENA n’était pas encore installée en province.
Je ne saurais jamais si j’aurais été capable d’atteindre le dixième du niveau des brillants camarades de promotion qui ont « traversé le jardin » mais, contrairement à eux qui ont choisi le corps des inspecteurs de finance car dévolu aux premières places, moi c’était celui de la « préfectorale » qui m’aurait séduit.
Pourquoi ? Vous rendez-vous compte, pour un jeune garçon fraîchement débarqué du pays du dictateur-colonel, le grand démocrate humaniste, on m’aurait appelé «Monsieur le Sous-Brifi !».
Avec ma superbe tenue d’apparat, surmontée d’un chapeau bicorne, j’aurais mis à genoux la population, alimenté mes comptes offshore pour trois siècles de semoule et reçu les plus grands du territoire qui se seraient prosternés pour le moindre passeport destiné à la cousine du frère de la voisine du troisième étage.
C’est qu’il ne faut jamais oublier que je m’appelle Boumédiene et mon fils est né le…19 juin. Si c’est pas le signe du destin, ça !
C’est stupide, je sais, mais à la hauteur intellectuelle du populisme et des arguments qui vont conduire à la décision de supprimer l’ENA. Supprimer cette institution peut avoir des justifications légitimes, ce n’est pas un totem de la république, mais ce sont les arguments avancés qui sont irrecevables.